Déjà le sixième épisode. Ce que le temps peut défiler vite. À mesure que Better Call Saul s’approche de sa fin, chez beaucoup de téléspectateurs, l’espoir d’un feu d’artifice a cédé la place à l’inquiétude. L’inquiétude que l’on se joue peut-être un peu trop de notre patience. L’inquiétude que ce qui nous avait été promis comme une ultime consécration allât se transformer en baroud d’honneur. La sentence est tombée : il faudra encore attendre une prochaine fois. Mais il serait sacrilège d’omettre les multiples réussites de cet épisode. Décryptage...
Du sang neuf
Cet épisode marque les premiers pas d’Ariel Levine (jusque-là assistante-scénariste) dans l’écriture et de Giancarlo Esposito (l’interprète de Gus) dans la réalisation. Le titre Axe and Grind (traduction française : « Dur à la hache ») peut se comprendre littéralement comme une référence à la hache dont se sert l’homme de Ziegler pour menacer Lalo en territoire allemand. Mais une autre lecture est possible : il existe une expression anglaise, "have an axe to grind", qui désigne le fait d’agir de manière intéressée. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec le plan Sandpiper de Kim et Jimmy auquel ils apportent une dernière touche et qui occupe une place centrale dans ce sixième épisode.
Axe and Grind réussit là où échouait l’épisode 5 Black and Blue, à savoir ne pas tomber dans la redite. C’est avec un grand soulagement que nous sont épargnés les longs plans fixes montrant Gus en panique. Mieux, l’épisode nous offre un éclairage inédit sur la personnalité de deux protagonistes : Kim et Howard.
Les origines du mal
La scène d’ouverture montre une jeune Kim après qu’elle ait été surprise en train de voler des boucles d’oreilles dans un magasin ; convoquée, sa mère feint la colère devant le directeur, mais ce n’est que bien plus tard qu’elle s’adresse à sa fille sur un ton amusé : « Je ne t’en savais pas capable. » Puis, la mère de Kim lui révèle qu’elle a volé ces mêmes boucles d’oreille et les lui offre. Et cela change tout ; car, dans le précédent flash-back, Kim nous était dépeinte comme la première de la classe qui tente de s’en sortir malgré ses conditions de vie instables (mère alcoolique, sans domicile stable...), mais ici ce qui nous apparaît, au-delà de la facette immorale de Kim, c’est l’absence de figure parentale forte.
Comme l’explique le réalisateur de cet épisode, Giancarlo Esposito, cette scène est préfiguratrice de ce que devient Kim. Les boucles d’oreille qu’a volées sa mère sont les mêmes qu’elle porte adulte ; elles ont donc une valeur sentimentale pour elle. Esposito va même plus loin en interprétant comme une déchirure le fait que sa mère ne la réprimande pas pour son méfait alors que Kim en ressentait le besoin.
Cette interprétation est renforcée quand l’on constate les similitudes entre cette scène d’ouverture et la scène finale de la saison 4 (dans laquelle Kim est bouleversée par le discours de Jimmy lors de son appel pour retrouver sa licence, mais qu'elle est stupéfaite en réalisant que Jimmy n’en pensait pas un mot). Le même schéma se répète dans ce teaser : Kim pense que sa mère se préoccupe sincèrement d’elle et lui attrape la main. Mais elle la lâche aussitôt quand sa mère se met à se moquer du directeur de magasin et qu’elle comprend qu’on s’est joué de ses émotions. À la fin des deux scènes, la caméra s’attarde longuement sur la mine désemparée de Kim.
Bien sûr, le choix de montrer ce flash-back à ce stade de l’histoire n’est pas anodin de la part des scénaristes et fait directement écho à la décision radicale que prend Kim à la fin de l’épisode : s’enfoncer dans la route du mauvais choix, alors que deux options lui étaient offertes pour financer son activité pro bono (l’une impliquant de ruiner la carrière du pauvre Howard et l’autre étant d’être financée par une fondation philanthropique).
Alors que Kim justifiait son plan contre Howard en invoquant la théorie du bien commun (« après tout, il est préférable de ruiner la vie d’une personne pour obtenir rapidement l’argent de Sandpiper et l’utiliser pour défendre bénévolement les pauvres gens »), son excuse tombe désormais à l’eau. Finalement, tout comme Walter White qui avait refusé l’aide financière de ses anciens riches amis, Elliot et Gretchen, pour payer ses traitements médicaux, il y a probablement dans ce choix de l’ego et ce besoin d’adrénaline pour se sentir vivre. Une chose est certaine : les conséquences risquent d’être très lourdes.
Scènes de la vie conjugale
Dans la même veine, cet épisode s’applique aussi à nous montrer un pan jusque-là inexploré de la vie Howard : sa situation conjugale. On ne peut que ressentir de l’empathie à son égard ; le pauvre a vécu avec la culpabilité du suicide de Chuck puis a subi les manigances de Jimmy et Kim. La scène est courte, mais en dit long sur sa relation avec son épouse : comme deux étrangers vivant sous le même toit. Howard est aux petits soins, mais cela ne suffit pas : elle ne le regarde même pas, elle s’empresse de verser le café latte qu’il lui a préparé si méticuleusement, en le versant un peu sur la table.
Autre fait marquant : Howard mentionne à sa femme la situation qu’il traverse et la rassure (« J’y mettrai fin quoiqu’il en coûte »). Il ne faudrait pas le sous-estimer, Howard a plus d’un tour dans son sac (n’oublions pas l’investigateur privé qu’il a recruté). Il serait dommage qu’il soit cantonné à un éternel rôle de victime. Espérons le voir dans le prochain épisode se défendre pour une fois bec et ongles contre Jimmy et Kim, lui qui est malmené depuis plus de deux saisons.
Le crime était presque parfait
Toujours est-il que les scénaristes n’ont toujours pas levé le voile sur le fameux plan de Jimmy et Kim. Ce choix très audacieux de laisser le public dans le flou total a posé question et divise. La révélation finale en vaudra-t-elle la peine ? En glanant les quelques indices disséminés ici et là, le plan initial semble être de faire croire qu’Howard se drogue et qu’il est inapte pour défendre ses clients dans le cadre de l’affaire Sandpiper afin d’en accélérer la résolution.
En ce sens, dans les premiers épisodes, ils disséminent de faux indices pour induire en erreur son ami Cliff. Le bouquet final, à en croire les photographies prises par le groupe d’étudiants, est de faire croire à Howard que Jimmy cherche à soudoyer le juge en charge de l’affaire. C’est pourquoi Jimmy panique quand il rencontre le vrai juge portant un plâtre, ce qui rend les fausses photos inexploitables. Comme si cela ne suffisait guère, Jimmy et Kim avaient même prévu d’administrer un psychotrope obtenu auprès du vétérinaire pour faire passer Howard pour un addict paranoïaque aux yeux de tous lors de la médiation.
L’ombre d’un doute
L’heure des pronostics est arrivée. Le co-créateur de la série Peter Gould a promis la semaine prochaine un gros cliffhanger pour cette fin de mi-saison. Le plan de Jimmy et Kim va probablement réussir, car il est encore trop tôt pour que le couple se sépare d’une manière ou d’une autre (si telle était l’option retenue par les scénaristes). Mais, quelle qu’en soit l’issue, la vie des protagonistes s’en retrouvera chamboulée d’une manière ou d’une autre. Certains vont même jusqu’à prédire la mort voire le suicide d’Howard. D’autres misent sur le retour de Lalo à Albuquerque.
C’est là qu’apparaît donc l’autre réussite de cet épisode et de la série en général : son imprévisibilité, défi qui semblait fort compliqué au vu de son statut de spin-off. Better Call Saul a toujours joué avec la gratification différée, retardant la transformation de Jimmy en Saul, construisant brique par brique ce moment attendu depuis longtemps. Ce même principe est repris dans la construction de cette mi-saison. C’est une réussite en soi qu’un spin-off puisse autant frustrer par sa capacité à brouiller si habilement les pistes. Mais l’effort serait vain si la concrétisation de cette tension est décevante. Le mystère reste entier. La question : faites-vous partie de ceux qui croient au sursaut ou non ?
Axe and Grind semble donc préparer le terrain à une fin de mi-saison que l’on espère cataclysmique. L’épisode réussit à redonner du souffle à la série après l’impair de la semaine dernière. La tension est filmée impeccablement par Giancarlo Esposito ; les protagonistes sont poussés dans leurs derniers retranchements. Vivement la suite !
J’ai aimé :
- En apprendre plus sur Kim et Howard
- Les dernières quinze minutes pleines de tension
- Les références à Breaking Bad (Francesca qui décore l’intérieur du bureau de Saul, le carnet du vétérinaire qui contient la carte de visite d’Ed qui fera disparaître plus tard Jimmy, Walt et Jessie)
Je n’ai pas aimé :
- Le peu de temps de présence à l’écran de Lalo
- Un rythme toujours un peu lent
Ma note : 15/20