Critique : Better Call Saul 6.9

Le 31 juillet 2022 à 08:26  |  ~ 9 minutes de lecture
Exit Jimmy, place à Saul ?
Par Hopper

Critique : Better Call Saul 6.9

~ 9 minutes de lecture
Exit Jimmy, place à Saul ?
Par Hopper

 

Le neuvième épisode de Better Call Saul se recentre sur ce qui fait la force de la série : ses personnages et leurs imperfections qui les rendent si profondément humains. Dans cet épisode, nul sang n’aura été versé, nul animal n’aura été maltraité, nulle explosion n’aura eu lieu. Pourtant, la puissance émotionnelle que nous assènent les scénaristes est de tout autre ordre que celles des précédents épisodes. Cet épisode, c’est Better Call Saul en version brute, sans écrin, sans artifice : la tragédie à l’état pur !

 

Figures fantomatiques

 

Gus flirte avec le barman

 

S’il y avait une attente que devait combler cet épisode intitulé Fun and Games (traduit en "Partie de plaisir" dans la langue de Molière), c’était de nous narrer les conséquences sur nos protagonistes de la mort d’Howard et de Lalo désormais liés à jamais (ceux qui sont à jour dans la série comprendront). Dès les premières minutes, un montage de toute beauté aux transitions extrêmement léchées nous en donne un aperçu : pendant que Mike et ses hommes nettoient la scène de crime dans l’appartement de Kim et Jimmy, ces deux derniers s’en vont vaquer à leurs occupations en essayant de ne rien laisser transparaître. Mais, à mesure que la caméra s’attarde sur leurs visages, l’on entraperçoit la culpabilité qui les ronge de l’intérieur. Confirmation est faite quand les deux retournent chez eux : l’appartement est propre, mais leur conscience troublée se réactive de plus belle ; le fantôme d’Howard hante et hantera toujours ces lieux.

Mike, lui, est hanté par le fantôme de Nacho et, en respect à sa mémoire, révèle à son père les circonstances de la mort de son fils. Quant à Gus, ce dernier a droit à une longue scène de flirt avec un barman qui semble servir de conclusion à l’arc du personnage. Il est peu probable qu'on le revoie par la suite. Son désir de vengeance et ses choix de vie font qu’il ne peut laisser exprimer sa personnalité joviale et curieuse et retrouver l’amour. Peter Gould a confirmé pour la première fois explicitement l’homosexualité de Gus dans un récent podcast ; Max (tué par Hector) serait donc bien son partenaire de vie et de travail. Traduction : Gus doit porter un masque pour toujours…

 

Porter ou ne pas porter le masque ?

 

Jimmy et Kim discutant avec la femme d'Howard

 

La symbolique du masque est intéressante à plus d’un titre et semble lier toutes ces tranches de vie auxquelles l’on assiste dans cet épisode. Il faut que Gus garde les apparences à tout prix pour ne pas susciter les soupçons de son patron Don Eladio malgré les accusations d’Hector (et qui explique les tensions avec le clan Salamanca dans Breaking Bad). Il en est de même pour Kim et Jimmy dont le masque est mis à rude épreuve lors de l’hommage dédié à Howard dans les bureaux de HHM. La veuve d’Howard remet en question leur version des faits. Les minutes passent longuement ; pour s’extirper de cette fâcheuse situation, Kim ment, prétendant avoir vu de ses propres yeux Howard consommer des substances illicites. Peu après, on voit le couple McGill groggy quitter le parking d’HHM (là où on avait vu les deux amants pour la première fois fumer ensemble dans le pilote).

Jimmy semble prêt à aller de l’avant et à compartimenter le traumatisme vécu à la mort d’Howard (comme il avait réussi à le faire pour Chuck) : « Je sais que c’était dur. Mais c’est fini maintenant. Je veux dire, vraiment fini. Que la guérison commence. » Mais, on se rend compte un peu plus tard que c’est le mensonge de trop pour Kim. Celle-ci se penche pour embrasser son mari puis repart en voiture, seule. Par la suite, on comprendra qu’à ce moment de l’histoire, la décision de Kim est prise ; elle compte quitter Jimmy pour de bon. Contrairement à son époux, elle ne peut plus porter de masque. Elle ne peut plus continuer à exercer le droit. Elle ne peut plus vivre avec Jimmy.

 

Une séparation inévitable

 

Kim quitte Jimmy

 

L’absence de Kim dans Breaking Bad aura donné naissance à un ensemble de théories souvent assez inventives, parfois loufoques : Kim emprisonnée, Kim travaillant secrètement pour Saul ou pour le cartel, pour n’en citer que quelques-unes. Mais les scénaristes font le choix de la conclusion la plus terre-à-terre : Jimmy et Kim se séparent comme tout couple normal, car… ils ne sont plus compatibles. Il est évident que cette décision décevra certains et en ravira d’autres. Mais, elle fait complètement sens. Kim et Jimmy sont mauvais l’un pour l’autre ; ils sont allés trop loin. Peuvent-ils continuer à vivre ensemble comme si de rien n’était ? Il est d’ailleurs surprenant de voir Kim l’expliquer de manière aussi explicite : « Ce n’est pas ça. Nous sommes mauvais l’un pour l’autre. »

On remarquera aussi que la scène de la séparation est tournée de manière assez sobre. Pas de musique. Pas d’artifice de montage. La caméra filme la tragédie à l’état pur, se concentrant sur le visage des protagonistes ; le jeu d’acteurs de Bob Odenkirk et de Rhea Seehorn frise le sublime. Il est d’ailleurs dramatiquement ironique de remarquer que c’est la première fois qu’on les voit se dire « je t’aime » ce qui semble faire écho à la chanson Something Stupid entendue dans la série (« Et puis me voilà, je gâche tout en disant une idiotie comme “je t’aime” »). La scène aurait pu être plus longue ; les créateurs auraient pu chercher à la rendre plus climacique, plus émotionnelle. Mais ils préfèrent plutôt se concentrer sur la brutalité d’une telle nouvelle sur Jimmy. D’où le recours à l’ellipse pour nous montrer le Saul de Breaking Bad et ce, sans marquer de pause pour nous laisser un peu respirer.

 

Territoires inconnus

 

Saul dans son fameux bureau

 

Le contraste est saisissant. La nouvelle demeure grandiloquente de Saul, ses mœurs légères, sa calvitie qu’il tente de masquer… Tout est repoussant chez ce nouveau personnage qui n’a plus rien à voir avec le Jimmy que l’on connaissait si bien. Cet épisode sonne donc comme un adieu déchirant à la chronologie de Better Call Saul. Nous sommes désormais en terrain inconnu, nous avons perdu tous nos repères.

Cet épisode s’apprécie différemment si l’on suppose que ces cinquante minutes ne sont pas une conclusion définitive à l’arc de Kim. Oui, sa rupture avec Jimmy est abrupte, mais c’est sans doute l’effet recherché. On vit de la même manière que Jimmy cette déchirure avec ce goût incroyablement amer. Mais je suis presque certain que l’on reverra bien Kim, peut-être pas pour tout de suite, mais on la reverra. De nouvelles questions tarauderont les fans les plus forcenés. Où est Kim ? Vit-elle toujours à Albuquerque pendant Breaking Bad ? Ou ne serait-elle pas plutôt retournée à son État natal du Nebraska, là où Gene habite également ?

Il peut sembler donc que tous les mystères de Better Call Saul (de l’intrigue avec Lalo à la relation entre Jimmy et Kim) ont été résolus au point d’avoir du mal à imaginer qu’il reste une histoire intéressante à raconter. Je suis de ceux qui gardent la foi quant au talent des scénaristes à nous surprendre. Le co-créateur Peter Gould a promis dans une interview que les quatre prochains épisodes seront très différents de ce qui se fait dans le milieu sériel, notamment en termes de structure. Peut-on ainsi imaginer que les scénaristes s’amuseront à jongler entre les différentes chronologies ? Une chose est sûre : on risque de voir Walt et Jessie prochainement (comme confirmé par les co-créateurs).

 

Fun and Games répond à plusieurs questions fondamentales de la série que l’on se pose depuis 2015. L’épisode est un retour aux sources à ce que Better Call Saul sait faire de mieux : montrer le tragique et les contradictions de ses personnages. Il y aura certainement des déçus ; car la série ne recourt pas à l’emphase qui avait fait le succès de Breaking Bad (musique, ralenti). Cet épisode doit être apprécié comme un drame intimiste comme l’a toujours été Better Call Saul. Déjà, dans ma critique de 2017 de Lantern, j’affirmais : « Si Breaking Bad étudiait le macroscopique (ce qui est observable à l’œil nu), Better Call Saul aborde des changements d’ordre microscopique. » Ici, cette expression prend tout son sens. Par ailleurs, il reste encore quatre épisodes pour montrer la transition entre Jimmy et Saul (je l’espère) et conclure ce récit ambitieux.

 

J’ai aimé :

  • Un retour aux sources
  • La réalisation et le jeu d’acteurs
  • La transition brutale entre Better Call Saul et Breaking Bad

Je n’ai pas aimé :

  • Attendre la suite
  • Peut-être que la scène de la séparation est un peu trop brève

Ma note : 18/20

 

Gus savourant du vin

L'auteur

Commentaires

Pas de commentaires pour l'instant...

Derniers articles sur la saison

Critique : Better Call Saul 6.13

Une fin en apothéose ?

Critique : Better Call Saul 6.12

Hello darkness, my old friend...

Critique : Better Call Saul 6.11

Enfin ! Oui ! Oui !