Les besoins des uns peuvent être le malheur des autres
M. Renard est un homme aigri, sombre, convaincu d'être la victime d'une injustice du destin et allergique au bonheur des autres. C'est alors qu'il rencontre un vieil homme nommé Pedott qui semble avoir un talent pour deviner l'avenir et donner à des inconnus les petits objets indispensables dont les personnes ont besoin pour améliorer leur destinée. Il reçoit alors de sa main une vulgaire paire de ciseaux qui vont pourtant lui permettre d'échapper à la mort.
Résumé de la critique
Un épisode intéressant que l'on peut détailler ainsi :
- une mise en place un peu poussive et prévisible
- une seconde partie plus sombre réussie qui doit beaucoup aux comédiens
- un épisode qui pose la question du bien et du mal
- une seconde collaboration moins prolifique que la première
Une histoire qui peine à être crédible
Avec cet épisode, The Twilight Zone se penche sur deux solitudes, la première subit par l'égoïste M. Renard et la seconde plus altruiste pour un vieux monsieur nommé Pedott. Si l'un se morfond à un bar en se lamentant sur lui-même, l'autre tient une échoppe ambulante contenant tout un bric à brac d'objets hétéroclites qu'il offre ceux qui vont avoir besoin, ses prédictions se révélant toujours justes. L'idée est simple et aurait pu être exposée en quelques secondes, mais le scénario va faire le choix d'une mise en place longue, trop explicite et assez maladroite.
En effet, en introduisant le personnage principal comme un égoïste cynique, lui faire prêter attention à ce vieux marchant ambulant va se révéler une tâche assez complexe. Les scénaristes vont donc choisir de ne pas faire dans la finesse en utilisant le voisin de comptoir de Renard, un homme brisé qui va voir sa vie prendre un nouveau départ grâce au simple objet fourni par le vieil homme. L'intrigue ne fait clairement pas dans la subtilité, accumulant les coïncidences sans le moindre effet de surprise, ruinant la crédibilité de cette histoire.
Réalisateur de télévision prolifique, Alvin Ganzer signe un épisode élégant par ses cadrages et sa photographie, mais qui appuie inutilement certains effets donnant un premier acte encombré par de grosses ficelles narratives. L'objectif est clairement d'offrir une présentation positive de Pedott, pour le faire apparaître par la suite comme la victime de Renard, permettant ainsi de donner une morale à un final particulièrement sombre.
Une seconde partie sombre et dramatique
Une fois l'intérêt de M. Renard porté sur ce petit bonhomme capable de voir l'avenir, l'intrigue démarre pour de bon, construisant une relation étrange entre ces deux personnages. Mélange de simplicité et de mystère, Ernest Tuex donne une vraie crédibilité à son personnage, son expressivité se révélant bien plus efficace que les effets sonores maladroits qui ponctuent l'épisode. Mystérieux tout du long, il ne peut lutter contre son besoin de donner aux gens ce dont ils ont besoin, un pouvoir qui vire à la malédiction à cause de cet homme avide de pouvoir et en quête d'une vengeance personnelle sur sa destinée.
Personnage très intéressant qui fait basculer le récit dans le tragique, Renard, interprété par Steve Cochran, est un homme égoïste et assoiffé de chance. Accablé par le destin selon lui, égocentrique motivé par son besoin de pouvoir, Renard échappe à une mort malchanceuse grâce à ce vieil homme, symbolisant à ses yeux une chance en train de tourner. L'opportunité de devenir riche et puissant grâce à ce vieil homme fragile, occasion qu'il va tenter de saisir, la possibilité d'une revanche contre la fatalité, pour autant que ce vendeur accepte de collaborer avec lui.
Seulement, le vieil homme comprend vite qu'il ne pourra jamais se débarrasser de cet assoiffé, en quête d'une vengeance sur le destin qui ne s'arrêtera jamais. L'intrigue entre alors prise dans une spirale tandis qu'il devient évident que cet homme va fatalement tuer Pedott, demandant toujours plus, inconscient du fait qu'il crée son propre malheur. Plus passionnante, cette partie de l'épisode connait une conclusion infiniment tragique qui doit beaucoup aux comédiens et à une mise en scène qui place les visages des deux hommes en opposition.
Un épisode entre le bien et le mal
Par leur opposition, Renard et Pedott pourrait symboliser la lutte entre le bien et le mal, mais la vraie réussite de l'intrigue est d'installer une vraie nuance sur ce point. Par son comportement, Renard représente sans conteste une idée du mal, un affamé de pouvoir qui est prêt à tout pour réussir, quoi qu'il lui en coûte. Individu motivé par son besoin de gagner et de réussir, il cherche à soumettre le vieil homme tout refusant de faire le moindre acte de charité ou d'être simplement redevable. Enfermé dans sa solitude, il devient un peu plus le jouet du destin, payant au final le prix de son insatisfaction, incarnant une vision sombre de l'être humain.
De son côté, Pedott pourrait représenter une certaine idée du bien, altruiste se faisant le serviteur du destin en donnant aux autres l'objet qui va faire la différence. Mais l'histoire n'est heureusement pas si simple et le final le fait apparaître comme un simple manipulateur, lançant à Renard de nombreux avertissements volontairement confus pour se donner bonne conscience. Au final, il n'y a pas vraiment de bien dans cette histoire, juste deux solitudes qui s'affrontent, celle d'un homme qui s'est mis au service du destin et d'un autre qui refuse d'accepter le sien.
Trop sombre, le final est évidemment atténué par le premier acte, rajout essayant de donner un peu de morale à une histoire en définitive assez cruelle. Une atténuation de la noirceur de l'histoire de départ de Lewis Padgett qui montre un besoin de Serling d'une certaine morale, élément qui va petit à petit disparaître du show.
La difficulté de passer d'un format à un autre
Avec cet épisode, Rod Serling continue son travail d'adaptation avec le duo d'écrivains caché derrière le faux nom de Lewis Padgett. Seulement, le passage de la nouvelle à la série télévisée va nécessiter un gros travail de réécriture, surtout dans le premier acte d'exposition. C'est sur ce point que l'épisode déçoit, proposant une mise en place mal intégrée au sein de l'intrigue principale. Une révélation pour Serling qui va profondément remanier la méthode d'introduction des épisodes, l'amenant lentement à se mettre en scène en abandonnant la voix off pour présenter les problématiques de l'épisode.
En conclusion, un épisode qui démarre plutôt mal lors d'une scène inutilement explicative et beaucoup trop longue, détaillant un concept de départ pourtant ingénieux. La qualité des interprètes et la mise en scène élégante permet heureusement de profiter d'une seconde moitié plus inspirée, tandis que l'intrigue se teinte lentement d'une couleur particulièrement sombre. Moins ambitieux que d'habitude, une histoire en forme de conte qui vaut pour sa conclusion cynique à souhait, expression parfaite de l'inéluctabilité du destin.
J'aime :
- la seconde moitié plus sombre
- les comédiens très bons
- la mise en scène élégante
Je n'aime pas :
- l'introduction ratée
- certains passages trop prévisibles
- les ficelles trop apparentes
Note : 12 / 20
Une adaptation de Lewis Padgett moyennement convaincante, la faute à une première séquence dans le bar peu inspirée et trop prévisible. Heureusement, la bonne performance des comédiens et une seconde moitié plus sombre vient donner tout son intérêt à un épisode au final plutôt réussi.