Critique : Better Call Saul 5.8

Le 11 avril 2020 à 11:01  |  ~ 10 minutes de lecture
Où vraiment rien ne sera plus jamais comme avant.
Par Hopper

Critique : Better Call Saul 5.8

~ 10 minutes de lecture
Où vraiment rien ne sera plus jamais comme avant.
Par Hopper

 

Il n’aura échappé à personne tout l’engouement autour de Bagman. Et pour cause : le créateur, Vince Gilligan, retourne derrière la caméra ; à cela s’ajoutent d’insistants bruits de couloirs. Des conditions de tournage extrêmes, une prouesse technique, une avalanche de péripéties à vous clouer au siège… Scénaristes, interprètes, critiques, chacun y va de son petit mot, alimentant les spéculations. Le bulldozer de la communication est passé par là… Maintenant est venu le moment de faire les comptes. Alors, émerveillement ou désillusion ?

 

Du sang et des larmes

 

Saul regarde les cousins Salamanca sortir de leur voiture

 

Dès le pré-générique, le ton de l’épisode est donné : sombre, morbide. Deux sous-fifres essuient les sièges tachés de sang d’une Cadillac, nous faisant pressentir l’imminence du danger. Et si cette scène se situait dans le futur et annonçait de sinistres évènements ? Théorie invalidée peu après par l’arrivée des cousins Salamanca qui viennent récupérer les sept millions de la caution de Lalo. À partir de là, tout s’accélère : Jimmy récupère l’argent dans le désert puis, dénoncé par un informateur, se fait braquer ; Mike en deus ex machina vient à sa rescousse ; panne de moteur oblige, les deux hommes doivent continuer leur périple à pied. Kim, de son côté, inquiète, rencontre Lalo en prison ; pour seule réponse, le bougre la fixe avec des yeux de merlan frit.

Le résumé de Bagman tient sur une carte postale. Pourtant, il s’en passe des choses, mais nous sommes loin de la claque infligée par un Dead Freight (5.05 de Breaking Bad). Car, narrativement, tout se passe sans accroc : nous savons pertinemment que Jimmy et Mike s’en sortiront. Malgré la mise en scène très inspirée, la tension n’est pas aussi viscéralement ressentie que dans la série mère, sauf la rencontre entre Kim et Lalo à glacer le sang. Cependant, cette tare inhérente à sa nature de spin-off ne devrait pas amoindrir la portée de Breaking Bad, tant les scénaristes s’appliquent à décrire toutes les nuances de la transformation de Jimmy dans le sang et les larmes.

 

Réminiscences et remembrance

 

Lalo face à Kim

 

Ce que perd la série en intensité, elle le gagne en sous-texte. Et si plusieurs comparent ce huitième épisode à 4 Days Out (2.09 de Breaking Bad) dans lequel Walt et Jesse se retrouvent isolés dans le désert après la panne de leur camping-car, selon moi, Bagman se rapproche davantage de Fly (3.10 de Breaking Bad) qui avait fait couler tant d’encre. Walt et Jimmy y sont dans le même état mental : ils sont à la croisée des chemins. Quelque chose d’insidieux les ronge : Walt traque cette satanée mouche, incarnation de sa mauvaise conscience (la mort de Jane) ; Jimmy, lui, traîne derrière lui les sacs remplis d’argent, représentant le poids de sa culpabilité (le suicide de Chuck).

Cette interprétation jette un nouvel éclairage à plusieurs scènes : quand Jimmy refuse la couverture de survie que lui tend Mike (accessoire utilisé par Chuck pour se protéger des champs électromagnétiques) ; quand il se laisse aveugler par la lumière du néon jaune (lumière devant laquelle Chuck se limoge) ; quand il boit dans la gourde remplie de pisse de Davis & Main (cabinet d’avocats qui l’avait recruté). Jimmy se retrouve confronté à ses démons. Autre similarité entre les deux épisodes, l’obsession maladive des deux protagonistes : Walt poursuit sa traque de la mouche jusqu’à épuisement ; Jimmy court récupérer le thermos offert par Kim alors que son véhicule est sur le point de tomber dans le fossé. Mais, maigre consolation : une balle l’a endommagé…

 

Un nouvel homme ?

 

Mike et Saul

 

La symbolique est forte : ce thermos représente cette partie de lui (la sensibilité refoulée de Jimmy) que son alter ego Saul a commencé à corrompre. En cela, Bagman est un épisode fondateur dans la mythologie Breaking Bad. On pourra pester contre quelques facilités scénaristiques (Mike, le deus ex machina et d’autres détails logistiques), mais la série mère nous avait habitués à introduire par moments une patte comics (les cousins, la mort de Gus…). De plus, le cœur de l’épisode est à chercher ailleurs : la fusillade n’est qu’un prétexte pour cimenter la relation spéciale entre Jimmy et Mike. Mention spéciale à la scène où Jimmy est sur le point de tout abandonner (lui qui pourtant se croyait tout puissant face à Howard, un épisode auparavant : « Lightning bolts shoot from my fingertips »). Mike, alors, se lance dans un monologue (douloureux pour nous, spectateurs, qui connaissons le fin mot de l’histoire) sur la seule raison qui le pousse à continuer : subvenir aux besoins de sa famille, quel qu’en soit le prix. Touchante abnégation. Ingénieuse et ironique aussi l’arme qu’utilise Jimmy pour se défaire du dernier tireur : il s’enroule dans la couverture de survie pour leurrer l’ennemi.

Avons-nous besoin de saluer la réalisation épique de Vince Gilligan, à grand renfort de plans rapprochés sur les visages et de somptueux panoramiques ? Mention spéciale au plan du puits et à la scène où Jimmy et Mike marchent dans le désert, accompagnée d’une musique (qui rappelle My Name Is du rappeur Eminem). Enfin, il serait criminel de ne pas offrir l’Emmy à tous ces merveilleux acteurs. En tête, Bob Odenkirk (l’interprète de Jimmy), adepte de la Méthode, nous fait presque pitié : les lèvres gercées, le teint hâlé, douloureux rictus affiché. L’acteur qui joue Mike, Jonathan Banks, montre quant à lui toute l’étendue de son jeu minimaliste lors du fameux monologue. Enfin, que dire de Tony Dalton qui campe un Lalo tantôt enjoué tantôt glacial (extraordinaire !) et Rhea Seehorn qui donne vie à Kim, ce personnage toujours insaisissable ?

 

Alors, émerveillement ou désillusion ? Pris individuellement, l’épisode est bon. Pour l’instant, c’est celui qui se rapproche le plus de Breaking Bad, que ce soit stylistiquement ou narrativement. Néanmoins, l’attente était trop grande et il manquait une scène choc pour marquer à jamais les esprits : comme le meurtre de l’enfant dans Dead Freight (5.05 de Breaking Bad) ou le suicide de Chuck dans Lantern (3.10). En considérant l’ensemble de l’œuvre, Bagman apparaît comme une pierre fondatrice de la transformation de Jimmy. Le point de non-retour est atteint pour tous les personnages. Tout s’accélère : Jimmy doit se défaire des reliques de son passé (sa voiture, le thermos offert par Kim, son innocence) et alors qu’il est sur le point de se laisser mourir, Mike lui rappelle qu’un être cher l’attend, Kim. « She knows, she’s in the game now. » Nous qui nous inquiétions du sort de Kim, devrions désormais en être terrifiés. Quel somptueux moment de télévision !

 

J’ai aimé :

  • Épisode sans temps mort.
  • Des perspectives croustillantes pour la suite (le sort de Kim, l’informateur du cartel…).
  • Une mise en scène touchée par le doigt de Dieu.
  • La symbolique et les différents niveaux de lecture.
  • La rencontre entre Kim et Lalo.

Je n’ai pas aimé :

  • Quelques facilités scénaristiques dans la fusillade ?
  • Ne manquerait-il pas une scène ou une révélation choc pour marquer les esprits ?

 

Ma note : 17/20

 

Le Coin du Fan :

 

  • C’est la dernière fois qu’apparaît la Suzuki Esteem 1998 de Jimmy qu’il conduisait depuis le début de Better Call Saul.

 

La Suzuki Esteem tombant dans le ravin

 

  • On voit Mike retirer le bouchon du réservoir de l’Esteem et le placer dans son sac, ce qui suggère qu’il a placé une puce pour pouvoir garder la trace de Jimmy (de la même manière que Gus dans le 3.01).

 

Mike regardant le bouchon du réservoir

Saul regardant le bouchon du réservoir

 

  • Malgré le froid, Jimmy refuse de s’envelopper avec la couverture de survie (qui lui rappelle la mémoire de son défunt frère). Il s’en sert d’ailleurs pour piéger le dernier tireur, avant de la jeter dans la nature.

 

Parallèle entre Chuck et Jimmy portant tous deux la couverture de survie

La couverture de survie laissée à l'abandon dans le désert

 

  • Une tarentule peut être aperçue dans cet épisode, faisant probablement référence à celle que le garçon à moto ramassera cinq ans plus tard dans Dead Freight (5.05 de Breaking Bad).

 

Breaking Bad : tarentule

Better Call Saul : tarentule

 

  • Dans le pré-générique, Marco Salamanca fait tomber une liasse de billet pendant qu’il remplit le sac. Maladresse qui lui coûtera la vie dans One Minute (3.07 de Breaking Bad) : il fait tomber une balle à pointe creuse dont Hank Schrader se servira pour l’achever.

 

La maladresse d'un des cousins Salamanca

 

  • Jimmy se sert de sa gourde pour essuyer la tâche sur ses chaussures. Grossière erreur dans le désert…

 

Gros plan sur la gourde de Saul versant de l'eau sur sa chaussure

 

  • « Jesus, it’s always the desert », dira Saul dans le 5.11 de Breaking Bad. Cette réplique prend un nouveau sens au vu de l’expérience traumatique que Jimmy traversera dans cet épisode.

 

 

​​​​​

  • Quelques plans ici et là rappellent certaines scènes dans Breaking Bad :

 

Comparaisons de différents plans Breaking Bad/Better Call Saul

 

Bonus

 

Anecdote de tournage : pendant la scène où Jimmy et Mike se cachent derrière un arbre, une chienne affamée s’assoit à côté d’eux. Bob Odenkirk (Jimmy) décide de la ramener chez lui. Il découvre qu’elle est enceinte et, peu après, elle donne naissance à une portée de huit chiots. Rhea Seehorn (Kim) et Patrick Fabian (Howard), qui sont hébergés par Bob le temps du tournage de la saison 5 à Albuquerque, s’en occupent. Patrick finit même par l’adopter et la baptise Lucky.

 

Patrick Fabian et Bob Odenkirk avec les chiens sauvés

L'auteur

Commentaires

Avatar nicknackpadiwak
nicknackpadiwak

Très bonne critique, j'ai appris plein de trucs.

qui rappelle My Name Is du rappeur Eminem

C'est normal, car c'est I Got The ... de Labi Siffre, chanson qui est samplée dans celle d'Eminem.

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