Critique : The Twilight Zone 1.11

Le 26 décembre 2011 à 13:37  |  ~ 11 minutes de lecture
Un épisode superbe, rencontre entre Rod Serling et le grand écrivain Richard Matheson pour une intrigue particulièrement moderne et fondatrice.
Par sephja

Critique : The Twilight Zone 1.11

~ 11 minutes de lecture
Un épisode superbe, rencontre entre Rod Serling et le grand écrivain Richard Matheson pour une intrigue particulièrement moderne et fondatrice.
Par sephja

Un seul être vous manque...

Le colonel Forbes et le major William Gart font partie des deux pilotes d'un vaisseau spatial qui s'est écrasé dans le désert Mojave. Seulement, lorsqu'ils se retrouvent dans leur chambre d'hôpital, le colonel a un comportement étrange, n'arrêtant pas de lui demander au major s'il connaît un certain Harrington, montrant tous les signes d'une peur panique. En effet, il n'était pas deux pilotes à s'être écrasés, mais trois ... un dénommé Harrington qui semble avoir été effacé de l'espace temps. 

 

Résumé de la critique 

Un épisode superbe que l'on peut détailler ainsi : 

  •  la réunion de deux grands auteurs pour un scénario d'exception 
  •  un épisode visuellement très réussi 
  •  la science fiction des années cinquante et leur écho dans les théories quantiques modernes 
  •  un récit simple et efficace 

 

Je tiens d'avance à s'excuser pour le contenu particulier de cette critique et sa vision simplifiée des théories quantiques modernes. De même, désolé pour les néophytes pour le troisième chapitre qui fait ressortir mon affection pour le point de vue mathématique sur la réalité, mais cela me tenait profondément à coeur.


 

Un épisode à part 

Par moment, il y a certains épisodes qui sortent clairement du lot, faisant la réputation d'une série et lui permettant de traverser les âges. Avec cette nouvelle histoire sur la solitude, Rod Serling a l'excellente idée d'aller puiser dans les nombreuses nouvelles d'un des plus grands écrivains qui soient, à savoir Richard Matheson. Pour les plus jeunes qui se jetteront, je l'espère, sur l'immense bibliographie de cet écrivain génial, il est l'auteur du livre magnifique "Je suis une légende" racontant l'histoire du dernier survivant de la race humaine, en plein New-York. 

Personne n'est mieux apte que Matheson de parler de la solitude d'une destinée, variation légère sur le thème fétiche de Serling, à travers l'histoire de ces deux pilotes. Ce sont pourtant tout deux des célébrités, astronautes ayant survécus à un crash en plein désert Mojave, dans une époque grisée par les rêves de voyage dans l'espace. L'ensemble parait un peu confus au démarrage, l'histoire se construisant autour d'un seul flashback, structure minimaliste dont le principe est le simple : ce souvenir du Colonel Forbes, personne ne le partage. 

Il se souvient parfaitement d'un troisième astronaute, son meilleur ami, avant que celui-ci ne soit brutalement effacé de la ligne du temps, ne laissant pas le moindre souvenir ni dans les journaux, ni auprès de sa famille. En fait, dans cette ligne temporelle, il n'a jamais existé, la nature opérant une correction en effaçant tout simplement l'anomalie que représente l'existence d'un homme sans passé. Perdus dans un univers qui n'est pas le leur, ces trois hommes sont des anomalies, le colonel Forbes étant le seul à avoir gardé le souvenir de son ami.

La conclusion est terrible, un vrai cauchemar à la Matheson, racontant l'histoire d'un homme qui se bat pour exister et ne pas disparaître de cette ligne temporelle. Un combat inégal contre le pire des assaillants : la nature et l'indiscutable lien de causalité qui inscrit chaque évènement dans un enchainement cohérent et logique. Hurlant, criant, se débattant comme un forcené, cet homme est une singularité sur cette ligne du temps, une solitude dans un monde en apparence bienveillant, découvrant l'enfer que cela représente d'être exclu de la mémoire collective. 

Une vision de la mort assez juste, Matheson et Serling voyant dans la fatalité l'expression du nombre contre l'individu, la nature ayant besoin d'équilibre et que le passé soit le même pour tous. La nature se chargera de corriger les erreurs, effaçant du souvenir de l'humanité ce type d'évènement impromptu, pour rétablir un équilibre indispensable. 

 

Une vraie qualité de mise en scène 

Première réalisation de Douglas Heyes pour la série, l'épisode repose sur un certain minimalisme, la mise en scène jouant beaucoup sur l'expressivité des comédiens. Certains effets sont un peu trop appuyés, mais la réalisation parvient avec finesse lors du flashback à sortir Gallagher du champ de la caméra pour marquer sa lente disparition de la réalité. Dans le rôle de cet homme qui n'existe pas, Charles Aidman est très convaincant, sachant pour l'anecdote qu'il deviendra le narrateur d'un reboot de la franchise en 1985, remplaçant Rod Serling dans ce rôle. 

Pour jouer le personnage principal, on retrouve Rod Taylor, comédien bien connu pour son rôle pas toujours très apprécié dans Les Oiseaux d'Hitchcock, confirmant ici ses qualités de comédien. La force de celui-ci réside dans l'apparente sympathie qu'il inspire, montrant une telle force de conviction qui fait que l'on ne doute jamais de sa sincérité. Idéal pour ce rôle, il propose un jeu très convaincant, luttant en vain pour rester réel, pour que les témoins autour de lui puissent justifier de son existence et rester ainsi dans la mémoire collective. 

Etre seul devient le premier pas vers la mort, offrant l'opportunité à la réalité de vous effacer en toute discrétion de la ligne temporelle, correction naturelle qui renvoie en partie à la dernière saison de Fringe. Entre nostalgie et terreur, les comédiens parviennent à donner de la crédibilité à cette intrigue troublante, luttant avec l'énergie du désespoir contre un ennemi invisible dans un combat perdu d'avance.  

 

 

Univers multiples et rétro-causalité 

D'avance, je m'excuse pour la nature un peu particulière de ce chapitre, mais je me devais d'évoquer les raisons qui font de cet épisode un récit fondateur pour le show. D'abord, il faut replacer l'épisode dans son contexte : nous sommes en 1959 et les librairies sont remplies de petits magazines de science-fiction bon marché, ouvrant la porte à des auteurs comme Van Vogt, Simak, Matheson et Heinlein. C'est l'âge d'or de la science fiction en littérature avec de nouveaux auteurs qui commencent à percer comme Arthur Clarke, Robert Silverberg ou Isaac Asimov. 

The Twilight Zone est une série qui se place dans le domaine de l'imaginaire, entre l'épouvante, le récit fantastique et la science-fiction populaire. C'est dans le mélange des trois que Rod Serling va trouver son style si particulier, la science-fiction donnant l'ossature à l'intrigue pendant que la terreur et le fantastique servent à installer une ambiance où se débattent des personnages volontairement réaliste. Plus qu'une simple série à épisode, The Twilight Zone est le fruit d'une époque où les genres de l'imaginaire se mélangeaient pour produire des histoires simples et efficaces, cherchant à captiver l'audience tout en proposant des idées novatrices. 

Pour comprendre cet épisode, il faut bien écouter le prologue de Rod Serling à chaque début d'épisode : "There is a fifth dimension" signifiant bien que la série se place dans la cinquième  dimension et non la quatrième. Pour ceux qui serait intéressé par les quatre premières dimensions, je conseille de lire "La machine à voyager dans le temps" de H.G. Wells et son explication sur les quatre premières dimensions. Pour faire simple, les quatre premières dimensions sont celle de l'espace euclidien (les trois premières) auxquelles on adjoint le temps, même si celle-ci demeure assez relative.

La cinquième dimension, les mathématiciens me pardonneront cette simplification, correspond au champ des possibilités, constituant autant de lignes temporels qu'il y a d'éventualité. Pour faire simple, lorsque vous apercevez une pomme, plusieurs lignes temporelles se présentent à vous, l'une où vous prenez le fruit, une autre où vous la laissez et d'autres anecdotiques où la pomme tombe, etc... L'imagination n'ayant aucune limite, les lignes temporelles sont infinies et la théorie des univers parallèles n'exclut pas la possibilité de passer brutalement de l'une à l'autre.

En changeant de ligne temporelle, nos héros sont arrivés dans un univers où ils n'existent pas, devenant des singularités dans un monde qui doit alors s'adapter à leur existence. Deux choix : modifier le passé en changeant la ligne temporelle en profondeur ou les faire disparaître selon le même principe. Ce que Matheson essaie d'expliquer, c'est ce que les scientifiques quantiques appellent le principe de rétro-causalité, dont l'idée est, en simplifiant fortement, que le passé subit l'influence des choix effectués dans le présent.

Loin d'être inamovible, le passé est fluctuant, oscillant dans le champ des possibles, à la recherche de l'équilibre parfait que l'on appelle dans le langage commun la destinée. Loin d'être fixe, elle s'adapte et se modifie perpétuellement sans que l'on en ai conscience, constituant le coeur du fonctionnement de la cinquième dimension de l'univers. Indépendante du temps, elle constitue l'univers autour d'un équilibre légèrement instable, ajustant le passé et l'avenir comme le fruit de la causalité, transformant le réel non en un monde certain et défini, mais comme un flux changeant, troublant où l'impossible est envisageable, nos décisions définissant autant notre passé que notre avenir.

Bon, j'arrête de m'égarer et je reviens à mon point de départ en expliquant en quoi cet épisode est fondateur pour une série comme "The Twilight Zone". En montrant comment nos décisions, nos choix définissent la réalité comme elle est, la série se place dans cette cinquième dimension où tout est envisageable, où la réalité est perpétuellement en changement, prête à nous effacer. C'est dans cette incertitude de la réalité que Rod Serling trouve l'espace parfait pour exprimer son imaginaire et construire une série qui reste encore bien ancré dans l'imaginaire collectif.

 

Une idée complexe dans un récit simple 

Evidemment, je m'excuse pour cette petite digression de ma part dans le domaine scientifique, mais cette théorie brillante de rétro-causalité est une de mes passions secrètes. C'est d'ailleurs impressionnant de voir comment Matheson arrive à décrire par une histoire simple le processus développé par Stephen Hawking pour décrire le "réel quantique". Un épisode superbe, qui définit à merveille la notion d'existence, offrant un voyage troublant dans un ligne temporelle différente de la nôtre, un univers inconnu où l'humain peut devenir une anomalie, seul face à la mémoire collective.

En conclusion, un épisode très réussi et fondateur de la série, définissant The Twilight Zone comme une série pionnière dans l'exploration de la notion quantique de réalité. Mais, au delà du point de vue scientifique, une histoire touchante et humaine sur la peur de la solitude, lorsque le monde devient brutalement incohérent, nous abandonnant dans un univers qui n'est pas le nôtre. Une belle réussite qui prouve l'importance de l'empreinte que va avoir sur le show Richard Matheson, lequel participera au total à plus de seize superbes épisodes que j'encourage fortement à découvrir.

 

J'aime : 

  •  le pitch de départ brillant signé Richard Matheson 
  •  les comédiens excellents 
  •  le style minimaliste typique de Rod Serling 
  •  la conclusion brillante

 

Je n'aime pas : 

  •  rien 

 

Note : 16 / 20 

Un épisode superbe, adaptation de Richard Matheson par un Rod Serling particulièrement inspiré, l'histoire de trois pilotes perdus dans une ligne temporelle qui n'est pas la leur. Un épisode brillant qui vient parfaitement s'inscrire dans un point de vue très moderne sur la réalité, bien plus instable et changeante que les apparences le laissent croire.

 

Pour les curieux avides de comprendre la rétro-causabilité et ses conséquences, je conseille :

  •  The Great Design de Stephen Hawking 
  •  Decoding Reality de Vlatko Vedral 
  •  la conférence de Scott Aaronson "Setting Time Aright"


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