Quand on était gosse, chaque été, on alignait tous nos Playmobil dans le jardin. Et c’était avec ces quelques dizaines de figurines en plastique et des tas de parpaing qu’on organisait des batailles épiques au scénario hollywoodien dément. Il y avait mille morts puis... en fait non. Des dragons, nos petites sœurs, des monstres lovecraftiens (les trois à ne pas confondre), puis mon chien qui reniflait vite-fait un groupe de soldats et les projetait tous au sol.
“OSSSCAAAAAAR-EEEEEUHH !!”
On était gosses, on était un peu cons. Mais on savait s’éclater. Et Flux dans le fond me rappelle vraiment cette époque, mais je ne sais même pas si c’est bien.
Déconstruction
Pour être juste, les thèmes de l’épisode font vraiment écho à ce qui est fait depuis trois saisons et même avant. Chris Chibnall réécrit l’Histoire de la série comme un cycle d’abus et de traumatismes. Et de fait, il délivre une vision tellement cynique qu’elle peut légitimement interroger.
Pour Steven Moffat, son prédécesseur, Doctor Who restait toujours une réponse à l’oppression. Le Docteur pouvait être le produit d’une mentalité patriarcale. Il apprenait quand même à devenir un meilleur homme en écoutant des femmes comme Amy, Clara, River, ou Bill, et en les laissant être maîtresses de leur propre récit.
Le Doctor Who moffatien était autant un récit de déconstruction de la masculinité toxique qu’un récit d’émancipation.
Le Doctor Who chibnallien de l’autre côté est un autre récit de déconstruction. Mais il est plus désespéré et amer. Il désigne surtout la série comme le produit d’un imaginaire colonial. Darren Mooney a souligné les parallèles qui sont dressés entre la Docteur et sa mère abusive, Tecteun.
Otherwise, it’s a hell of a bold statement to make the central relationship at the heart of Doctor Who the uncomfortable echo of a trauma that the Doctor only subconsciously remembered. What happened the Doctor is horrible, and it’s an interesting choice to invite a direct comparison between that abuse and the behaviour of the central character across the nearly sixty years of the show’s history. Survivors of the Flux suggests that the Doctor was a companion once, and that the experience scarred them so severely that they’ve spent thousands of years replaying that horror on unsuspecting mortals.
Ce n’est pas la première fois que la série reconnaît le rapport toxique du Docteur à ses compagnons. Kill the Moon et Hell Bent sont par exemple deux grands récits de déconstruction. Et la relation transgressive du Douzième Docteur et de Clara a bénéficié d’un développement radical sur deux saisons.
Mais Chris Chibnall développe en plus ici l’idée d’une Docteur "colon". Une seigneure du temps qui, en réponse à ses propres traumatismes, intervient dans l’Histoire humaine, et prive des humains de leur libre-arbitre, leur histoire ou leur identité.
Doctor Who est un produit culturel britannique et la série a donc toujours eu une dimension coloniale ou post-coloniale. Plusieurs histoires classiques expriment avec leur orientalisme, voire les caricatures racistes, une certaine mentalité héritée de l’Empire britannique. Et même le communiste Malcolm Hulke ou le très à gauche Russell T. Davies ont pu tomber dans ce piège, parfois dans des histoires pourtant politiquement socialistes.
Quand Hulke tente par exemple une métaphore de la conquête de l’ouest dans Colony in Space, il prive les peuples aliens "primitifs" de leur voix et les exclut même du conflit. Ils ne sont que les sauvages de l’histoire. Et quand Davies crée une race d’esclaves dans The Impossible Planet, ils ne sont réduits qu’à des outils pour un être maléfique.
Sans même aller sur le terrain d’histoires comme The Talons of Weng-Chiang, The Tomb of the Cybermen, Pyramids of Mars, ou The Two Doctors, la série exprime donc une certaine vision du monde britanno-centrée et coloniale.
Et il est intéressant que Chris Chibnall reconnaisse ça et aille même plus loin car sa Docteur dans le fond est un pur produit du déracinement. Elle est privée de son passé et de son identité, et depuis le début-même de la série, elle est exclue de son propre peuple et vit une vie à part en fuyant constamment.
Et alors qu’elle a subi des abus, et que son histoire lui a été volée, elle se retrouve à effacer ou tenter d’effacer la mémoire de plusieurs de ses compagnes et à être globalement une aventurière à la mentalité certes rebelle mais toujours ... "time-lady" ?
D’ailleurs il est utile de noter que quand elle est coincée en 1904, et qu’elle reproduit le comportement doctoresque, Yaz coche toutes les cases de l’aventurière de l’époque coloniale. Elle erre dans des espaces où les peuples sont privés de voix et d’identités et où leurs trésors sont constamment volés et pillés. Elle devient elle aussi la Docteur (et qu’elle est cool, bon sang). Mais peut-être dans ce qu’elle exprime de plus rance. De plus symboliquement violent.
Dans l’Enracinement, la philosophe Simone Weil développe l’idée que "qui est déraciné, déracine". La violence qui s’exerce contre les colonisé(e)s est un produit du déracinement des colonisateurs. Et le comportement du Docteur s’inscrit donc dans un cycle de violence entre colonisateurs et colonisés. Elle est autant l’immigrant américain qui massacre les amérindiens que l’ouvrier français en guerre contre le peuple algérien.
Le Docteur chibnallien est donc une victime. Mais le traumatisme ne le rend que plus toxique et violent.
Révélation
Survivors of the Flux parle donc de corruption, d’abus et de pouvoir, et arrive même à lier ses trois storylines autour de ces thèmes "chibnalliens" fascinants.
Mais même si c’est thématiquement un vrai aboutissement de la voix de l’artiste (Chris Chibnall, oui...), et que je suis capable de comprendre ce qu’il a voulu dire, force est de constater que c’est quand même toujours décevant.
Chris Chibnall a en effet le cul entre deux chaises. Il réécrit tout le narratif de la série avec des thèmes forts et osés. "Broadchurch avec des pistolets lasers", dirons-nous. Par contre, il veut écrire autant le Doctor Who populaire et familial de 2008 que Lungbarrow. (l’origin-story obscur du Septième Docteur).
Survivors of the Flux révèle donc au fond un Doctor Who trop simple et inabouti pour les fans, et pourtant trop référencé et obscur pour le téléspectateur moyen qui se fiche des Docteurs de Morbius ou de la cohérence de UNIT.
Survivors of the Flux révèle presque une crise existentielle qui frappe la série, à un moment où son lore n'a jamais été aussi immense et complexe, et où pourtant tout le monde se rappelle de la folle popularité de Doctor Who sous le règne de Russell T. Davies.
Peut-être qu'il est temps de tout recommencer ?
En attendant, seul face au vide, Chris Chibnall joue.
Flux est son jardin. Nos héros ses playmobils. Et lui s'amuse une dernière fois alors que derrière un monde meurt.
Trois histoires cool sont compactées en une, et on ne passe pas vraiment un mauvais moment, ne serait-ce que pour le sens de l'aventure ou ses personnages qui propulsent Flux chaque semaine, mais encore une fois l'émotion est pas vraiment au rendez-vous. Et c'est inquiétant.
J'ai aimé :
- Yaz, Dan et Jericho qui se la jouent aventuriers et se révèlent aussi funs ensemble que touchants.
- Le Grand Serpent qui pourrit UNIT de l'intérieur.
- Que les deux meilleurs personnages de la saison (Bel/Karvanista) se rencontrent enfin.
- 99% de la scène de l'hologramme.
Je n'ai pas aimé :
- Que ce soit la Docteur cette semaine qui m'ennuie le plus.
- Que je ne ressente rien quand elle rencontre sa mère abusive.
- Qu'elle soit globalement l'élément le moins intéressant de sa propre histoire.
- Qu'en plus elle prévienne Yaz du danger des réfugiés.
Ma note : probablement pas moins de 10, probablement pas plus de 15
What the Flux ?!
par Galax
Alors, elle était bien la critique d’Omar, non ? Vachement pertinente, et rigolote ! (j’espère que tu as inséré des blagues dans ta critique Omar, vu que j’écris ce paragraphe avant de l’avoir lue, sinon ça fera bizarre…) C’est parti pour l’avant-dernier What the Flux ! Accrochez-vous car il y a plein de références nulles à l'ère de Three, mais aussi plein de super trucs sur la nouvelle série ensuite.
- Tout au long de la saison de Flux, les épisodes ont souvent inclu des dates clés dans leur histoire. Il s’agit en fait des vraies dates auxquelles les épisodes sont diffusés.
DOCTOR: October 31st.
YASMIN: Halloween. Trick or treat. --- Chapter One, The Halloween Apocalypse, diffusé le 31 octobre
CLAIRE: Everyone in the village disappears on 21st November, 1967. Tonight. --- Chapter One, The Halloween Apocalypse, diffusé le 21 novembre
Ici, Yaz fait référence au 5 décembre, la date non pas du chapitre 5 mais du final qui a été diffusé la semaine suivante, en guise de date de convergence de toutes les intrigues :
YAZ: We have a partial date, December 5th. But no year.
La saison a donc été sans doute écrite avec une diffusion hebdo à compter d’Halloween déjà en tête.
- Il y a de bonnes chances pour que Vinder soit arrivé sur la planète de Swarm et Azure par un vortex manipulator, puisqu’il fait une remarque immédiatement après s’être téléporté comme quoi c’était assez pénible de voyager ainsi, ce qui est un trait courant pour les vortex manipulator (que maniaient souvent River, Jack Harkness ou le Onzième Docteur).
- Le Grand Serpent apparaît dans cet épisode sous les traits d’un humain nommé Prentis. Ce prénom se prononce en anglais de la même façon que Prentes, qui est un anagramme de… serpent.
- En parlant du Grand Serpent, on peut remarquer ce fait notable : le Troisième Docteur avait un tattoo de serpent comme les partisans du Grand Serpent.
Si pour certains fans cela veut dire que le Grand Serpent est secrètement le Docteur (théorie fumeuse à mon avis), et que pour d’autres cela ne veut rien dire du tout, j’y vois une certaine poésie dans le fait que Chris Chibnall choisit de baser l’homme de l’ombre le plus influent de toute l’histoire d’UNIT sur l’animal représenté sur le tattoo du Docteur le plus en lien avec UNIT de l’histoire. Probablement rien de plus qu’un clin d’œil, mais on peut imaginer quelque chose comme "pour prouver qu’il travaille avec UNIT, le Docteur a dû adopter cette marque en échange", ou quelque chose du genre ?
- UNIT fait son grand retour ! Les références pleuvent.
On remarque des jonquilles près de ce panneau. Il s’agissait d’une fleur qui a été utilisée comme arme par le Maître et les Autons dans Terror of the Autons (les jonquilles de l’épisode étaient en plastique).
- On entend notamment une phrase du Brigadier Lethbridge-Stewart. L’acteur Nicholas Courtney, décédé en 2011, est d’ailleurs crédité au générique pour cela. Cette phrase est tirée de Terror of the Autons à nouveau. Le général UNIT de l’épisode Survivors of the Flux évoque également la "tour du bureau de la Poste" qui apparaît dans le sérial The War Machines. Une réf assez obscure à un sérial très peu connu.
- Enfin, on peut lire parmi les papiers sur les bureaux en arrière-plan des scènes à UNIT, le prénom d’une petite fille qui a été hypnotisée par les Daleks dans le sérial Remembrance of the Daleks. Cette fillette n’a jamais été nommée à l’écran, cela provient de comics qui ont repris les histoires de Seven. J’avoue que j’ai déjà oublié quel est son prénom. Ma foi, si ça peut faire plaisir à certains fans de l’univers étendu, why not – j’avoue que je préfère les références un peu plus utiles/remarquables…
- Toujours à UNIT, on retrouve le TARDIS de la Docteur qu’elle a laissé au village du Devon de l’épisode précédent avec les Anges. Le général évoque aussi le fait que le camp a été transformé en zone militaire sécurisée. C’est en fait ce qu’avait déjà annoncé Claire durant l’épisode précédent :
CLAIRE: Everyone in the village disappears on 21st November, 1967. Tonight. Whatever happens leaves no trace. The army move in and turn it into a locked encampment.
Tout retombe donc plus ou moins bien sur ses pattes cette saison.
- Dernière partie sur UNIT : nous revoyons bien sûr Kate Stewart, figure emblématique de UNIT depuis quelques années, que Chris Chibnall avait ramenée dans l’épisode The Power of Three en saison 7. Je dis bien "ramenée", car il est peu connu que Kate Stewart provient d’un téléfilm des années 90 pas vraiment canon (mais qu’est-ce que le canon dans cet univers ?) : Downtime, avec Sarah Jane Smith et le père de Kate, à savoir le Brigadier.
- À noter que Kate mentionne Osgood, que nous pouvons donc sûrement espérer revoir soit dans le final, soit dans un spécial par la suite si la Terre se retrouve malencontreusement en danger une nouvelle fois – ce qui serait fort surprenant, ça n’arrive jamais !
- Voici une référence dans les dialogues sans doute pas voulue, que je dois m’inventer car je suis trop un Moffan. Vous me pardonnerez, mais après avoir passé la moitié du What The Flux à parler de UNIT et de l’ère de Three, que je ne porte pas particulièrement dans mon coeur et que je ne connais pas très bien : j’en peux plus, j’ai besoin d’une pause Moffatienne. Allons-y gaiement donc :
Tecteun accueille la Docteur qui fouine et enquiquine ses plans en disant “tu ne fais jamais ce qu’on te dit”, ce à quoi la Docteur répond que c’est un de ses traits de caractère.
AWSOK: You won't be told, will you?
DOCTOR: It's a defining trait.
La formulation fait drôlement penser à une phrase très souvent échangée entre Clara et le Douzième Docteur.
- Une autre référence à un dialogue, qui a plus de chances d’être voulue cette fois, connaissant l’amour de Chibnall pour les classiques avec lesquels il a grandi : la blague du sucre de Douglas Adams. Préparez-vous à un paragraphe qui surexplique la réplique suivante :
STEWARD: One lump or two, sir?
JERICHO: One, please.
Cette blague est un running-gag récurrent dans l’épisode Shada avec Tom Baker, un épisode qui n’a jamais été terminé autrement qu’en animation mais qui jouit d’une bonne réputation chez certains fans (moi compris), qui se battent pour sa canonisation. Cette phrase signifiant "un ou deux morceaux", faisant référence au sucre à mettre dans le thé, était ensuite accompagnée par la question "et voulez-vous du sucre avec ?" Cela n’a pas de sens puisqu'il vient de lui demander combien de morceaux de sucre il veut. Ce qui implique donc que la première question "one lump or two" ne faisait pas référence aux morceaux de sucre… mais donc à l’autre sens du mot "lump" en anglais, à savoir, une protubérance/un kyste… ce qui est donc censé rendre confus voire dégoûter un peu.
… voilà. C’est tellement tordu et absurde, que cela représente finalement bien Douglas Adams, et cette blague (qu’il fait deux/trois fois dans l’épisode Shada) est restée assez emblématique, peut-être pas forcément pour les bonnes raisons.
- La Treizième Docteur mentionne comme solution pour le Flux, "d’inverser la polarité des plaques de conversion"... Voilà, la fameuse phrase sur l’inversion de la polarité. Qu’on avait déjà dans l’épisode précédent. C’est sûrement la réf la plus reloue et inutile de la série si vous voulez mon avis…
- La montre à gousset contenant tous les souvenirs de la vie passé de la Docteur est bien sûr une référence à la montre que le Dixième Docteur avait utilisé en saison 3 pour se cacher de la famille de sang, et aussi celle que le Maître avait utilisé à Utopia après la guerre du Temps. À noter que cela apporte une possible explication, d’ailleurs, à pourquoi le Maître et le Docteur avaient utilisé comme par hasard le même objet. Il était effectivement sous-entendu que c’était un réceptacle de souvenirs classique chez les Seigneurs du Temps, et dans l'épisode Ascension of the Cybermen (et sa suite) en saison 12, la Division semble effacer les souvenis de Brendan (de morue) avec une sorte de casque faisant partie de ce "circuit caméléon" avec la montre. Sauf qu'ils mettent les souvenirs dans une vieille horloge d'époque, avec comme phrase marquée dessus : "Pour vos loyaux service pour la Division" (cf photo ci-dessous). Effectivement, Tecteun dit qu'elle ordonnait l'effacement de souvenirs du Docteur mais les gardait dans une montre. Tout est lié !
- Une ultime référence obscure et peut-être involontaire pour conclure : Tecteun parle du "voyage d’une vie" :
TECTEUN: You judge me for giving you the journey of your lifetime.
Il s'agit de la phrase d'accroche du trailer de la toute première saison de la nouvelle série en 2005 avec Christopher Eccleston qui promettait au spectateur "le voyage d'une vie". Voici la vidéo :
À très vite pour la dernière critique de Flux !