Les meilleures séries TV américaines décryptées ou l’avènement de la fiction intelligente

Le 14 septembre 2013 à 16:56  |  ~ 29 minutes de lecture
Breaking Bad, Dexter, SFU, The Wire ? Quels sont les ingrédients de vos séries télévisées préférées ?
Par Hopper

Les meilleures séries TV américaines décryptées ou l’avènement de la fiction intelligente

~ 29 minutes de lecture
Breaking Bad, Dexter, SFU, The Wire ? Quels sont les ingrédients de vos séries télévisées préférées ?
Par Hopper

Le secret des meilleures séries télévisées modernes.

 

Sommaire 


Introduction

A. Des personnages au premier plan

B. Un téléspectateur impliqué

C. La narration du vide

D. Comparaison de scénarios (Hawaii 5-0 et Les Soprano)

Conclusion

 


Introduction

 

Il apparaît clairement que la maturité et la reconnaissance qui manquaient à la télévision ont peu à peu délesté le cinéma pour s’installer aujourd’hui avec fougue sur le petit écran. En effet, depuis les années 2000, les séries télévisées ne se sont jamais aussi bien portées : entre esthétisation marquée (Six pieds sous terre, Breaking Bad), ambition démesurée (Le Trône de Fer, Rome) et narration éclatée (Lost), le culte cathodique fait des émules, si bien que des réalisateurs comme Martin Scorsese et plus récemment David Fincher prennent les commandes le temps d’un épisode ou deux. Le premier s’est illustré dans le pilote de Boardwalk Empire, le second à travers le drame politique House of Cards.

En conséquence, les scénaristes doivent déployer des trésors d’ingéniosité pour surprendre et surtout fidéliser un public exigeant, mieux habitué aux grosses ficelles et donc moins dupe. Dans cette industrie sous haute concurrence, les showrunners tiennent la vedette ; à la fois scénaristes, producteurs, agents de liaison avec les studios, ces maîtres à penser portent sur leurs épaules vos séries préférées. Parmi les plus influents, saluons David Chase, le père des Soprano dont le regretté James Gandolfini occupait la tête d’affiche ; ensuite vient David Simon, explorateur profond des thèmes sociopolitiques de l’Amérique en villes, à l’origine de l’une des fictions les plus abouties du câble, Sur écoute ; et pour ne pas frustrer les connaisseurs, mentionnons Aaron Sorkin, Vince Gilligan, Tom Fontana, Alan Ball et tutti quanti.

La problématique qui nous intéresse est de savoir ce qui fait une bonne série TV aujourd’hui : concrètement, ce qui fait la différence, en matière d’écriture, entre des séries acclamées comme Mad Men ou Treme et des shows plus classiques ? Certes, même si cette réflexion ne se veut pas exhaustive, votre cher serviteur espère dépasser le simple catalogue (rappelez-vous qu’il n’existe pas de recette magique !) pour une analyse qu’il espère plus poussée et nuancée.

 

A. Des personnages au premier plan

 

La mode est aux antihéros dans les séries télévisées.

 

Si vous suivez un peu le cours des choses, vous avez sans doute remarqué que, vers les années 1990, les séries amorcent un virage décisif. Depuis la révolution Twin Peaks du tandem Lynch-Frost, certaines d’entre elles ne reposent plus vraiment sur un concept particulier, mais davantage sur leur personnage principal ou leurs protagonistes au pluriel. Disons par là que l’intérêt de ces fictions d’un nouveau genre se situe au-delà du simple pitch ; par exemple, la situation initiale de Breaking Bad ressemble à s’y méprendre à celle de Weeds (une mère ou un père de famille qui se retrouve contraint de plonger dans le milieu de la drogue), mais ce qui caractérise le bébé de Vince Gilligan est le traitement de Walter White à savoir « la transformation de monsieur Tout-le-Monde en Scarface ». Une transformation progressive qui verra Heisenberg évoluer au fur et à mesure des cinq saisons.

D’ailleurs, l’évolution est le maître mot dans bon nombre de ces séries et cette évolution découle d’une problématique générale ; dans Six pieds sous terre, il s’agit de dépasser le deuil et d’affronter la mort. Mais, ce n’est pas qu’un prétexte pour une réflexion nuancée sur la vie, mêlant la sexualité, les genres, la famille, la religion, la politique ou la psychologie. Fini le rêve américain ! Les scénaristes ne recherchent plus à tout prix le high concept du siècle ; nous avons désormais l’impression de suivre la vie d’Untel dans ses espoirs, ses échecs et ses contradictions. Que ce soit Don Draper, le mystérieux publicitaire de Mad Men, Tony Soprano, ce mafioso quarantenaire cruel et sympathique à la fois, ou notre bon vieux Walter White, la mode semble aux antihéros. Il nous paraît ainsi que le personnage inspire le cheminement de la série, et non pas le contraire, ce qui évite aux téléspectateurs tout canevas routinier ; et l’ancrage de ce personnage dans une époque, un domaine, un contexte particulier (pour Mad Men, il s’agit du milieu de la publicité dans le New York des années 60), participe à forger une atmosphère, une ambiance et une identité à ces fictions télévisuelles.

Dès lors, les scénaristes semblent adopter une construction plus organique, moins artificielle, qui se déroule sous nos yeux, les messieurs se permettant tous les détours possibles pour l’évolution des intervenants de telle sorte que l’idée originale importe moins, c’est son traitement qui nous intéresse. Mais ce parti pris serait vain sans la participation du public.

 

B. Un téléspectateur impliqué

 

Le rôle des spectateurs a évolué dans la télévision contemporaine.

 

Le rôle du spectateur s’est accentué dans les productions modernes. On ne cherche plus à l’assister et encore moins à lui tenir la main. Sur écoute en est le parfait exemple ; le pilote prend tout son temps à poser les bases, mais tout en présentant une multitude de personnages… C’est que le public a l’impression d’arriver en cours de série, d’avoir manqué le début ! La densité du scénario fait qu’il nécessite de s’investir dans le show, d’être attentif à tous les détails.

Et donc nécessairement, que serait l’investissement sans une période d’acclimatation durant laquelle le public s’implique dans l’univers, la psyché de ses intervenants et le jeu des relations ? C’est pourquoi des séries ronronnent avant de prendre réellement leur envol. Pensons à Sons of Anarchy qui se cherchera dans ses premiers épisodes, avant d’imploser dans la saison 2 voire même Breaking Bad qui ne montrera toute l’étendue de son potentiel qu’à partir de « Vendetta », le septième épisode de la saison 3.

Les fictions exigeantes n’apportent pas du divertissement facile, mais un divertissement qui s’accompagne d’un sentiment d’exaltation, sorte d’autosatisfaction. Ce sentiment découle justement d’une longue préparation, une montée en puissance comme une partition musicale réussie où les scénaristes semblent compresser les enjeux, les intrigues, en tirer un maximum et retarder ainsi le point de non-retour au possible. En gros, le but n’est pas de balancer de l’action comme toute série classique, mais de l’action avec du sens, une explosion, une concrétisation de la tension, jouissive, car attendue et justifiée par des enjeux clairement posés.

C’est une sorte de récompense de la part des auteurs pour avoir suivi une longue partie d’échecs pleine de temps forts, contrebalancée de moments beaucoup plus calmes, et où l’on assiste à la lutte psychologique des pions-personnages au sein de l’échiquier. Justement, en s’investissant dans cette longue préparation (amorcée souvent à l’échelle d’une saison), la concrétisation n’en est que plus forte pour le public ce qui la rend tout sauf anodine, à mon avis. Qui ne s’est pas rappelé du season finale de Prison Break ou l’aboutissement magistral d’une première saison toute somme honorable ? Si le public ne s’était pas autant intéressé au plan d’évasion de Michael Scofield comme il se doit, dans toute sa gestation et les complications inhérentes, cet épisode n’aurait pas provoqué grand tumulte.

Un autre exemple serait la saison 4 de Breaking Bad (oui, encore une fois). Avec un démarrage ou plutôt une mise en place assez poussive, elle était placée sous le signe de la confrontation entre les deux têtes pensantes, Walter White (l’ego surdimensionné et la nervosité) et Gustavo Fring (la froideur et le sang-froid). En effet, ce dernier tentera de monter Jesse et son père spirituel l’un contre l’autre. De ce point de vue, les deux personnages principaux évoluent pour la première fois séparément avant la confrontation finale qu’il est impossible d’omettre, car l’atmosphère y devient oppressante, les nerfs implosent avec cette impression de nager en plein délire paranoïaque dans une descente aux enfers. Quand les personnages sont poussés à bout, quand la tension est à son comble, quand l’écriture s’avère aussi remarquable que subtile (le seul talon d’Achille de Gus est le cartel, celui qui le faisait agir par pulsion et qui a causé sa perte ou l’échec et mat pour Heisenberg) et quand l’audience n’est pas prise pour des étourdis (à part le fameux plan des lys des vallées), le sentiment ressenti ne peut être qu’euphorique, jubilatoire.

Avec ce genre de coups de maître, le public se sent utile : il jouit tout d’abord de ce bagage de connaissances amassées qui est invoqué de manière inattendue et intelligente. À cela s’ajoute la part d’interprétation qui le laisse imaginer la suite ou revoir la globalité de l’œuvre comme un ensemble cohérent. Tout ça pour dire que sont assignés aux téléspectateurs les rôles de témoin à l’action, d’abord, puis celui de psychologue (décrypter ce qu’ils voient ou entendent à l’écran) et acteur (considérer le tout sous des angles différents, avoir le dernier mot) qui lui offre une liberté de manœuvre.

En ce qui concerne son rôle d’acteur, « La femme invisible » nous donne un exemple éloquent. Le mystère d’Emily Previn, cette quarantenaire morte de solitude, ne sera jamais résolu dans cet épisode de Six pieds sous terre ; libre à chacun de se faire sa propre idée et de s’émouvoir du sort de la dame. En tout cas, lorsque seule l’émotion est suggérée sans sentimentalisme ou pathos, la sauce gnangnan artificielle disparaît pour laisser vraiment ressurgir les sentiments de notre véritable être, tout droit sortis de notre vécu et de nos expériences, ce qui peut s’avérer puissant. D’ailleurs, Six pieds sous terre a le don de parler de choses auxquelles nous nous sommes heurtés une fois (Claire et sa peur de l’avenir entre autres) ce qui la rend si juste. Il vaut mieux donc considérer l’aficionado du petit écran non pas comme une marionnette qui verse une larme sur commande, mais comme un individu avec ses propres convictions et ses sensibilités personnelles.

 

C. La narration du vide

 

Rectify ou la notion de vide atmosphérique.

 

La narration atmosphérique, ou la narration du vide (à votre convenance) s’apparente plus à un sentiment, une impression de votre cher écrivaillon. Il y a d’abord un vide au niveau de la forme dans la télévision moderne. Le silence est tendu vers les mots, attire notre attention (voir la dilatation du temps dans le cinéma de Sergio Leone) ; le récit est raconté de façon spontanée, imaginative. Tout est utilisé dans l’accompagnement et le renforcement du récit par l’image, la composition, la structure graphique, le son.

Dans les grandes lignes, à force d’en trop dire, on n’en peut plus rien dire. Première remarque, donc : le vide narratif peut être le fruit du trop-plein en vertu d’une neutralisation des contradictoires. Il y a surtout un détachement entre l’émetteur et le récepteur. Par exemple, concernant Rectify , Abigail Spencer estime :

« La première saison ne se déroule que sur 7 jours. Cette temporalité très resserrée nous permet de prendre le temps, de laisser de l’espace pour les moments méditatifs. La série traite quelque chose de passionnant sur le temps et le développement émotionnel des gens qui ont vécu une catastrophe. Amantha est-elle restée coincée, d’une certaine façon, à 12 ans ? Daniel a-t-il changé ? Sont-ils bloqués dans leur passé ? Ils ont perdu leur innocence, mais ont-ils pour autant réussi à s’adapter à la vie, et réussiront-ils à évoluer vers leur nouveau quotidien ? Encore une fois, Rectify ne donne pas de réponses, mais elle invite à contempler ces questions. »

Rectify joue ainsi de manière spectaculaire avec les ambiguïtés. Daniel Holden est tellement énigmatique qu’il semble avoir perdu toute notion d’innocence et de culpabilité vis-à-vis du meurtre qui l’a plongé dans l’enfer carcéral ; ce mystère, s’il demeurait irrésolu, ne serait pas vu comme une lacune ou un obstacle pour le téléspectateur, mais bien peut-être, au contraire, un attrait. Cette composante s’inscrit dans son rôle d’acteur-juge extérieur, en parlant de l’audience.

Faisons également allusion à la fin mystique de Twin Peaks qui laissait un goût d’inachevé, inachèvement qui crée, ipso facto, un vide irréparable et qu’on peut croire accidentel. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas (cf un joli article sur les 3 univers de Twin Peaks et la répartition des personnages !). Un tel blanc au centre du tableau permet de donner son sens à une formule que le romancier Jean Giono aimait et qu’on lit dans la préface aux Chroniques romanesques : « exprimer quoi que ce soit se fait de deux façons : en décrivant l’objet, c’est le positif, ou bien en décrivant tout, sauf l’objet, et il apparaît dans ce qui manque, c’est le négatif » . C’est concrètement la mise en place d’une certaine « psychologie », ou du moins d’un nouvel usage de la psychologie. Il ne s’agit pas, par exemple, selon Giono, de procéder à une explication du comportement humain ni de définir les différents ressorts qui déterminent telle ou telle action. Il s’agit de montrer la nature humaine dans toute sa complexité et de mettre l’accent sur le mystère qui l’entoure souvent. En effet, les personnages sont montrés « en négatif », la psychologie d’un personnage n’est pas construite de façon claire, logique ou rigoureuse ; elle apparaît souvent de manière fragmentaire et indirecte. Certaines actions ou certains comportements demeurent en effet inexplicables pour le public. Black Lodge et White Lodge

D’un autre côté, pour en revenir aux silences, composante du vide, ce qu’il faut rappeler c’est qu’il n’y a pas que les mots qui peuvent aider à l’expression, mais aussi l’interprétation des acteurs et de la mise en scène, ce qui aide à accentuer l’expressivité. À de nombreuses reprises, tout au long de The Americans (au hasard), des références particulières et des sous-entendus permettent de comprendre bien des choses sans qu’elles soient dites textuellement. Pour le dire de manière plus triviale : le public n’est pas pris pour un con !

Mais si l’on se tourne vers les scénaristes et réalisateurs, on est amené à se demander s’ils n’introduisent pas dans leur récit une autre sorte de vides : les vides de la signification. Qu’ont-ils voulu dire ? Quel est le sens du générique ? Mais l’herméneutique, est-ce encore de la narratologie ? La réponse n’est pas une fin en soi, mais les moyens utilisés pour distiller cette réponse. À quoi bon vous asperger de ma phraséologie, si ce n’est pour vous livrer un exemple concret ?

« Changement de décor », saison 1 de Mad Men. Cette série est l’une de celles qui adoptent un rythme réaliste, documentaire même, un étendard anti-spectacle. Parfois, un plan muet suffit pour faire passer l’émotion et décrire l’état d’esprit d’un personnage, telle la scène de fin de l’épisode 9 : des pigeons s’envolant au ralenti tandis que Betty, l’épouse de Don Draper et mère de famille, leur tire dessus et nous ressentons son besoin d’ailleurs. Cette métaphore du pigeon est reprise tout du long de l’épisode avec brio jusqu’à cette conclusion d’une femme acceptant (malgré elle) sa condition. Notez également le rapprochement de la caméra sur le visage, l’ellipse temporelle, des fois même au milieu d’une phrase, et la prédominance du son. En plus de l’action, l’environnement devient la représentation de l’état d’âme du personnage, de ses appréhensions.

La scène en question :

 

 

Il n’est pas moins intéressant de faire un parallèle entre les séries télévisées et la Nouvelle Vague au cinéma. Matthew Weiner en reprend d’ailleurs les principales caractéristiques : les personnages principaux semblent ne pas avoir d’objectifs ; certains éléments interviennent parfois sans raison et il y a des changements de ton inattendus ; les fins sont généralement ouvertes et incertaines. N’oublions pas cette même recherche du vrai où la primauté est donnée aux gens simples et aux petites choses de la vie courante. En outre, le spectateur devient un acteur à part entière et, au travers de l’œuvre, l’auteur l’oblige à se poser des questions. Le regard dans le vide de Betty illustre bien ceci. Le spectateur est libre d’imaginer ce qu’il veut...

Et pour corroborer le tout, une citation de sieur Weiner avec en prime un extrait de film analysé :

« Mais notre référence quand nous préparions le premier épisode était Les Bonnes Femmes, de Claude Chabrol. C’est un film sur quatre femmes qui travaillent dans la même boutique, qui s’ennuient tout au long de la journée, mais il y a cette tension, ce suspense. Du point de vue de la mise en scène, c’est aussi un film qui est tourné en décors naturels, dans les rues de Paris. Il capte le pouls de l’époque. C’est ce que nous voulions faire avec Mad Men. »

 

D. Comparaison de scénarios (Hawaii 5-0 et Les Soprano)

 

Hawaii 5-0 est une série télévisée américaine créée d'après la série éponyme des années 1970.

 

Comme vous l’avez remarqué plus haut, l’angle choisi étant celui de l’écriture, il semble évident de comparer au moins les matériaux originels, à savoir les scripts, en omettant toutes les autres variables entrant en compte (distribution, réalisation, budgets et tutti quanti). Notre regard se portera sur Hawaii 5-0 et Les Soprano. Tous les extraits proviennent des pilotes. Cette comparaison peut paraître injuste : ceci dit, le but n’est pas de savoir ce qui dessert chaque parti, mais de marquer bien au contraire leurs différences.

INT. DR. MELFI’S WAITING ROOM — DAY

ANTHONY SOPRANO, 40, sits and waits. Uneasily. Staring confusedly at a vaguely erotic Klimit reproduction. Inner door opens. DR. JENNIFER MELFI (attractive, 35) appears.

DR. MELFI

Mr. Soprano?

TONY SOPRANO

Yeah.

INT. DR. MELFI’S OFFICE — DAY

Melfi gestures Tony to a choice of seating.

DR. MELFI

Have a seat.

She seats herself in a facing armchair. She looks at him with a polite, expectant gaze. He stares back, waiting. There is utter silence. Nothing happens. Such is psychotherapy. Finally —

DR. MELFI (CONT’D)

My understanding from Dr. Cusamano, your family physician, is that you collapsed, possibly a panic attack. You were unable to breathe.

TONY SOPRANO

They said it was a panic attack because of all the blood work and the neurological work came back negative. And they sent me here.

DR. MELFI

You don't agree that you had a panic attack?

He laughs - too loud.

DR. MELFI (CONT’D)

How are you feeling now?

TONY SOPRANO

Good. Fine. Back at work.

DR. MELFI

What line of work are you in?

TONY SOPRANO

Waste management consultant. Look, it's impossible for me to talk to a psychiatrist.

DR. MELFI

Any thoughts at all on why you blacked out?

Tony shrugs. Fidgets. Then —

TONY SOPRANO

I don’t know. Stress maybe.

DR. MELFI

About what?

TONY SOPRANO

I don’t know...

En jetant un coup d’œil au scénario susmentionné, nous remarquons que David Chase nourrit une véritable culture du vide qui se manifeste par le silence, de riches sous-entendus et un rythme posé accentué par les dialogues très courts. L’écriture est visuelle, quasi minimaliste, à aucun moment ne sont décrits les personnages, ni leurs émotions.

« David a la réputation d’être dur avec les scénaristes, explique Matthew Weiner qui travaillait naguère en tant que scénariste dans le show. Mais le simple fait d’observer sa nature sans compromis m’a tout appris. Il fait une confiance totale au public. Je ne l’ai jamais entendu dire : “Ils ne comprendront pas.” »

Tony rigole bruyamment, hausse les épaules. Ce personnage fascinant est dépeint à la fois de façon très ordinaire avec son côté beauf misogyne, réac, mais qui aura le temps plus tard d’afficher toute sa complexité et ses contradictions.

Une citation du créateur des Soprano :

« Ceci dit, tout passe par le dialogue et le jeu d’acteurs, donc un dialogue bien écrit constitue la base essentielle de la construction d’une histoire. Une fois que le verbal est mûr, posé, vous pouvez introduire dans votre écriture des stratégies non verbales ; quelque chose que j’aime beaucoup exploiter. Je pense notamment à un épisode particulièrement grave où un des personnages est à l’hôpital, entre la vie et la mort. Les dialogues, dans cette séquence, sont extrêmement minimalistes. J’ai souhaité écrire des dialogues assez “bateaux”, et insignifiants et superficiels, c’est-à-dire tels qu’ils nous paraissent toujours dans ce genre de situations réelles, où chacun dit “Everything’s gonna be all right”, tout va s’arranger. À la place, nous avons mis l’accent sur la musique avec une chanson d’Ottis Redding, et une succession de plans tournés dans des salles vides de l’hôpital. En tant que dialoguiste, il ne faut surtout pas essayer de tout dire, mais trouver des outils, des techniques pour pouvoir exprimer aussi l’indicible. »

Par ailleurs, David Chase ne cache pas aussi son amour pour le cinéma européen :

« Il faut insister inlassablement. Raconter une histoire qui nous habite, cela n’arrive même plus tellement dans les films, sauf chez certains indépendants. J’ai beaucoup appris des Européens. Avant d’être exposé aux nouvelles vagues qui ont déferlé sur le Vieux Continent, je pensais que les films sortaient d’une usine, comme des Chevrolet. Je me souviens être allé voir Cul-de-sac de Polanski et avoir commencé à réfléchir différemment. Qu’y a-t-il de plus personnel que Les Quatre Cents Coups, Bergman, Fellini ? Aux États-Unis, Woody Allen s’est épanoui dans les années 70 et ce n’est pas un hasard. C’est la seule période à Hollywood où le pouvoir a été donné aux créateurs, comme une anomalie historique. De grands films ont existé durant l’ère des studios, mais un auteur comme Howard Hawks parlait-il à la première personne ? Et John Ford ? Ses idées et ses sentiments traversaient ses films, pourtant je ne crois pas qu’il ait parlé de sa famille dans le Maine. »

Passons maintenant à notre autre cas d’étude :

EXT. USS ARIZONA MEMORIAL - PEARL HARBOR - DAY

TRACKING ALONG the memorial structure spanning the mid-section of the sunken battleship. Richard and the agents lead McGarrett past THE WALL OF HONOR. Names of men entombed here. One stands out -- « S. McGARRETT. » His grandfather. McGarrett stares, confronting his family's legacy.

Up ahead, a LONE FIGURE approaches to meet him -- GOVERNOR PAT JAMESON, a rather beautiful woman in her early 40’s; local Hawaiian with a Washingtonian’s backbone, she’s a unique mix of brilliance, grace, and compassion:

GOVERNOR JAMESON

Thank you for seeing me, Commander.

(offers a hand ; he shakes)

I’m so sorry for your loss. There are no words to make this easy.

MCGARRETT

Is this about the investigation?

GOVERNOR JAMESON

We’re doing everything we can. We have alerts out across all the islands.

MCGARRETT

All due respect, you're not going to find Victor Hesse with roadblocks and search warrants. He’s gone underground until he can find a safe way to leave the island. Now why am I here?

GOVERNOR JAMESON

I’d like to help you get what you came for.

(off his look)

... let’s walk. And they do... against the endless ocean horizon...

GOVERNOR JAMESON (CONT’D)

You know as well as I do: When people think of us, it’s beaches, Luaus, and Mai-Tais -- that goes for the wallets in Washington, until I reminded them our strategic importance hasn’t changed since World War Two: these islands were the early warning and first line of defense against invading armies, only now we do it with international terrorists -- to say nothing of the drug smugglers, organized crime, human trafficking and prostitution -- it all comes through here first. Except we can’t just close the roads and bridges when someone pulls the alarm -- we’re surrounded by water in case you haven’t noticed, and if the number eight arms dealer on Interpol’s watch list can just slip in undetected and murder a police officer... it’s time for a game-changer.

(stops walking)

Your father’s death was a wake-up call -- I can’t afford to wait for the next appropriations bill to pass: I'm putting together a task force. I want you to run it.

MCGARRETT

... you don’t even know me.

GOVERN OR JAMESON

I know your resume. Annapolis. Navy SEALS. Four years as a special investigator. Then five with Naval Intelligence. I can't think of anyone bett--

MCGARRETT

Okay, lemme stop you right there: I’ve been tracking Victor Hesse for five years. His reach is far and wide, his sources are well hidden -- the man’s a ghost, like I’ve never seen in my career -- if he was bold enough to surface, I promise you he’s already planned an exit strategy and he knows I know it -- which means I can barely even afford the hour it’ll take to bury my father, let alone stand here talking to you. With that, he turns and starts to go...

Hawaii 5-0 est une véritable représentation de l’efficacité dramatique. Les scénaristes utilisent le walk and talk (marcher-parler) qui consiste à filmer en plans-séquence des acteurs qui se déplacent en conversant. L’objectif assumé est d’avoir une transition fluide d’un lieu à l’autre ou suggérer que les héros sont pressés et débordés.

Ici, le scénario est très explicatif et assiste le spectateur dans la compréhension de la série. Au niveau de l’écriture, la règle d’or est dans un premier temps d’annoncer ce qui va se passer, dans un deuxième temps de le montrer, et enfin dans un troisième temps de l’expliquer. C’est pourquoi les dialogues sont plus étoffés et nombreux.

Le style narratif, dit en « low-fat writing », recourt à un style elliptique grâce à une construction en dominos. Les scènes « tombent » les unes après les autres, entraînant la suivante. Cette technique permet d’emporter le spectateur dans un rythme de narration qui l’empêche de formuler des objections et l’immerger totalement dans le divertissement.

 

Conclusion

 

Il semble exister deux façons de captiver le public à la télévision. D’un côté, des séries lentes travaillant la psychologie des personnages, celles que nous avons étudiées telles que Les Soprano, Sur écoute, Larry et son nombril et d’autres qui essayent d’accrocher le public avec un rythme beaucoup plus haletant multipliant les rebondissements et les cliffhangers… Les deux styles, les deux approches se valent puisqu’il y a un public pour chacune de ces cousines opposées qui cherchent finalement la distraction.

Nous remarquons cependant une hausse de qualité des séries télévisées, une hausse qui s’accompagne d’une multiplication des genres élargissant ainsi le public potentiel. Si les enquêtes policières sont encore largement omniprésentes, des genres autrefois délaissés sont également revenus sur le devant de la scène avec de plus grandes ambitions, comme le western (Deadwood et Hell on Wheels : L'enfer de l'ouest), les zombies (The Walking Dead) ou la fantasy (Le Trône de fer). L’engouement suscité d’ailleurs par cette dernière série qui, malgré ses qualités, est pourtant loin d’être le programme le plus maîtrisé et le plus abouti, témoigne des attentes des spectateurs d’avoir un spectacle télévisuel de qualité dans le genre qui leur correspond.

La liberté de ton s’est également développée dans le genre notamment avec une série comme Nip/Tuck qui aborde sans détour des sujets tabous comme le sexe ou la drogue et met en scène avec réalisme et une crudité « politiquement incorrecte » des opérations de chirurgie esthétique.

 

Voilà, en espérant que vous ayez apprécié ce dossier, qui se voulait nuancé et un brin intéressant. Bien sûr, tout ne repose pas seulement sur l’écriture, et nombre de facteurs extérieurs importent, tels que les acteurs, la mise en scène, la bande-son, la longueur et les contraintes inhérentes au médium.

Ah, et je suppose que vous avez des choses à dire, chers amis lecteurs. Je suis désormais tout ouïe !

L'auteur

Commentaires

Avatar Kaidjin
Kaidjin
Excellent article. C'est toujours intéressant d'essayer d'analyser ce qui fait la qualité d'une série, et tu soulèves des points très intéressants. J'avais moi même rédigé quelque chose là dessus : http://www.quora.com/Television-Series/What-makes-a-great-TV-show/answer/Benoit-Averty C'est beaucoup moins abouti évidemment, j'ai fait ça un jour un peu "calme" au boulot, mais ce sont des éléments qui me semblent importants (même si je les ai moins défendus que ceux que tu soulèves) Bon par contre je regrette ma culture Sérielle encore un peu limitée, j'ai du mal à pleinement apprécier tes exemples puisque je ne connait pas encore toutes les séries dont tu parles. Au moins ça me fait une liste à rattraper !

Avatar Scarch
Scarch
Quel article ! Vraiment très intéressant. A lire et relire et a méditer, il soulève une grande question qui pourrait faire l'objet d'une suite : qu'est-ce qui a changé dans le cinéma ces 15 dernières années, en quoi raconte-t-il mieux le monde et l'homme et ou est donc passée la naïveté. Il y aurait de quoi écrire une bonne vingtaine de page. En tout cas, vu l'intensité de l'article, je pourrais juste suggérer d'avantage de photos, et de prendre exemple sur le scénariste de Soprano que tu cites : découpe, laisse réfléchir. Je dis ça mais je ne suis pas capable de le faire. Cela dit je me permet parce que tout l'article est une mine d'informations et de réflexion . Chapeau et merci.

Avatar Hopper
Hopper
@Kaidjin. Merci d’avoir pris le temps de m’adresser ce message. Ton compliment me touche réellement. Il n’est pas simple d’ériger les points qui font la qualité d’une série et j’estime que nos réponses différeront d’un sériephile à l’autre, selon nos goûts et nos références. Sur ce point, je ne suis pas d’accord. À ton actif (d’après ton activité sur Quora) : Sherlock, Luther, Breaking Bad, The Shadow Line, Game of Thrones, Scrubs, The Sopranos, etc. Je pense que tu n’as pas de quoi rougir. Par exemple, je n’ai mentionné dans ce dossier que des séries américaines et si je m’étais intéressé aux séries anglaises (ceux de la BBC particulièrement), le fruit de ma réflexion aurait été différent, tellement les Britanniques ont de la patte. De façon générale, le format est plus court (6 épisodes ou moins) avec une préférence des épisodes, se suivant indépendamment (allô, Black Mirror), un penchant pour le réalisme, des couleurs ternes et tutti quanti. Sinon, j’ai lu et en même temps apprécié ton fameux manifeste (merci pour le lien). Une série aura beau avoir toutes les qualités requises, il lui faudra le truc en plus (j’aime beaucoup cette idée). Les showrunners décrivent cette part d’inconnu comme le « Fairy Dust », qu’on pourrait traduire par la « poussière magique » ou la « poussière de fée », au choix, et c’est ce que rend le processus si excitant, ce côté organique, cette alchimie de plusieurs ingrédients (musique, acteurs, écriture, hasard, etc.). Ça me rappelle cette coïncidence dans Breaking Bad : à la base, le pilote devait se dérouler à Los Angeles et c’est pour des raisons économiques que Gilligan a accepté de tourner dans Albuquerque. Cordialement,

Avatar Koss
Koss
Article très intéressant. Je n'avais jamais fait gaffe à cette narration du vide que tu décris, mais en fait oui, tu as raison, la clef du succès réside exactement ici. Ce qui est fort justement, c'est que ce type de narration nous permet de conclure ce que l'on souhaite sur une scène forte. Tu évoques la très belle scène de Betty Draper et des pigeons en disant que "nous ressentons son besoin d’ailleurs. ". J'y vois au contraire comme une forme de vengeance et de frustration. Cela dit, nos deux approches ne sont pas si antinomiques. PS : " la situation initiale de Breaking Bad ressemble à s’y méprendre à celle de Weeds " => C'est marrant car c'est précisément pour cela que je n'avais pas regardé Breaking Bad au début, détestant Weeds.

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Hopper
@Scarch. Je te retourne le compliment, j’aime tout autant tes critiques et tes analyses (ton dossier-monstre sur Breaking Bad, of course). Ensuite, bien sûr, force est de constater qu’un tas de questions restent à soulever et je n’ai fait qu’en effleurer quelques-unes. Dans ta problématique, tu parles de cinéma. Je ne sais pas si c’est une faute de frappe ou un lapsus. En tout cas, je suis persuadé, que ce soit pour le septième art ou les séries télévisées (même si le médium est tout même jeune) ou pour tout autre art narratif, il y a des principes narratifs de base posés par Aristote depuis l’Antiquité. Je serais tenté de dire que Gilligan n’a rien inventé, il ne fait qu’employer les canons de la dramaturgie classique à l’extrême. C’est justement l’enrobage, les thèmes traités plus contemporains qui font de Breaking Bad le Macbeth moderne. Je te recommande cet article qui trace d’une belle façon ce parallèle aux tragédies shakespeariennes : http://www.petaire.fr/2012/11/29/breaking-bad-importance-du-mythe/ Je sais que je me disperse un peu et j’attendrais un peu plus de précisions avant de me prononcer totalement. Sinon, concernant la présentation, je ne suis pas un très grand spécialiste. Quels genres d’images devrais-je ajouter à ton avis ? Ah ! Et avant de finir, un petit rappel ne fait aucun mal à personne : Il était une fois en Amérique, Sergio Leone, si ça te dit quelque chose. ;) Cordialement,

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@Koss. Merci de t’intéresser à mon article ! Je suis content qu’il t’ait plu. Pour rebondir sur le point susmentionné, à mon avis, l’apogée de la narration du vide, c’est Six Feet Under (que tu sembles avoir apprécié au vu de tes critiques, même si dernièrement The Wire accapare plus ton esprit). À chaque fin d’épisode, il y a un moment qui nous pousse à réfléchir et au passage, je suis peut-être bien inactif sur le forum, mais j’ai des yeux de lynx. Ensuite, il est moins évident de déceler la narration du vide dans les autres séries. Breaking Bad avait aussi cette tendance dans les premières saisons (le lancer d’allumettes dans l’eau, voir le pilote), mais désormais les scénaristes touchent un autre niveau : on passe d’un character-driven à un plot-driven show. Pour faire simple, les personnages au début faisaient avancer l’histoire par leurs actions (ils avaient le contrôle), influençant leur environnement, et c’est leurs gestes qui se retournent contre eux ce qui ajoute une toute nouvelle optique et une nouvelle relecture. C’est pourquoi j’aime faire le parallèle avec la tragédie : « l’enchaînement des événements et le dénouement nécessairement dramatique relèvent d’une fatalité implacable, qui peut sembler injuste, inique et bien au-delà de l’endurance humaine. » Justement, Villigan parle du concept d’inévitabilité dans une interview : http://www.vulture.com/2013/01/vince-gilligan-on-writing-breaking-bad-finale.html. Ce que je veux dire par là, c’est que contrairement à la scène des pigeons avec Betty, reflet de sa psyché, ici est dépeinte la fatalité, sorte de punition, de jugement moral qui nous laisse toujours une part d’interprétation (cette fois-ci, mesurer les causes et conséquences). Je te renvoie au rôle d’acteur-psychologue concernant le téléspectateur. J’espère avoir été clair, tellement la narration du vide revêt d’autres usages. Tiens, tiens, au juste, as-tu regardé Breaking Bad ? D’après tes compatriotes, ce n’est guère le cas. Qui croire ?

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Scarch
J'avais écris un long dossier sur l'histoire de la série tv ou tout un article était consacré à la poétique d'aristote oui. Je l'ai lu exprès, et j'ai été tout bonnement sidéré de constater que l'art narratif suit une constante depuis plus de 2000 ans. Pour ce qui est du cinéma, ce n'est ni un lapsus, ni une faute de frappe. La série TV, c'est du cinéma pour moi désormais. j'avais aussi fait un article sur la série TV en tant que septième art et demi et j'en étais arrivé à la conclusion que les deux médiums finiraient par se rejoindre ineluctablement. Le cinéma s'invite de plus en lus dans nos salons, et la série TV inspire de plus en plus son grand frère même dans son format (Saw). Enfin, tout cela mériterait plus que quelques lignes pour être développé. Pour les images, c'est à l'inspiration. Celles qui te viennent en t^te quand tu te relis. Des schémas aussi parfois, pour clarifier certaines idées que tu juges importantes. En gros, il faut essayer de faire entre voici et le monde : l'équipe ^^ . merci également pour tes compliments.

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