La peur du subconscient
Edward Hall est un homme qui vit dans la peur depuis que son imagination semble avoir pris le pas sur sa logique, le poussant dans des rêves de plus en plus réels. Victime de problèmes cardiaques qui lui interdisent la moindre montée d'adrénaline, il essaie de se réfugier chez un psychiatre, le docteur Rathman. Là, sur le divan, il va commencer à parler de ces peurs et de Maya, une femme troublante qui semble vouloir le tuer.
Résumé de la critique
Un épisode intéressant que l'on peut détailler ainsi :
- la série qui commence à trouver une forme en trois actes qu'elle conservera
- un scénario psychanalytique de Charles Beaumont assez maladroit
- un visuel étonnant signé Robert Florey entre rêve et réel
- des comédiens surprenants pour un épisode qui a un peu vieilli
Une évolution structurelle importante
Le premier évènement de cet épisode repose dans l'apparition du fameux thème musical de l'immense Marius Constant que vous pouvez écouter ci-dessus. Certes, le générique ci-dessus n'est pas celui de la saison un, mais je me permets une petite digression, car la musique est, elle, bien présente. Avec cet épisode construit selon quatre actes très précis (le pitch, la description, la résolution, le twist), The Twlight Zone trouve une forme dynamique efficace qu'elle conservera dans les épisodes suivants. Inspirée par les "Alfred Hitchcock présente", la série montre une volonté de s'inscrire dans la durée en optant pour une structure simple qui puisse s'adapter à tout type de récit.
Pour la première fois, Rod Serling laisse la main sur sa création, acceptant de passer à un travail plus collectif tout en conservant une vraie exigence dans la forme. Cet épisode, malgré ses défauts, est un tournant, car il s'empare de nouveaux thèmes typiques des romans pulp populaires de l'époque, il assène des phrases chocs censées nous accrocher avant un twist final qui referme le récit. Entre peur, angoisse et fantasme, The Twilight Zone devient un moment où l'imaginaire prend le pas sur le réel, où l'inconscient apparaît dans les failles de la réalité.
Comme une profession de foi, cet épisode marque la naissance du show sous une forme plus aboutie, malgré un final moyennement convaincant.
Le rêve comme un prolongement de la réalité
Edward Hall souffre d'une maladie terrible, celle d'avoir perdu la capacité de discerner le rêve de la réalité, se mettant à croire en l'existence d'un univers illusoire qui le menace. La vérité est que, à cause de ses problèmes cardiaques, Edward a simplement peur de la mort et veut perpétuellement se protéger de tous les imprévus. Seulement, quand toutes les menaces ont été écartées et que l'environnement est parfaitement sûr, l'homme doit faire face à son pire ennemi : lui-même.
Auteur de ce scénario d'inspiration psychanalytique, Charles Beaumont participera à plus de vingt-deux scénarios, devenant l'un des collaborateurs les plus prolifiques de Rod Serling. A la différence des neufs premiers épisodes qui portaient sur la solitude et ses conséquences, cet épisode envisage la peur comme le fruit de l'inconscient, recoupant ainsi les thèses de la psychiatrie très en vogue à l'époque. Jouant sur la minuscule frontière entre la dépression et la folie, Beaumont propose un scénario très symbolique, trouvant dans la scène de la voiture son passage le plus réussi.
L'apparition d'une femme-chat comme symbole de la mort devient l'incarnation de son fantasme et d'un désir aventureux qu'il ne peut plus se permettre. Le besoin de sécurité vire lentement à l'obsession, tandis que la pulsion prend le pas sur le raisonnement, le poussant à ne plus dormir. Assez ambitieux, l'épisode déçoit dans son troisième acte, la faute à un côté particulièrement prévisible et à une mise en scène certes brillante, mais qui a pris un léger coup de vieux.
Réalisation et flou artistique
Mettons un point au clair tout de suite : Robert Florey est un grand réalisateur et le prouve ici comme dans ces trois autres participations à la série. Auteur du superbe " Double Assassinat de la rue Morgue" d'après E.A. Poe, il est un spécialiste des ambiances étranges et des cadrages désaxés (voir ci-dessus) encore utilisés de nos jours pour créer un certain trouble. Utilisant la lumière de manière formidable, il parvient à marquer la frontière entre le rêve et le réel avec une grande subtilité, permettant de donner une grande lisibilité à l'intrigue.
Se collant au plus près du visage de Richard Conte, il tire profit lors des séquences de rêves des expérimentations d'autres cinéastes comme Hitchcock dans "La Maison du Docteur Edwards". Alignant des séquences de clair-obscur fascinantes avec des séquences plus réalistes, il pose un ton étrange, appuyé par la musique de Van Cleave qui dessine cette frontière entre rêve et réalité. L'épisode est absolument impeccable jusqu'à cet emploi du flou dégradé, certes très fréquent à l'époque, mais qui donne au troisième acte un léger coup de vieux.
Pour ceux qui ignorent ce qu'est le flou dégradé, reportez-vous à la photo ci-dessus, car cet effet de mise en scène tend de plus en plus à disparaître. Trop confus, le dernier acte essaie de plonger le spectateur dans un état de confusion qui ne fonctionne pas.
Des comédiens convaincants
Richard Conte (connu pour son rôle de Barzini dans Le Parrain) est celui qui a le plus fort à faire dans cet épisode, devant rendre visible une peur inconsciente sans sombrer dans le ridicule. Malgré les gros plans appuyés difficiles à gérer, le comédien s'en sort remarquablement bien, réussissant à donner un côté vraiment troublant dans ces scènes avec Suzanne Lloyd. Celle de la cigarette est vraiment réussie, la jeune femme nous faisant un magnifique numéro de femme fatale.
En conclusion, un épisode certes efficace et intéressant, mais terni par le dernier acte, qui a beaucoup souffert d'un manque de cohérence du scénario et de certains effets de mise en scène à la mode à l'époque, mais terriblement vieillots aujourd'hui. Malgré tout, les deux premiers actes sont particulièrement réussis et marquent la naissance d'un show qui a trouvé sa forme définitive, entre conscient et inconscient, rêve et réalité.
J'aime :
- les deux premiers actes très réussis
- la scène de la voiture troublante
- l'utilisation des éclairages très subtile
- Richard Conte convaincant
Je n'aime pas :
- l'effet de flou dégradé qui donne un coup de vieux à l'image
- le troisième acte qui manque de maîtrise
Note : 13 / 20
Un bon épisode de The Twilight Zone particulièrement intéressant du point de vue de la forme très aboutie que de l'idée de lier imaginaire et inconscient. Délaissant la solitude pour la peur, Richard Beaumont marque son arrivée dans la série en offrant une histoire au concept très malin. Là où rien ne se passe, où tout semble sous contrôle, se cache un espace vide que notre esprit tend à remplir, créant la peur à partir du néant. Une bien belle idée.