Focus sur The Wire

Le 22 mai 2011 à 20:24  |  ~ 15 minutes de lecture
Il va m’être dur, très dur de parler de The Wire. La présenter dans son entière complexité me paraît quasi impossible, tant elle est riche et tant elle aborde de thèmes. Mais je me suis mis en tête d’en faire un focus, d’être le Saint qui répandra la bonne parole parmi les ignorants, et je tiendrai cette promesse. Même si ça veut dire que je n’arrive pas à restituer complètement son immensité.

Focus sur The Wire

~ 15 minutes de lecture
Il va m’être dur, très dur de parler de The Wire. La présenter dans son entière complexité me paraît quasi impossible, tant elle est riche et tant elle aborde de thèmes. Mais je me suis mis en tête d’en faire un focus, d’être le Saint qui répandra la bonne parole parmi les ignorants, et je tiendrai cette promesse. Même si ça veut dire que je n’arrive pas à restituer complètement son immensité.
Par Gouloudrouioul

Ce focus ne contient absolument aucun spoiler, et ne dévoile rien des intrigues de la série.

 

Il était une fois…

 The Wire donc, est une série créée par David Simon, ex journaliste pour le Baltimore Sun et Ed Burns, ex policier, puis ex professeur. Les deux hommes avaient travaillé pour HBO une première fois en sortant The Corner, une mini série de six épisodes sur les quartiers défavorisés de Baltimore. Frustrés parce qu’ils n’avaient pas pu développer leur sujet davantage, mais motivés par l’expérience de la télévision, ils vinrent voir la chaîne quelques années plus tard et lui proposèrent The Wire.

Avec ses 5 saisons et sa soixantaine d’épisodes, la série ne connut absolument aucun succès d’audiences. Pourtant, d’année en année alors que le nombre d’audience passait sous la barre des 500 000, HBO la renouvela. Pourquoi ? Parce que la critique était unanime : The Wire était l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure série existante.

Les deux flics en image de présentation sont trompeurs. The Wire n’est PAS une série policière. Ce n’est pas un NCIS un peu plus complexe, et ce n’est pas, ou très peu, une série à enquête. The Wire c’est l’antithèse même de ce genre d’usines à loners. Elle présente une histoire continue, lente, complexe, et qui ne trouve sa conclusion qu’à la fin des cinq saisons. Il serait dur à vrai dire de résumer la série, c’est pourquoi je ne vais pas le faire. Gardez juste en tête que The Wire est une description, un tableau, pris sous tous les angles de la ville de Baltimore. Elle passe au crible toutes les couches de la société sans en épargner aucune, et à travers une simple ville nous montre les aspects les plus noirs et les plus pessimistes d’une Amérique en décomposition. The Wire, c’est l’histoire des dealers comme des drogués, des politiciens comme des citoyens, des policiers comme des criminels. C’est le plus vaste et le plus complet portrait de la société jamais vu à la télévision, voire même au cinéma. Tout simplement.

 

 

It’s all in the game

Il faut dire que Baltimore était la ville idéale. Il est ici nécessaire de faire un petit cours de géographie (non ne partez pas, c’est très court). Comme vous vous en doutez, Baltimore se situe… aux Etats Unis. Plus précisément, à l’extrême Nord-Est des Etats Unis, près de l’océan, dans l’état du Maryland. Il y a donc un port, mais aussi de nombreux immigrants. La population de la ville est en grande majorité noire (à vrai dire, environ 70% du cast de The Wire est noir). La proximité du port et la situation géographique de la ville en fait une porte d’entrée pour la drogue, qui prendra lentement possession des quartiers pauvres de Baltimore, qui l’affaiblira et qui creusera grandement les différences sociales entre les diverses couches de la société.

Sous le prétexte premier de mettre en scène des policiers qui chercheront à démanteler un réseau de drogue, la série s’attarde sur tout l’engrenage qui fait que la misère s’auto alimente. Ici, pas question de mettre en valeur quelque personnage que ce soit, peu importe sa classe sociale. La série met à nue, montre tout sous un jour totalement objectif, sans chercher à influencer le spectateur. Les politiciens et les hautes instances sont ainsi montrés dans toute leur hypocrisie, mais également dans toute leur impuissance à faire quoi que ce soit d’utile. On comprend la complexité qui se cache sous le rôle d’un maire, d’un chef de police, ou même d’un avocat. On comprend à quel point le système est pourri, et empêche généralement de faire avancer les choses, même si on a toute la bonne volonté au monde.

La critique du département de police est constante durant les cinq saisons. A plusieurs moments dans le show on verra en effet que les chefs de police se soucient plus des statistiques que des résultats réels, ce qui empêchera souvent l’enquête d’avancer. La police est d’ailleurs montrée sous un jour totalement nouveau. Loin d’être à l’image des figures angéliques des networks, mais aussi loin des bads cops corrompus d’un The Shield, les flics sont ici tout simplement des êtres humains.

Mais là où l’analyse est la plus noire, la plus choquante, et la plus pessimiste, c’est dans les bas fonds de Baltimore. On suit la vie de dealers, nés dans la violence, conditionné par le « jeu », c'est-à-dire tout ce qui va avec le trafic de drogue : les meurtres, les arrestations. Ce qui tourne autour de cette misère, de cette impasse est particulièrement poignant. La saison 4, qui se concentre sur les jeunes et sur l’éducation est certainement l’une des meilleures saisons qu’il m’ait été donné de voir à la télévision. Elle démontre, avec une logique implacable, et une subtilité impressionnante, à quel point ceux qui sont nés dans les banlieues de Baltimore n’ont d’autres choix  que de suivre la voie de la drogue et de la violence, piégés dans leur propre ignorance, étouffés, accablés de tous les côtés par leurs parents, les professeurs, les dealers.

On se prend à s’attacher à des personnages qui tuent, détruisent la vie d’autres personnes, simplement parce qu’on les comprend, parce qu’on a vu tout ce qui les avait poussé à agir ainsi, parce que The Wire nous a prouvé que tout n’était pas si simple. On verra d’ailleurs souvent les flics et les dealers sympathiser. Une rencontre au cinéma, au restaurant avec les femmes et les enfants, ou encore au match de basket local, où ils plaisanteront sur les arrestations et autres, autant de scènes très drôles qui démontrent à quel point les choses sont complexes et parfois contradictoires.

On voit bien comment l’expérience de journaliste de David Simmon a pu servir à écrire la série, car l’ensemble est absolument terrible de réalisme. C’est ce qui rend le show si dur, mais aussi si touchant et si incroyablement vaste dans sa critique de la société.

 

 

Le meilleur roman à la télévision ?

Je me dois de vous avertir : The Wire n’est pas une série accessible. Il faut faire un grand effort pour entrer dans l’histoire, nous faire au rythme et nous attacher aux personnages. Le fait est que le pilot nous jette directement dans le bain, sans prendre le soin de nous expliquer les liens qui unissent tels personnages ou le fonctionnement de telle instance… La série oublie de nous prendre pour un con, et comme un grand, on doit essayer de tout démêler nous même, sans l’aide de personne. C’est dur au début, on a l’impression que la série est un show un peu intello, qui se contente de faire dans l’ultra réalisme sans prendre le spectateur en compte. C’est faux bien sûr. Il suffit de persévérer pendant les 4-5 premiers épisodes pour réaliser à quel point cette introduction était nécessaire.

Dites vous bien cela : vous n’entrez pas dans une série normale, mais vous vous préparez à mettre les pieds dans une fresque immense. Vous ne regarderez pas un épisode, mais un chapitre. Et quand apparaîtra le générique, quand l’épisode d’une heure sera terminé, vous n’aurez pas l’impression d’avoir regardé une série, mais d’avoir lu un roman. The Wire est en effet si dense, si dialoguée, si complexe qu’il serait dur de la cantonner au rang de simple série.

David Simon et Ed Burns sont des scénaristes de génies. Voilà comme ça c’est dit. Je n’ai jamais vu une série aussi immense au niveau des connexions et des ramifications. TOUT est lié. Les éléments posés en début de saison se resserreront au fur et à mesure, et même les choses qui à priori n’ont rien à voir finiront par se croiser. C’est incroyable de voir une telle maîtrise de l’écriture des intrigues, surtout quand il y en a au moins une vingtaine qui se suivent parallèlement.  

Une saison de The Wire, c’est comme un gigantesque entonnoir : on y met les ingrédients et ils finissent par se mélanger. La saison 2 est un véritable modèle du genre, certainement la plus ambitieuse et la plus complexe du show au niveau du nombre des intrigues. Les épisodes s’enchaînent de plus en plus vite, les pièces du puzzle s’imbriquent avec plus de clarté, pour parvenir à un final digne d’une tragédie grecque, d’autant plus jouissif que l’on a vu tous les éléments s’installer au cours de la saison sans l’ombre d’une incohérence. Chaque final nous laisse ainsi pantois devant les doigts de fée des scénaristes qui ont réussi à former un tout parfaitement cohérent avec un nombre incalculable d’histoires.

La fin de la série est à l’image de cette précision d’écriture. Les cinq saisons se joignent dans une logique hallucinante pour former un final qui agit comme une gigantesque claque, dont je ne suis pas prêt de me remettre. Je crois d’ailleurs que ce final justifie à lui seul le visionnage de la série.  

 

Où ? Baltimore. Qui ? Baltimore.

Forcément, sous ses airs d’ultra réalisme, The Wire est romancée. Ce que je veux dire par là c’est qu’elle sait mettre en place des situations drôles ou dramatiques et jouer avec les émotions du spectateur. Et c’est avant tout grâce aux personnages qu’elle a su créer, souvent charismatiques, tous très attachants. Il faut savoir que le casting est un sans faute. C’est simple, aucun acteur ne joue faux, tout est parfaitement crédible, si bien que parfois on se demande même si on est vraiment en train de voir une fiction.

Cette justesse s’explique sûrement par le fait que certains acteurs n’en sont pas vraiment. Beaucoup de dealers et d’enfants sont en effet joués par de vrais jeunes qui habitent dans les quartiers pauvres de Baltimore. Quelques acteurs de la série ont même un casier judiciaire… L'homme d’église que l’on croise à partir de la saison 3 était un gangster reconnu, faisait du trafic d’arme, avait tué quelques personnes ; l’actrice qui joue Snoop a été condamnée à quelques années de prison après la série pour avoir flingué quelqu’un ; et je ne doute pas que certains jeunes de la série aient dealé dans la vraie vie… Après cela, je vous prie de ne plus mettre en doute les qualités immersives de la série, merci bien.

Il va m’être difficile de parler des personnages de The Wire tant il y en a. A ce jour je n’ai jamais vu une série avec une telle galerie de personnages. L’ensemble du casting du show doit s’élever facilement à plus d’une centaine, et je n’exagère rien.  On pourrait supposer que Mc Nulty est le mieux placé pour prendre le rôle de personnage principal, sauf qu’il arrive parfois qu’il n’apparaisse pas pendant une saison entière, pour la simple et bonne raison qu’il n’offre rien d’intéressant à raconter. Mc Nulty est un flic, véritable connard qui aime faire chier ses supérieurs et qui délaisse sa vie personnelle pour les enquêtes. Ce mec est imbuvable. Drôle, mais imbuvable.
D’ailleurs, des connards drôles mais imbuvables, il y en a des tonnes dans la série.

De là à dire que le monde n’est presque constitué que de connards il n’y a qu’un pas, que la série refuse de franchir. Les personnages paraissent toujours au premier abord antipathiques, mais attendez quelques épisodes et vous vous prendrez à vous attacher à eux, à les comprendre, sans même vous en être rendu compte. La série fait encore une fois preuve d’une grande maîtrise concernant l’écriture de ses personnages. Elle parvient à les présenter sous un autre angle sans jamais tomber dans le démonstratisme ou dans le retournement de point de vue mal venu. Parfois vous vous prendrez à détester un personnage, parfois vous vous prendrez à l’adorer, parce que The Wire a su capter ce qu’était un être humain, avec ses bons et ses mauvais côtés, tout simplement.

Rawls, Burrell, Freamon, Bunk, Daniels, Greggs, Prezby, Ellis, Landsman, Hauk, Colvin, Sydnor, Valchek, Russell, Stringer, Dee, Avon, Wallace, Bodie, Stinkum, Proposition Joe, Slim Charles, Marlo, Snoop, Chris, Cheese, Carcetti, Clay, Royce, Norman, Randy, Namond, Michael, Sobotka, Cutty, Bubbles, Omar (le personnage préféré d'Obama, si si), Ziggy, Nick, Partlow, Wee-Bey, et j’en passe… Autant de personnages que l’on suit sur les 5 saisons, autant de personnages qui ont leur importance à un moment donné de l’histoire, et autant de personnages qu’il me serait impossible de définir si je ne veux pas que ce focus se transforme en roman russe. Le fait est qu'il n'y a pas de protagoniste plus important qu'un autre dans The Wire, car, comme se plaît à la dire son créateur, le personnage principal de la série c'est Baltimore elle même.

 


The Wire est une série que j’ai beaucoup de mal à expliquer. A chaque fois que j’essaye d’en parler à quelqu’un qui ne l’a pas vu, je vois son désintérêt. Elle joue sur tellement d’aspects, ouvre tellement de portes qu’il est très dur de la décrire à des gens qui n’en ont jamais entendu parler. Une personne lambda qui se mettrait devant un épisode de The Wire trouverait la série insipide, lente, incompréhensible. Il ne verrait pas tout ce qui se cache derrière.

Avec ce focus j’ai essayé de convaincre les gens en fonction de ce que la série propose sur le long terme, et non pas en fonction de ce qu'elle présente au premier abord. Dieu sait que The Wire est difficile à aborder. Au début il faut insister, rester concentré. Il faut passer outre le fait que vous vous emmerdez un peu. Mais si vous passez le cap des 4-5 premiers épisodes, je vous jure que vous vous retrouverez face un joyau d’écriture, d’une justesse et d’une précision absolument incroyable.
La meilleure série existante ? On ne doit pas en être loin.

L'auteur

Commentaires

Avatar Altaïr
Altaïr
J'arrive après la bataille, mais j'ai trouvé cet article excellent, il arrive à exprimer tout ce que je ressens sans parvenir à le formuler quand je regarde cette série ! Sinon pour revenir à la saison 2, personnellement j'ai adoré. La tragédie de la famille Sobotka m'a vraiment émue, et cette ambiance morose et sans avenir des docks est marquante. Pour le moment c'est la saison 5 qui me pose problème...

Avatar Puck
Puck
J'te jure, Altaïr, faut qu'on sache pourquoi on nous a séparées à la naissance.

Avatar Gouloudrouioul
Gouloudrouioul
Merci :) ! Pour la saison 5 j'espère au moins que tu verras le final comme je l'ai vu. Et merci aussi Captain (bizarre j'étais certain de t'avoir répondu à l'époque)

Avatar Altaïr
Altaïr
oui, plus que 3 épisodes à regarder pour la saison 5, on arrive au bout ! Je regrette de n'arriver sur ce site qu'après avoir vu tous les épisodes de The Wire, d'ailleurs... j'aimerais les chroniquer, mais chaque saison forme dans ma mémoire un tout indisociable, et hormis quelques scènes marquantes j'ai du mal à voir les épisodes comme des entités autonomes, critiquables en tant que tel.

Avatar CaptainFreeFrag
CaptainFreeFrag
Exactement pareil que toi, Altaïr ! Je vais attendre de me refaire la série en intégralité pour critiquer les épisodes un par un.

Avatar Gouloudrouioul
Gouloudrouioul
Tellement envie de me refaire la série aussi... Mais je vais attendre d'avoir un peu oublié. Captain toi aussi t'as moins aimé la 5 ?

Avatar CAD
CAD
@Altaïr : c'est pour ça qu'on a créé les bilans de saison :)

Avatar CaptainFreeFrag
CaptainFreeFrag
Ouais, la 5 est de loin la moins subtile et la moins bien écrite. Mais j'ai bien aimé le personnage de Gus (même s'il manque un peu d'épaisseur), et les grands évènements m'ont beaucoup marqué (rah, le 5.08 !). En fait, je place les saisons 1 et 4 au sommet, la saison 2 très très près, la 3 un peu derrière et la 5 en queue de peloton.

Avatar Gouloudrouioul
Gouloudrouioul
Alors si on fait des tops, moi ça serait plutôt : s4 hallucinante de justesse s3 pour la relation Stringer/Avon et Hamsterdam s1/s2 parce que les storyline de Wallace/Dee et des Sobotkas m'ont tout autant touché s5 pour son manque de subtilité, même si les derniers épisodes la font bien remonter

Avatar CaptainFreeFrag
CaptainFreeFrag
Je ne sais pas pourquoi, la saison 3 m'a un peu moins touché, même si j'adore Bunny Colvin et Hamsterdam, et même si Stringer Bell est fascinant et tragique ; peut-être parce que les autres storylines sont un peu moins fortes que d'habitude ... Et parce que je n'aime pas trop la musique du générique, aussi !

Image The Wire
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