Après le premier numéro de la rubrique “Et après ?” consacré à la série Six Feet Under, Série-All n’a pas chômé et a décidé de vous proposer encore une nouvelle rubrique. Son nom : Le Tribun-All.
Le principe est simple : dès qu’une série ou une saison est sujette à débat, elle doit faire face au jugement impitoyable de notre tribun-all, le seul à pouvoir décider de son innocence ou de sa culpabilité. Et quoi de mieux que True Detective, dont la saison 2 a été plus que contestée par la presse et le public, pour débuter cette nouvelle rubrique… Attention, la séance est ouverte !
– True Detective saison 2 ?
– Oui ?
– Vous êtes en état d’arrestation !
– Comment ? Mais pour quel motif ?
– Vous êtes accusée d’avoir déçu votre public !
– C’est faux, je ne suis pas coupable.
– Le Tribun-All en décidera.
Les membres du Tribun-All* :
True Detective Saison 2, l'accusée :
Face à :
Juste Icier, le Juge (Nicknackpadiwak)
Eddy Moitou, le Procureur (Antofisherb)
Alphonse Danlemur, l'Avocat de la défense (Galax)
David Étonsac, le Témoin (Cail1)
*Peu importe le rôle qui a été attribué aux rédacteurs ci-dessus (Juge, Procureur, Avocat de la défense ou Témoin), ils ont tous participé à l'élaboration et la rédaction du dossier pour chacune des parties : Accusation et Défense.
Avant d'aller plus loin, sachez que pour avoir une vision des faits optimale, l'intégralité de la saison sera prise en compte, et donc gare aux spoilers.
La parole est à l’accusation
Rappel des chefs d'accusation :
Tout d'abord, je voudrais rappeler à la Cour que les chefs d'accusation concernent cette saison 2 de True Detective à la fois par rapport à la première saison, mais également par rapport à sa propre qualité intrinsèque. L'avis du Juge sera ainsi... imparti-all !
Saison 2 de True Detective, vous êtes donc accusée d’avoir maltraité vos personnages et d’avoir remplacé un duo charismatique par un quatuor inégal. Vous êtes également accusée d’avoir complexifié inutilement votre scénario, ainsi que d’avoir proposé une réalisation manquant de cohérence et surtout d’une réelle mise en scène. Enfin, vous êtes accusée d’avoir délaissé votre ambiance si particulière pour un cadre plus classique.
Monsieur le Juge, j'aimerais maintenant appeler à la barre mon témoin, David Étonsac, un fan déçu par True Detective.
Le témoin est appelé à la barre :
- Chef d'accusation n°1 : Les personnages de cette deuxième saison ont-ils été maltraités ?
Si vous le voulez bien, commençons par le premier chef d'accusation avec cette question : Que pensez-vous des quatre personnages principaux de cette saison ?
La vraie force de la saison 1, c’était la présence de deux personnages bien distincts, avec des philosophies de vie contraires qui permettaient des discussions riches, quitte à être un peu surlignées. Dans la saison 2, les personnages ont tous leurs problèmes personnels mais ils sont trop fades : le mafieux ne sort pas vraiment du stéréotype de l’ancien patron à qui tout échappe, la femme flic a bien quelques névroses issues du passé mais elles sont peu exploitées, le motard est parfois intriguant mais reste bien trop obscur et inexploité, quant au personnage du flic divorcé, c’est en revanche pour moi le seul dont l’exploration au cours de la saison est réellement intéressante car moteur d’action, ou en tout cas de dramatisation. Dans l'ensemble, si on compare ces personnages à ceux de la saison 1, il y a clairement une baisse de niveau.
Pour vous, cette baisse de niveau est due en grande partie au fait que la série a choisi de centrer son intrigue autour de quatre personnages principaux au lieu de deux la saison dernière. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Cette saison, Nic Pizzolatto a fait le choix de miser sur quatre personnages principaux au lieu de deux. Dès le premier épisode, je sentais que c’était une mauvaise idée et cela n’a fait que se confirmer au fur et à mesure de la saison. Quand on choisit de centrer son intrigue sur plusieurs protagonistes, c’est très risqué. Cela l’est d’autant plus lorsque l’intrigue en question est prévue uniquement sur huit épisodes, un format qui réduit considérablement le temps que l’on peut accorder au développement et à l’évolution de chacun d’eux. Dès lors que nous étions passés à quatre protagonistes principaux, c'était quasi évident que les scénaristes allaient se casser les dents et qu'ils ne parviendraient pas à s'occuper correctement de chacun d’eux avec un nombre d'épisodes aussi réduit. C'est pour cela que la plupart des intrigues secondaires concernant la vie privée des personnages sont inintéressantes. On a le sentiment qu'elles sont bâclées et que les scénaristes n'ont pas été jusqu'au bout de ce qu'ils avaient envie de faire avec certains d'entre eux. C'est particulièrement vrai pour le personnage de Paul dont l'homosexualité (ou la bisexualité) a été à peine dévoilée ou avec Ani dont l'addiction sexuelle n'a fait qu'être survolée de temps à autre sans jamais vraiment apporter quelque chose. Au final, de nombreux personnages secondaires comme la copine et la mère de Paul ou encore la sœur et le père gourou d'Ani n'auront pas servi à grand chose... Il faut dire que c'est frustrant parce qu'il y avait tellement de bonnes idées, mais elles ont presque toutes été mal exploitées à cause du fait qu'il y avait trop peu d'épisodes pour réellement développer leurs histoires respectives.
Vous êtes en train d'affirmer qu'il aurait été préférable que la saison comporte davantage d'épisodes ?
Oh mon dieu non ! Surtout pas ! Huit épisodes, ce fut déjà beaucoup je trouve. Par contre, je pense qu'ils auraient pu réduire le nombre de personnages principaux et se contenter de deux personnages comme pour la première saison. Au final, il n'y a que les personnages de Ray et celui de Frank Semyon qui s'en sortent à peu près bien cette saison. Ce sont eux les véritables personnages principaux, et la série aurait gagné à se focaliser uniquement sur eux. Au lieu de ça, on a l'impression qu'elle n'assume pas ce choix apparemment évident...
Pourtant cette saison, True Detective a décidé de mettre une femme au cœur de son histoire en la personne d'Ani Bezzerides (Rachel McAdams). Vous ne trouvez pas que ce soit une bonne idée ?
J'aurais trouvé cela génial si le procédé n'était pas malhonnête. C'est tout à leur honneur d'avoir eu envie de mettre un personnage féminin fort parmi les rôles principaux. Mais soyons honnêtes : à force de vouloir insister sur le côté femme libérée et l'aspect bad girl du personnage d'Ani, les scénaristes ont fini par tomber dans la caricature. Avec elle, on a l'impression qu'une femme libre et indépendante, c'est forcément une femme qui aime le sexe et se jette sur tous les hommes qu'elle rencontre. Le personnage est plus complexe que cela au final, mais on se souvient surtout d'elle pour ça et c'est bien dommage. Je sais que Nic Pizzolatto croyait bien faire avec elle, mais je trouve certains choix la concernant assez maladroits et il a encore beaucoup d'efforts à faire de ce côté-là. Il n'y a qu'à voir les personnages féminins secondaires pour s'en convaincre totalement. Que ce soit la copine et la mère de Paul, la femme de Frank ou même l'ex-femme de Ray, elles sont souvent dans des positions de faire-valoir pour mettre en avant les personnages masculins, leur vulnérabilité et leur héroïsme.
- Chef d'accusation n°2 : la série a-t-elle fait disparaître injustement un duo d'acteurs charismatique ?
Que pensez-vous du casting de cette deuxième saison ?
À cause de l’écriture des personnages et des dialogues, on ne peut pas vraiment dire que les acteurs aient particulièrement brillé, contrairement à ce bon vieux Matthew en saison 1. Vince Vaughn s’en sort bien à contre-emploi, mais son personnage est trop cliché et passe six épisodes à jouer presque constamment le même type de scènes : un entretien au cours duquel soit il menace, soit il est menacé. C’est sympa, mais c’est pas non plus la grande folie. Rachel McAdams, elle, fait le boulot mais là encore c’est sans plus. Colin Farell est un acteur sous-estimé qui sait se révéler, mais il lui arrive quand même de surjouer quelques répliques en prenant un ton grave. Je n’ai même pas envie de parler de Taylor Kitsch. L’acteur est tellement invisible qu’il est difficile de se prononcer.
Taylor Kitsch invisible ! Le mot est fort, vous ne trouvez pas ?
C’est surtout la vérité. Là encore, l’écriture du personnage y est pour beaucoup. N’importe quel acteur autre que Taylor Kitsch aurait eu du mal à incarner un personnage aussi fade, mis en retrait et aussi mal exploité. Sa mort n’apporte aucune émotion. Après John Carter, c’est à croire que tous les scénaristes américains se sont donnés le mot pour flinguer sa carrière.
- Chef d’accusation n° 3 : La série-a-t-elle complexifié inutilement son scénario dans cette deuxième saison ?
Parlons un peu du scénario maintenant. Celui de la saison 1 était ce qu’il était, mais qu’avez-vous pensé de celui de cette saison ?
A vrai dire le scénario de la saison 1 n’était pas simple, loin de là, mais il avait une direction claire, une enquête unique partagée par les deux personnages principaux. Ici, les personnages vont dans tous les sens, se croisent parfois ou évoluent séparément sur des sous-intrigues plus ou moins claires. Si on ne retient quasiment aucun nom au cours des épisodes, c’est qu’il y a un problème, non ? D’ailleurs, est-ce que quelqu’un dans la salle est capable de me dire qui est Osip Agranov, Elvis Ilinca ou encore Richard Geldof ?
...
(Grand silence dans la salle, quelques bruits de toux et des regards en l’air)
...
C’est bien ce que je pensais...
Vous évoquez la complexité de l’intrigue principale, mais cette complexité n’aurait-elle pas pu être volontaire afin de justement perdre le spectateur dans ce Los Angeles labyrinthique et multiple ?
Peut-être, mais où est véritablement l’intérêt narratif ? Cela ne sert guère plus qu’à rendre le spectateur confus et à lui faire perdre l’intérêt qu’il a pour l’intrigue, mais aussi pour les personnages puisqu’on ne sait plus pourquoi ils agissent !
Et concernant les rebondissements ?
Ils ne sont pas tous mauvais, mais il y a clairement une paresse d’écriture cette saison, peut-être due au fait que Nic Pizzolatto n’a eu qu’un an pour écrire cette deuxième saison contre cinq (??) pour la première. Il n’empêche qu’entre la fausse pirouette énervante en fin d’épisode 2 et la grande similarité du procédé narratif entre les épisodes 4 et 5 de cette année et ceux de l’année dernière, cette saison de True Detective a eu recours à des artifices un peu grossiers pour faire avancer son intrigue. La similitude entre la construction des deux saisons ne s'arrête pas là puisque comme cette dernière, il y a un élément à la fin de l'épisode 7 préfigurant le climax de fin. Et comme la première, il s'agit d'un personnage brièvement aperçu au cours d'un interrogatoire peu après le début de l'enquête qui était le coupable et qui ressurgit dans le dernier épisode...
- Chef d’accusation n°4 : La série a-t-elle proposé une réalisation au rabais pour sa deuxième saison ?
Pourquoi accusez-vous True Detective d’avoir proposé une réalisation au rabais lors de cette deuxième saison ?
Parce que c’est le cas ! Si nous l’analysons d’un peu plus près, la réalisation de cette deuxième saison est globalement plus paresseuse que la première. Dans l’ensemble, ces huit épisodes manquent clairement de fulgurance et de petits morceaux de bravoure. Il y a bien des scènes de fusillade qui viennent redonner un peu de rythme à l’ensemble, mais pour être tout à fait honnête, je dirais que cette saison s’est montrée assez mollassonne et n’a montré aucune véritable intention de mise en scène. Personnellement, je n’ai pas retrouvé ce que j’avais aimé la saison dernière : le discours opposant la vérité au mensonge à travers des flashbacks en voix-off ou encore le plan séquence de la première saison. C’était grâce à des moments comme ceux-là que la série était parvenue à se transcender et à surprendre ses téléspectateurs. Ici, HBO oblige, tout est bien filmé, mais la réalisation a pris une tournure définitivement trop classique. Elle s’apparente presque à celle d’un simple téléfilm. Il manque un réel propos derrière, une symbiose entre les personnages et le déroulement narratif.
Quelle est la cause de ce manque d’après vous ?
L’absence de Cary Fukunaga à la réalisation. Ce réalisateur a un véritable point de vue et un vrai sens de la mise en scène. Dommage que la petite guéguerre entre lui et Nic Pizzolatto ait eu raison de sa patience. Il a préféré partir vers d’autres horizons et suite à son départ, HBO a fait le choix de ne plus renouveler le format « un réalisateur pour huit épisodes ». Par conséquent, cette saison manque d’une patte bien spécifique, d’un point de vue bien affirmé et d’une cohérence esthétique. La qualité générale est inégale en fonction des réalisateurs et ça se ressent d’un épisode à un autre. Les dirigeants d’HBO n’auraient jamais dû céder aux caprices de leur showrunner… j’espère au moins qu’ils s’en souviendront à l’avenir et que cet échec leur aura servi de leçon.
- Chef d’accusation n°5 : La série a-t-elle perdu son ambiance si particulière ?
True Detective est une série d’ambiance. Ses décors et sa musique y occupent une place prépondérante et participent activement à l’élaboration du récit. Avez-vous eu ce même sentiment au cours de cette deuxième saison ?
Pas du tout ! Los Angeles, avec ses autoroutes, ses bâtiments industriels et ses gratte-ciels, c’est bien joli mais on est quand même loin de l’ambiance des bayous louisianais avec leur charme et leur atmosphère naturellement fantastique. Le choix de centrer l’action de cette saison en Californie n’a fait que renforcer son aspect très classique. En situant son action dans un tel contexte, True Detective est définitivement devenu une série comme les autres et c’est bien dommage…
Très bien. Merci pour vos réponses David Étonsac. Votre Honneur, je n’ai plus rien à rajouter.
Dans ce cas, nous allons maintenant donner la parole à l’avocat de la défense : Alphonse Danlemur. C'est à vous de jouer !
La parole est à la défense
- Chef d’accusation n°1 : Les personnages de cette deuxième saison ont-ils été maltraités ?
Qu'avez-vous à répondre au premier chef d'accusation remettant en cause les personnages de cette deuxième saison ?
L’une des grandes forces de la première saison de True Detective, c’était ses deux personnages principaux. Mystérieux, imparfaits, abîmés par la vie, ils étaient des anti-héros en puissance, mais c’est aussi tout ce qui faisait leur charme. Dans cette deuxième saison, on retrouve un peu cet aspect-là chez Ray Velcoro et Frank Semyon, le véritable duo charismatique de cette deuxième saison. La relation entre ces deux hommes est passionnante, puisqu'elle mélange à la fois admiration, respect et méfiance. Au fur et à mesure des épisodes, cette relation a gagné en intensité et restera finalement l’une des meilleures choses de la saison. Le final est centré sur eux et c'est en se servant d'eux comme d'intermédiaires que la série nous transmet son message. Ainsi, la deuxième saison n'aura finalement pas à rougir devant la première.
Que répondez-vous à l'accusation quand elle dit que le surnombre des personnages a nui à l'efficacité de leur traitement ?
Il semble évident qu'avec quatre personnages différents, des disparités de traitement allaient apparaître et il est en effet dommageable de voir que certains personnages – notamment Paul – sont en-dessous des autres. Pourtant, était-ce si différent en saison 1 ? Le personnage de Matthew McConaughey, Rust Cohle, était la vrai star du show. Son binôme avec Woody Harrelson permettait en effet de réduire le scope de la série à un seul duo de policiers mais faisait pâle figure. Quant à tous les autres personnages, ils étaient balayés, que ce soient les autres policiers ou l'entourage de Marty. La saison 2 fait plus interagir ses personnages avec l'univers qui les entoure. Les nombreuses institutions (communes, polices, procuration, mairies) entourant les villes de Vinci, Ventura ou L.A. s'imbriquent bien mieux entre elles et poussent les personnages à bout. Une lente évolution s'installe alors, qui les rapproche petit à petit du gouffre et de l'inévitable.
Justement, en parlant d'évolution, que pensez-vous des changements concernant les personnages, qui ont été vivement critiqués par rapport aux deux détectives de la première saison, dont on a pu suivre la métamorphose grâce à une ellipse vers le futur ?
Dans la saison 2, les personnages se retrouvent dépassés par le monde dans lequel ils vivent et par la situation dans laquelle les placent l'enquête. Comme le dit Ray dès le second épisode à sa partenaire Ani : il ne croit pas qu'ils soient supposés résoudre l'affaire. Pourtant, tous les trois (Frank, Ani, Ray) sont déterminés à demander réparation et sont aveuglés par leur volonté de justice. Dans un monde où aucun d'eux ne trouve vraiment sa place – Frank le businessman déchu peinant à devenir père, Ani la femme dans un univers masculin qui souffre en plus d'une enfance démolie, Ray le flic qui est carrément décrit par sa collègue comme "une épave" – ils s'engagent dans une lutte perdue d'avance. Le développement des personnages cette saison vise alors à montrer le combat de policiers rongés par la vie dans un monde qui ne leur correspond pas. Dès lors, nous ne sommes que réduits à contempler la chute de ces êtres en les regardant se battre en vain. La conclusion donne l'issue amère et pessimiste que l'on attendait, et parvient malgré tout à la rendre tragique. Ne pas surprendre mais toucher, c'est le signe d'une histoire de qualité. La série n'a pas maltraité ses personnages, et le season-finale a même réussi à les sublimer. Leur évolution, n'allant certes que dans un sens, est ce qu'il y a de plus beau à voir dans True Detective.
Que penser alors de Paul, qui est souvent cité comme l'un des échecs de la saison ?
Paul Woodrugh est un électron libre. Il est malheureusement relégué au second plan dans cette saison, allant jusqu’à disparaître avant le final. Il ne faut pas pour autant le considérer comme un personnage raté. Comme les trois autres, la vie ne lui a pas fait de cadeau. Mais contrairement à eux, Paul est un homme droit. Honnête et respectable, il est, comme dit Ani, "le meilleur d'entre nous". L'ironie, c'est qu'il n'en a pas conscience et se fait du mal en se remettant sans cesse en question. Le fait qu'il soit à l'origine de l'enquête alors qu'il était en train de jouer avec sa vie, tant sa quête d'identité le rongeait ; le fait qu'il n'ait ensuite comme objectif que de retourner sur sa moto car c'est ce qui lui permet de s'évader ; le fait que ce soit lui la première victime de cette lutte... En fait, Paul se fait mener à la baguette par le scénario qui lui en fait baver. Par opposition aux trois autres, il ne cherche pas à lutter, étant trop occupé à se battre avec lui-même (allant jusqu'à risquer le suicide à la fin du premier épisode). Par conséquent, il est vrai qu'en tant que personnage, il est peut-être moins intéressant que les autres, mais je dirais plutôt qu'il est différent, il n'a pas le même rôle, pas la même utilité. Et sans que l'on s'en rende compte, il a été absolument crucial au déroulement de la saison et au développement de ses thèmes.
Que répondez-vous au fait que la vie personnelle des protagonistes est inintéressante ?
Ce n'est pas tout à fait juste. Encore une fois c'est surtout une question de comparaison et de perspective. La vie personnelle de Ray a été considérée comme la plus touchante du lot, peut-être car elle est la moins complexe et la plus humaine ? Celles de Frank et Ani ont beau avoir eu de l'ombre à cause du scénario, elles n'en restent pas moins intéressantes. Quant à Paul, sa vie personnelle permet à la série d'aborder un autre aspect – l'homosexualité – d'un de ses thèmes majeurs – la masculinité – de manière peu habituelle.
Enfin, qu'avez-vous à répondre lorsque l'accusation dit que le fait de placer une femme en tête était un procédé malhonnête ?
Ce n'est pas exactement vrai. Comme je l'ai dit il y a peu, la masculinité est un thème fondamental chez True Detective depuis la saison 1. Il faut l'accepter en regardant la série. Les femmes n'ont pas leur mot à dire. Nic Pizzolato a été très malin en créant le personnage d'Antigone Bezzerides. Il a en effet donné aux critiques ce qu'elles voulaient : un lead féminin, tout en l'intégrant dans le thème de la série en définissant son personnage selon les hommes. La série n'a été malhonnête qu'à hauteur de ses affiches de promo, à la limite. Très vite, on comprend que le personnage d'Ani n'est qu'une autre façon d'aborder le point de vue des hommes. Une phrase qu'elle prononce dans un des fameux dialogues à quatre yeux en voiture (un procédé dans lequel True Detective excelle) m'a particulièrement marqué : "Fundamental differences between the sexes is that one of them can kill the other with their hands". Ici, elle définit clairement le sexe féminin selon le sexe masculin. On ne peut pas faire plus évident. Sinon, quoi ? Ani a un couteau qu'elle n'a jamais l'occasion d'utiliser. Elle a des pulsions sexuelles dont on ne parle que peu. Finalement, ses attributs ne se résument principalement que dans la vision du monde qu'elle partage avec Ray. Leur union à la fin en est la preuve : ils ne comptent plus que pour un. Tout comme Kelly ne compte plus que pour un personnage avec Frank. Si les deux femmes s'en sortent à la fin de la saison, tandis que leurs hommes tombent (avec un paquet d'autres hommes), c'est encore une fois pour appuyer le propos de la série.
Alors oui, le résultat c'est qu'au final les femmes n'ont toujours pas leur mot à dire et que l'on peut interpréter la fin comme un énième acte héroïque attribué à l'homme. Sauf que reprocher à cette saison de ne pas bien utiliser les femmes, c'est tout sauf crédible en regardant la saison 1. La saison 2 ne peut pas être condamnée pour cela, sinon toute la série devrait prendre. Et cette saison 2 aura eu le mérite de faire figurer des femmes charismatiques, ce qui est déjà un progrès.
- Chef d’accusation n°2 : la série a-t-elle fait disparaître injustement un duo d’acteur charismatique ?
Passons au deuxième chef d'accusation en rapport avec le casting. Qu'avez-vous à dire à ce sujet ?
Le casting est plutôt bon dans cette saison 2, il faut le reconnaître. Pour moi, Vince Vaughn a enfin trouvé ici un rôle à sa hauteur. Après avoir joué dans une multitude de comédies américaines au rabais, on le découvre sous un nouveau jour et surtout on se rend compte de son talent. Même si les premiers épisodes ont été particulièrement difficiles, à mon avis, il y aura un avant et un après True Detective pour lui. Du côté de Colin Farrell, c’est un peu la même chose. J’ai été surpris par les qualités d’interprétation de l’acteur que je ne connaissais pas aussi talentueux. Comme pour sa première saison, la série parvient une nouvelle fois à magnifier certains de ses acteurs et on ne va pas s’en plaindre.
De plus, le cast n'est pas que bon, il est solide et harmonieux. Aucun acteur n’éclipse l’autre. Ici, pas de “Rust show”, les quatre acteurs principaux se complètent donc avec harmonie, même si au final les “prestations de groupes” auraient pu être plus nombreuses.
Le "Rust Show" ! Encore une pique à la première saison ?
Oui, il ne faut pas l'oublier. Woody Harrelson brillait-il vraiment face à Matthew McCanaughey ? Ça se discute fortement. En tout cas, il ne faut pas regretter un duo d'acteurs car de toute manière, il fallait avancer. Leur histoire étant couverte de A à Z, une suite directe était impensable. Les acteurs de la saison 2 ont beau avoir eu leur petite scène faiblarde de temps à autres, le passage de flambeau se faisait avec beaucoup de pression et ils s'en sortent avec plus que les honneurs.
Ces petites "scènes faiblardes" seraient justement plus la cause de dialogues perchés et inadaptés, selon l'accusation...
L'appréciation d'un jeu d'acteur, surtout des acteurs aussi connus que ceux-là, tient plus de la subjectivité. Pour les dialogues, est-ce vraiment le cas ? Matthew McConaughey parvenait à faire dire à son personnage "Time is a flat circle" en saison 1 en ayant l'air intelligent. Vérifiez, c'est une vraie citation, que j'appellerais même pièce à conviction n° 1 ! Pourtant, cette phrase est complètement conne quand on la lit bien hors de son contexte. Si personne ne s'est plaint, c'est peut-être que Matthew McConaughey arrivait à nous faire avaler les convictions de son personnage. Nic Pizzolato et le prétendu "invisible" Taylor Kitsch ont même passé une journée entière dans un bar à converser autour du personnage de Paul afin de coller le plus fidèlement possible au jeu de Kitsch. Ce n'est donc clairement pas l'écriture qui est responsable... Si certains personnages de cette deuxième saison n'ont pas réussi à convaincre certaines personnes du public, ce n'est pas l'écriture qu'il faut blâmer, ce sont bien les acteurs. Mais dans l'ensemble, ces derniers s'en sont très bien sortis.
- Chef d’accusation n° 3 : La série a-t-elle complexifié inutilement son scénario dans cette deuxième saison ?
Est-ce que comme l'accusation, vous pensez que la série a inutilement complexifié son scénario lors de cette deuxième saison ?
On peut dire en effet que le scénario est complexifié au point où il est difficile de suivre l'enquête de la saison.
Cependant je pense qu'il s'agit plus d'une inadaptation qu'un véritable problème d'écriture. Il est clair que d'une semaine sur l'autre, on a oublié un paquet d'informations. True Detective montre peut-être ici ses limites en terme de télévision.
Que voulez-vous dire par là ?
En regardant de plus près la saison, rien qu'en revoyant le premier ou les deux premiers épisodes, on se rend compte que toute l'enquête est extrêmement bien ficelée et cohérente, que des détails ressurgissent au moment où on s'y attend le moins. Si l'on excepte quelques scènes un peu hors de propos avec le personnage de Frank Semyon, tout le reste est sacrément bien monté comme un château de cartes dont nous dévalons progressivement les pentes.
Le season-finale met d'ailleurs énormément en valeur son enquête, contrairement à la première saison qui préférait l'éclipser par une fin symbolique et mystique pour ne pas avoir à trouver de réels motifs. Oui, dans cette saison, on s'est tous demandé "qui était ce foutu Stan", mais on comprend finalement que c'est un homme de main de Frank auquel il tenait. Tout comme on comprend qu'Osip Agranov est un "bad guy", etc. Ce ne sont que des noms, ce n'est pas si grave. Par contre pour la saison 1, on en est toujours à se demander ce qu'étaient ces foutus Carcossa et Yellow King... C'est peut-être petit mais en se limitant au season-finale, la saison 2 se montre plus convaincante que la 1. Toute l'idée finale de mettre Ray et Ani en cavale est extrêmement intéressante et la conclusion de l'histoire des personnages parvient à très bien s'imbriquer avec celle de l'intrigue.
Le problème se situerait donc plus au niveau de la narration en générale, trop confuse, que de l'enquête et du scénario lui-même ?
C'est ça. L'écriture n'est pas suffisamment talentueuse pour nous faire adhérer à ce récit narratif et complexe, contrairement à des séries comme, disons, The Wire. Que cela soit déjà un problème ou pas dans la première saison n'est pas le sujet ici. Il faudrait en tout cas des efforts de ce côté-là, car la méthode binge-watching pour gommer certaines longueurs n'est en l'état pas possible avec la diffusion de la série.
- Chef d’accusation n°4 : La série a-t-elle proposé une réalisation au rabais pour sa deuxième saison ?
Votre cliente est accusée d'avoir proposé une réalisation paresseuse cette année. Êtes-vous d'accord avec cette idée ?
Définitivement pas ! Certes, la saison manque effectivement de cohérence d'ensemble, on ne peut que donner raison à l'accusation sur ce point et l'absence de Cary Fukunaga est la preuve irréfutable de ce constat. Seulement, la série n'en reste pas moins magnifique à regarder tout le long. On est bien loin d'un niveau de "téléfilm", ce serait presque insulter le travail des réalisateurs (et ils sont plusieurs cette fois en plus...).
Qu'avez-vous à répondre quand on dit que la réalisation manque de propos et n'est pas en adéquation avec la série ?
La symbolique et la symbiose de la caméra avec celle des personnages n'a pas disparu, bien au contraire. Il y a bien une certaine mise en parallèle entre les routes sinueuses de Los Angeles et le mélange complexe des personnages et des situations au sein de la ville, que de nombreuses transitions soulignent. Les lumières sont bien choisies, les plans de coupe sur les autoroutes sont bien filmés et dans l’ensemble les scènes d’affrontement sont suffisamment rythmées pour être efficaces. C’est tellement bien filmé que même une simple scène mettant en scène deux personnages qui discutent devient intéressante et parvient à nous captiver. Et puis, parlons du générique tout de même ! Quelle beauté ! Il est tout aussi bien que le précédent, pas de doute là-dessus.
Certes, mais du coup, ne manque-t-il pas un certain génie comme on pouvait en avoir avec le plan séquence dans la première saison ?
Question. A vous Monsieur le Juge, mais également aux Jurés et à toute l'assistance. Vous devriez en principe, dès la fin de ma phrase, avoir la réponse. Pouvez-vous me citer un plan dans la saison 1 qui vous a énormément marqué et qui était un exemple de savoir-faire hors du commun, hormis le plan séquence de l'épisode 4 ou la dernière scène de la saison (sinon c'est trop facile) ?
...
(Silence dans la salle)
...
Ce n'est pas si évident de trouver une réponse, n'est-ce pas ?
Peut-être qu'il y en a plein, des moments marquants visuellement, pas de doute là-dessus, heureusement même ! Mais encore une fois, on subit l'effet "l'arbre qui cache la forêt" en saison 1, puisqu'à force de ne parler que du plan séquence on en a oublié le reste. La saison 2 mêle au contraire de nombreuses séquences fortes, sans qu'aucune n'éclipse l’autre. Elle forme un tout finalement plus harmonieux et constant sur le plan qualitatif. La scène de la fusillade réaliste et immersive, la confrontation Frank/Ray dans la cuisine qui est un exemple parfait de tension, la poursuite dans la station de métro abandonnée, l'infiltration au manoir, la course dans la forêt de Ray ou la longue agonie de Frank dans le désert tandis que sa femme apparaît devant lui... la saison 2 ne manque pas de moments visuellement marquants.
Certes, ce n'est pas aussi millimétré que la Louisiane de Cary Fukunaga... mais la localisation n'a-t-elle justement pas un rôle dans cela ? Le fait que la Louisiane soit un paysage aussi peu connu des télévisions, ne fausse-t-il pas notre opinion sur une "cohérence" de l'ensemble ? Los Angeles et la Californie est après tout un cadre bien plus classique, mais on ne peut pas dire non plus que c'est le jour et la nuit entre chaque épisode. Ce n'est plus la patte d'un réalisateur, mais c'est toujours une patte. Et puis il reste justement l'ambiance...
C'est justement le dernier point que la défense abordera...
- Chef d’accusation n°5 : La série a-t-elle perdu son ambiance si particulière ?
Pour le coup, l’ambiance, si elle n’est pas toujours à son paroxysme, est peut-être ce qu’il y a de plus réussi dans cette deuxième saison. Car les créateurs ont su s’éloigner de la première afin de proposer quelque chose de différent et pourtant tout aussi intéressant : montrer un Los Angeles aux multiples quartiers insondables et aux activités souterraines. Surtout, montrer ses habitants, ici des flics à la dérive et au bord de la dépression nerveuse, victimes d’un système individualiste et impitoyable. Cela s'intègre donc super bien à ce que j'évoquais tout à l'heure à propos de l'interaction des personnages avec le monde qui les entoure, rejoignant le thème de "la chute inévitable" dans lequel baigne la saison.
Le choix de la Californie comme cadre principal de l’action se révèle finalement assez pertinent et correspond bien à l’atmosphère que souhaite instaurer la série cette saison. Les plans sur les longues autoroutes californiennes, sur les déserts et sur les bâtiments industriels, contribuent à l’élaboration d’une atmosphère étouffante et angoissante. La ville est surtout montrée la nuit, ou alors dans des bars, des boîtes de nuit, des quartiers pauvres ou encore des clubs échangistes. Les nombreuses séquences en prise de vue aérienne de L.A. donnent un sentiment hypnotique, comme l’impression d’un nid de fourmis. Là encore, cela rejoint le schéma complexe de l'enquête à travers les différentes villes.
Bref, il faut bien avouer qu'esthétiquement, True Detective est toujours aussi travaillée et inhabituelle. En plus, cette ambiance participe justement à l'harmonie générale. Elle "remplace" en quelque sorte la réalisation léchée, cohérente et sublime de la saison 1. Sur ce point la saison a su se créer une identité, une cohérence de l’ensemble, une ambiance somme toute sombre, à l’image du propos de la série. Un exemple marquant : plusieurs épisodes se terminent sur un montage de tous les personnages avec comme base principale le bar où se retrouvent Ray et Frank, sur un fond de musique de Lera Lynn. La musique contribue beaucoup à l’ambiance de la saison et nous offre quelques pistes mémorables (par exemple, My Least Favourite Life, ou ma préférée, Lately). Le générique de la série, on l'a déjà évoqué, est vraiment toujours aussi magnifique, et la voix de Leonard Cohen est également très envoûtante. En résumé, l’ambiance est plus envoûtante que jamais.
Le Tribun-All rend son verdict
Silence dans la salle ! Le Juge va rendre son verdict…
Pour ce qui est du chef d'accusation numéro 1. True Detective, vous étiez accusée d'avoir maltraité vos personnages. Votre avocat a eu l'occasion de vous défendre. Le Tribun-All n’est pas parvenu à se mettre d’accord et préfère donc rendre un verdict neutre.
Si des doutes persistent quant à l’écriture parfois maladroite et inachevée de certains protagonistes, le duo Ray Velcoro et Frank Semyon a su convaincre les jurés. Ces derniers refusent donc de trancher pour ou contre ce chef d’accusation.
Ce n’est pas fini ! Concernant le chef d’accusation numéro 2, True Detective, vous étiez accusée d’avoir remplacé injustement un duo charismatique par un quatuor inégal. Le Tribun-All a pris connaissance des arguments des deux parties et a rendu son verdict. L’accusée a été déclarée… non coupable !
Pour le Tribun-All, il a été reconnu que si mauvais jeu d'acting il peut y avoir parfois, ce n'est pas la faute des acteurs mais uniquement de l'écriture. De plus, en règle générale, les prestations de Vince Vaughn, Rachel McAdams et surtout Colin Farrel ont impressionné.
Bref, Taylor Kitsh, tu t'en sors bien.
Passons maintenant au troisième chef d’accusation. True Detective, vous étiez accusée d’avoir complexifié inutilement votre scénario. Le Tribun-All a écouté votre défense et rendu son verdict. L’accusée a été déclarée… coupable !
Même si la défense assure que votre enquête est bien ficelée, le chemin pour arriver à sa résolution a été jugé assez laborieux par les membres du Jury. Trop de sous-personnages, trop de faux-rebondissements et de sous-intrigues ont joué en votre défaveur.
Dans le quatrième chef d’accusation énoncé, True Detective, vous étiez accusée d’avoir proposé une réalisation au rabais. Le Tribun-All a rendu son verdict. L’accusée a été déclarée… coupable !
Malgré des scènes percutantes et intenses, le Jury a adhéré aux arguments de l’accusation et trouve que dans l’ensemble vous avez manqué d’ambition et de bravoure cette saison. En outre, vous êtes accusée d’avoir congédié injustement votre réalisateur Cary Fukunaga qui pourtant avait su faire ses preuves la saison dernière.
Nous voilà donc arrivés au dernier chef d’accusation. Pour ce dernier, vous étiez accusée d’avoir abandonné votre ambiance si particulière au profit d’une ambiance un peu trop classique. Le Tribun-All a rendu son verdict. L’accusée a été déclarée… non coupable !
Si vous avez déçu cette saison, True Detective, vous avez aussi su surprendre. Le Jury s’accorde à dire que vous êtes parvenue à bien vous approprier votre nouvel univers (décors et musique) pour vous forger une véritable identité, à la fois envoûtante et intrigante.
Non M. Farrell ! Inutile de soudoyer le Jury pour obtenir gain de cause malgré le verdict dans l'ensemble neutre. Certains s’y sont risqués et n’ont pas passé la saison. Et puis, vous oubliez sans doute une chose importante. C’est votre public qui reste le seul véritable Juge.
Oui, chers lecteurs, c'est bien à vous et à vous seuls, après avoir lu tout notre débat, de trancher sur la question : True Detective Saison 2 a-t-elle été à la hauteur ? On attend votre verdict !