Pitch Henry Spencer
Tandis que l'agent Cooper cherche encore le lien entre Leo Johnson et la drogue retrouvée dans les affaires de Laura Palmer, Audrey Horne décide de mener sa propre enquête en essayant de se rapprocher de son père, qu'elle suspecte d'avoir un lien avec le meurtre. De leur côté, Shelly Johnson et son amant Bobby Briggs mettent un plan au point pour mettre Cooper sur la piste de Leo Johnson.
Une direction artistique superbe
Premier des trois épisodes réalisés par Tim Hunter, il porte la patte très particulière de ce spécialiste des séries télévisés, qui participera entre autre à Mad Men, Breaking Bad, Caprica, Carnivale et bien d'autres. Très éloigné de l'esthétique de Lynch, il va apporter son style plutôt original tout en proposant un épisode qui constitue un très bon mélange entre le soap basique et un sens délicat de l'absurde.
Le décor de la scène entre Audrey et Donna est parfaitement dans le ton de l'épisode, mêlant des dialogues efficaces avec une recherche subtile d'un élément décalé au sein de chaque scène. Durant la séquence ci-dessus, le décor, en particulier cet assemblement de droites horizontales et de lignes brisées, est l'expression évidente de la psychologie de deux jeunes femmes. En ne cachant pas ses sentiments pour l'agent Cooper, Audrey prend une nouvelle ampleur au sein de l'histoire, se rangeant pour l'instant dans le camp de la recherche de la vérité.
Très inspiré de la structure feuilletonnante des soaps, cet épisode fait preuve d'un sens de l'autodérision remarquable, en particulier lors de la visite chez le vétérinaire. La courte séquence où l'agent Cooper se faire toiser par un lama est un vrai instant de comédie qui apporte une rupture dans la scène, une anomalie invraisemblable tout à fait dans l'esprit du show. Twin Peaks affirme de plus en plus son identité de soap totalement décalé, utilisant les clichés sur les soaps pour mieux apporter cette touche de bizarrerie qui fait le charme de la série.
Avec cet épisode, on découvre combien le show de Frost et Lynch fut une source de création remarquable, chaque artiste apportant sa touche d'originalité à l'édifice. Entre oeuvre populaire, mélodrame, polar ou récit au comique indiscutable, Twin Peaks parvient à regrouper tous les genres, tentant d'obtenir un résultat parfaitement homogène malgré la multitude d'influences qui la traversent.
Car si la forme varie en fonction des réalisateurs, la structure reste par contre parfaitement maitrisée, les différentes storylines commençant à s'orienter en vue d'un final très ambitieux. L'épisode serait en ce point parfait si la dimension surnaturelle de la série na pâtissait pas légèrement de l'orientation comique de l'épisode.
L'importance d'un fil d'Ariane
Pour sa première participation à la série, Robert Engels apporte déjà sa patte indéniable au scénario, créant un "fil d'Ariane" qui donne une plus grande clarté au show. Le "fil Ariane" consiste à lier les scènes entre elles par de petits détails qui permettent de donner une vraie cohérence à la totalité de l'épisode. Grand scénariste qui connu le succès avec "Andromeda", Robert Engels est, à mes yeux, trop fréquemment oublié dans la liste des artistes qui ont fait de Twin Peaks la série culte qu'elle est devenue.
Pour voir l'ampleur de son apport, il faut constater combien les premiers épisodes du show paraissent hachés, parvenant difficilement à trouver une vraie continuité dans la narration. Engels apporte sa touche personnelle lors de la scène où Cooper débarque à l'hôtel à la recherche de l'homme à un bras, au moment où le député Brennan tire maladroitement un coup de feu en échappant son arme.
Car au delà du simple aspect comique de cet incident, ce coup de feu va permettre de relier cette histoire avec celle de Benjamin Horne qui se trouve avec sa maîtresse dans un chambre voisine. En un seul détail, le spectateur connaît le "où, quand , comment ?" indispensable pour parfaitement bien suivre la progression de l'épisode et donner une vraie cohérence à l'ensemble. Tous ces petits détails permettent de créer l'illusion d'un petite ville, permettant une meilleure connexion des différents éléments de l'intrigue.
Norma Jennings ou la difficulté de faire un choix
L'arrivée d'Engels entraîne aussi celle de nouveaux personnages très réussis, dont le mari de Norma Jennings, la propriétaire du restaurant de la ville, un homme inquiétant qui vient jeter le trouble dans la vie de la jeune femme. Bel exemple de construction, le destin de cette femme mariée amoureuse d'Ed Hurley, lui même marié à une femme particulièrement instable et inquiétante, forme un quatuor amoureux idéal. Et annonce pour le show un avenir plutôt ambitieux.
Le retour de son mari fait la malheur de Norma, qui va devoir faire un choix avant de se retrouver prise au piège de son propre passé. Sans rapport évident avec le meurtre de Laura, son histoire permet juste d'insister sur l'aspect "petite ville où tout le monde se connaît" de Twin Peaks. Peu utilisée pour l'instant, Peggy Lipton incarne parfaitement cette femme de caractère, prise au piège de ses sentiments et de son passé.
Shelly Johnson ou l'apprentissage de la patience
Totalement à l'opposé de Norma, Shelly n'est absolument pas partagée entre deux hommes tant elle semble prête à tout pour se débarrasser de son mari. Sa liaison avec Bobby Briggs n'a clairement pas d'autres but que de le défier, la jeune femme ayant choisi le garçon le plus inoffensif et le plus manipulable de la ville. Le seul lien de cette femme avec l'affaire Palmer consiste en une chemise pleine de sang appartenant à son mari, chemise qu'elle a réussi à conserver.
Mädchen Amick est formidable dans ce rôle qui lui vaudra une nomination et l'amènera à une carrière très réussie. Très convaincante dans son rôle de femme blessée, elle apporte une touche de charme supplémentaire à la série, incarnant parfaitement la victime à laquelle les gens aiment s'attacher.
Un scénario qui trouve la distance idéale
Parfois à la limite de l'auto-parodie, cet épisode trouve avec intelligence la frontière idéale entre autodérision et polar, éclaircissant de nombreuses zones d'ombre en laissant apparaître les liens entre les personnages. Refusant de s'éparpiller, l'intrigue ose les indices les plus fous, envoyant Cooper à la chasse aux oiseaux de compagnie, laissant libre court à l'imagination étonnante des auteurs. Moins lourd que les précédents dans la forme, cet épisode se rapproche du soap tout en laissant parfaitement apparaître ce qui fait la singularité de Twin Peaks.
Personnage peu utilisé jusque là, Lucy Moran est formidable dans son rôle de secrétaire, apportant une tonalité comique indéniable à chacune de ces scènes.
J'aime :
- la réalisation formidable
- le scénario très clair et parfaitement réussi
- les touches d'humour remarquables
- un lama dans une salle d'attente, simplement génial
- Cooper en grande forme
J'aime pas :
- la dimension surnaturelle en partie disparue
Note : 16 / 20
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