Critique : Better Call Saul 5.9

Le 20 avril 2020 à 18:13  |  ~ 11 minutes de lecture
Où la terreur se mêle à l’excitation…
Par Hopper

Critique : Better Call Saul 5.9

~ 11 minutes de lecture
Où la terreur se mêle à l’excitation…
Par Hopper

 

Jamais terreur et excitation ne s’étaient autant confondues dans un seul épisode. Jamais, au grand jamais, les silences et les non-dits n’auront été aussi lourds à (sup)porter et jamais la vie d’un personnage n’aura semblé tenir qu’à un fil. Et ce n’est qu’à la toute fin, frissonnant, que vous pouvez reprendre votre souffle, tant la mise en scène (hitchcockienne dans l’esprit) élève cet épisode au rang de chef-d’œuvre, sophistiqué et bouleversant. Décryptage…

 

Double… triple jeu

 

Kim et Jimmy discutant dans leur cuisine

 

Bad Choice Road reprend là où nous avait laissés l’épisode de la semaine dernière : Jimmy et Mike marchant dans le désert, en direction de la civilisation. Le pré-générique reprend le procédé du split screen utilisé comme ellipse dans Something Stupid (4.07). On y voyait Jimmy et Kim emprunter des chemins divergents et s’éloigner l’un de l’autre. Cette fois-ci, le split screen sert à filmer leurs retrouvailles : en apprenant que son mari est toujours vivant, Kim ne peut retenir ses larmes ; et que c’est beau ! Mais, comme à l’accoutumée, tout n’est que façade. Chaque personne joue un double, si ce n’est un triple jeu.

Kim se retrouve malgré elle impliquée dans un univers en apparence aseptisé, mais entièrement rongé et corrompu de l’intérieur. Cet épisode nous montre sa prise de conscience progressive : « She knows, she’s in the game now », disait Mike dans l’épisode précédent. L’air sent le soufre. Tout le sel de Bad Choice Road repose sur ce que Kim découvre et ce que nous, spectateurs, savons déjà : l’ironie dramatique. Un exemple flagrant : la scène où Kim demande à Jimmy de se confier à elle. « I know something terrible happened in the desert », lui avoue-t-elle. Réponse de l’intéressé : « I was out of water and in order to survive, I had to drink pee. » La déception se lit sur le visage de Kim, car, ce dont l’intéressé ne se doute pas (et que nous savons), c’est qu’elle a trouvé dans le sac le gobelet qu’elle lui avait offert avec un impact de balle. Jimmy ment…

 

Délibération

 

Lalo se tenant face à Kim

 

Mais, la culmination de cette ironie dramatique se situe à la fin, monument de suspens. Lalo toque à la porte des McGill et force Jimmy à répéter le récit de son périple dans le désert. Lui prétend que sa voiture est tombée en panne alors que Mike l’a sauvé d’une embûche. La tension de la scène, palpable, est due pour beaucoup aux plans rapprochés sur le visage de Kim : elle sait que Jimmy ment et que Lalo n’est pas dupe à ce manège. Cependant, elle feint l’ignorance. Ce n’est pas la seule à jouer à ce double ou triple jeu. Lalo demande à Jimmy de répéter ad nauseam son récit comme pour y déceler les failles ; les nerfs s’échauffent, le réalisateur privilégiant une insoutenable dilation du temps.

D’ailleurs, cette scène finale s’apparente à un procès au tribunal. Lalo (procureur et juge) tente de faire craquer Jimmy (l’accusé) sous le regard de Kim (l’avocat de la défense). Le placement des acteurs soutient cette hypothèse : les deux amants avancent d’un pas avant de parler. Pincement au cœur, quand la pauvre Kim tente d’intervenir pour la première fois et que Lalo l’ignore. Grossière erreur quand Jimmy propose à Lalo de lui rendre le sac d’argent (où se trouve le fameux gobelet criblé d’une balle, pièce à conviction, preuve à charge).

Kim se lâche complètement dans un plaidoyer où elle déploie mille et une techniques de persuasion. Syllogisme d’abord : à Albuquerque, des passants peuvent s’amuser à tirer sur tout objet abandonné comme une canette de soda ; or la voiture, tombée en panne, a été abandonnée par Jimmy ; ceci pouvant expliquer les impacts de balles. Dernier tour dans son sac, l’attaque ad hominem : elle rejette la faute sur Lalo. « You have no one else you can trust. » L’uppercut asséné fait valser le criminel. À ce moment-là, nous craignons un coup de sang et un geste irréparable, insoutenable…

 

Jugement

 

Saul et Mike dans la voiture

 

La conclusion rappelle la confrontation électrique entre Tuco et Walt, à la différence que dans Better Call Saul, l’arme principale, c’est le verbe et non plus la science. Jimmy reste mutique. Désarçonné, Lalo prend acte des vérités proférées et semble se remettre en question. Il repart calmement puis demande à Nacho de l’emmener au Mexique, mais pas à l’endroit prévu. Douterait-il désormais de la loyauté de Nacho ? Quel plan fomente-t-il ? Difficile de s’adonner aux jeux des prédictions tant les scénaristes s’amusent à brouiller les pistes ; mais il n’a pas dit son dernier mot.

À mon avis, Lalo n’est pas dupe : il se doute que Jimmy ment. Néanmoins, Kim arrive à le convaincre qu’il aborde le problème du mauvais angle. Pourquoi choisir Jimmy en premier lieu pour collecter l’argent ? Parce qu’il ne fait pas confiance à ses hommes de main ? Lui-même l’admet dans le pré-générique de Bagman (5.08). Un faisceau de preuves lui indique même que, si Jimmy ment au sujet de son agression, c’est que quelqu’un le protège, tirant les ficelles en coulisse. Quelqu’un de suffisamment menaçant… Gus ? Sans oublier que seuls les jumeaux, Nacho et Jimmy avaient été mis au courant.

 

Prison mentale

 

Nacho adossé à sa voiture

 

Le constat est d’ailleurs le même pour tous les personnages : ils sont tous livrés eux-mêmes à ce double, triple jeu qu’ils en viennent à oublier qui ils sont vraiment. À commencer par Jimmy, dépassé par les évènements. La scène où Kim presse les oranges et la réaction disproportionnée de Jimmy qui s’ensuit symbolise le traumatisme de la fusillade. Il est intéressant de noter que, comme prévu, les créateurs s’attardent non seulement sur l’action, mais surtout la conséquence de ces actions sur les personnages. La discussion entre Jimmy et Mike est poignante ; alors que tout les opposent, Mike est la seule personne à qui le protagoniste peut se livrer. Ils ont traversé la même épreuve dans Bagman, ce qui a dû indéniablement les rapprocher…

Même chose pour Nacho, toujours enfermé dans son rôle de spectateur, autant qu’Hector. Quand se décidera-t-il à prendre en main sa destinée et se libérer du joug du cartel ? Le temps est bientôt venu… Gus, lui aussi, a les mains attachées : tant que Lalo est sur son dos, il ne peut poursuivre la construction de son laboratoire et concrétiser ses ambitions de grandeur. Que la vie est difficile !

Enfin, Kim, l’électron libre, nous aura encore surpris cette semaine : elle démissionne de son poste bien payé chez Schweikart & Cokely pour se consacrer exclusivement à la défense des clients pro bono. Mais, ne se ment-elle pas à elle-même ? Ce n’est pas un hasard si, en quittant son bureau, elle laisse tout derrière elle sauf le bouchon de tequila Zafiro Anejo. Totem qu’elle possède depuis l’épisode Switch (2.01) durant lequel Jimmy et Kim arnaquent un trader en lui faisant payer une énorme addition. Symbolise-t-il son côté sombre prêt à ressurgir, elle dont l’éthique est presque toujours irréprochable ? Ça ne peut être qu’un mauvais présage…

 

Bad Choice Road est un joyau d’écriture, de réalisation, de jeux d’acteur. Enjeux, tension, surprises, tout y est, si bien qu’on ne peut ressortir de cet épisode qu’ébouriffé. La direction que prend la série est on ne peut plus excitante ; les deux intrigues principales se rejoignent enfin avec Kim qui se retrouve véritablement impliquée. La dernière scène avec Lalo est digne d’un Hitchcock tant la tension est palpable. Un chef-d’œuvre absolu !

 

Kim s'effondrant en larmes au téléphone quand elle entend la voix de Jimmy

 

J’ai aimé :

  • Un drame hitchcockien de premier rang.
  • La dernière scène avec Lalo d’une tension inégalée.
  • La réalisation absolument sublime (le pré-générique, le pressage des oranges, la dilation du temps…).
  • La révélation Tony Dalton (Lalo) au jeu très subtile.

Je n’ai pas aimé :

  • Une semaine d’attente pour connaître la suite…

 

Ma note : 19/20

 

Le Coin du Fan :

 

  • Le titre de l’épisode fait référence à la discussion entre Jimmy et Mike où ce dernier explique par une métaphore (la route) l’impossibilité de rattraper un mauvais choix de départ (entrer dans le monde criminel). Jimmy se servira de cette même image pour dissuader Kim de démissionner.

 

  • Quand Jimmy sort de la voiture de Mike, on peut voir en arrière-plan deux skateurs dans la rue. Sans doute une allusion à Lars et Cal Lindholm, les deux skateurs qui ont participé à l’arnaque ratée du pilote Uno. Incident qui le fait entrer dans le « chemin du mauvais choix ».

 

Les skateurs en arrière-plan de Jimmy

 

  • Kim et Jimmy se retrouvent officiellement sans voiture ; une tombée dans un fossé, l’autre rendue au cabinet d’avocats.

 

  • Le gang colombien qui braque Jimmy dans Bagman a été engagé par Juan Bolsa pour protéger les intérêts de Gus et du cartel. Les hommes de Gus ont réussi à retrouver tous les corps, sauf celui du dernier tireur, Tiburón.

 

  • Mike fait savoir à Gus, son patron, que faire peur à Nacho n’est pas la meilleure approche pour le contrôler. Ironiquement, Gus rappellera la même chose à Mike dans l’épisode Green Light (3.04 de Breaking Bad) pour gérer le conflit entre Walter et les cousins.

 

Parallèle Better Call Saul / Breaking Bad sur l'intérêt de faire peur à quelqu'un que l'on veut maîtriser

 

  • Le bouchon de tequila Zafiro Anejo que Kim récupère, après sa démission, remonte à l’arnaque de la saison 2. Ce même alcool aura un rôle important dans Salud (4.10 de Breaking Bad) ; Gus s’en sert pour empoisonner Don Eladio et ses sbires. Pas très rassurant comme symbolisme…

 

Don Eladio tenant la bouteille de Zafiro Anejo dans Breaking Bad 4.10

Jim regardant le bouchon de bouteille de Zafiro Anejo

 

  • Le film que regarde Kim et Saul dans cet épisode est His Girl Friday d’Howard Hawks, qui raconte la relation malsaine d’un homme et son ex-femme. Impressionnée par son charisme, celle-ci ne cesse de revenir vers lui.

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