Pitch rupture
Pendant qu'Antoine Baptiste commence les répétitions avec son groupe, la ville de la Nouvelle-Orléans se prépare à régler les problèmes administratifs en vue de sa reconstruction. Toni Bernette questionne de son côté différents membres du NOPD à la recherche d'éclaircissements sur le décès du fils d'un de ses clients. Dans la ville en cours de rénovation, le chaos règne encore et une violence barbare va s'abattre sur Ladonna Williams.
Un épisode étouffant et sombre
Asphyxiant, cet épisode montre la capacité de David Simon à créer une intrigue de cinquante minutes sans laisser le moindre bol d'air au spectateur, hormis un final musical qui allège l'impression d'ensemble. Brutal, âpre, cet épisode ne nous épargne rien, racontant l'impossibilité de vivre son destin dans un univers non civilisé, où les pillages se succèdent, détruisant les souvenirs sans valeur, sans le moindre respect pour ceux qui sont partis.
Porté par une introduction superbe et le violon mélancolique de Lucia Micarelli, cet épisode va s'articuler autour d'être humains piégés dans des files d'attente. Les services, les hôpitaux, la police, tous les services publics sont au bord de la rupture et la communication semble devenus impossibles entre eux et la population. Seuls quelques intermédiaires, comme Toni Bernette, parviennent à recréer un semblant de dialogue, pour mieux révéler les mensonges d'un monde qui aimerait effacer tout souvenir du passé.
Certains parviendront malgré tout à bien jouer leurs cartes comme Antoine Baptiste ou Nelson Hidalgo, mais la ville se montre de moins en moins généreuse, créant un climat mélancolique très fort. Loin de proposer une vision angélique du "vivre ensemble", James Yoshimura s'intéresse à la difficulté de bâtir une communauté, montrant combien cet équilibre peut être facilement brisé.
Comme les répétitions du groupe d'Antoine Baptiste, la recherche de l'harmonie idéale passe par un travail et une exigence constante. Car chaque fausse note, chaque faute de rythme engendre du drame, brise la cohésion, laissant entrer la rage et la colère dans le coeur de la ville. A l'opposé de l'art rassembleur, Treme raconte les difficultés d'un monde moderne confronté à une violence gratuite et imprévisible, celle d'une jeunesse privée de repères et incontrôlable.
La profanation des êtres
Plutôt que de jouer le jeu du spectaculaire, Treme ne montre pas, ne laissant voir que les effets d'une violence d'une grande cruauté, celle qui repose sur la profanation des biens matériels et du corps. Suite à l'abandon des maisons de la ville, les pillages se multiplient, sans le moindre respect pour la propriété morale des habitants. Ces profanations faciles et aveugles, motivées par l'appât d'un gain imaginaire, laissent grandir une frustration, et au final la rage chez ceux qui veulent créer la souffrance.
Pour Ladonna, la profanation va atteindre un niveau bien plus dramatique, ce sera l'expression d'une colère qui cherche à détruire par l'agression du corps dans ce qu'il a de plus sacré. Les scènes à l'hôpital sont à ce point poignantes qu'elles sont comme une lente humiliation dont il semble quasiment impossible de se remettre. La certitude du crime impuni crée une frustration insoutenable, elle réduit à néant toute une vie en plongeant Ladonna dans une solitude effrayante.
Thème fort rarement abordé avec autant d'intelligence et de subtilité, la profanation est ici présentée non par son aspect séduisant (l'intrusion dans un univers inconnu) mais au travers de ses conséquences dramatiques pour toute la société. Car il est évident que l'agression de Ladonna engendrera bon nombre d'effets secondaires imprévisibles, premier pas vers un scénario qui s'annonce particulièrement sombre.
L'exigence de bien faire
Si nombres de critiques ont reproché à Treme un manque d'intégration des parties musicales dans le récit, cet épisode est la réponse claire et directe des auteurs à ses détracteurs. Fil rouge qui insère une respiration au sein du récit, les répétitions d'Antoine Baptiste et son groupe s'intègrent parfaitement dans l'idée défendue par l'épisode, l'importance de faire preuve d'exigence pour obtenir d'une micro société une forme harmonieuse.
Car la reconstruction de la Nouvelle-Orléans et de son tissu social nécessite d'exiger plus, et de refuser la moindre entorse. La moindre faille laisse la porte ouverte au doute, et à ceux qui cherchent à créer le chaos, engendrant de nombreux drames donnant cette atmosphère étouffante au récit.
Grâce à la patience et la discipline, Albert Lambreaux retrouve enfin le sourire, parvenant enfin à venir à bout du monstre bureaucratique et à pouvoir retrouver un toit. Si, pendant la première saison, survivre relevait d'un mélange de chance et d'un vrai esprit de solidarité, se reconstruire nécessite une vraie rigueur et une volonté sans faille. En reconstruisant la Nouvelle-Orléans, la ville tente au mieux de se protéger contre la montée d'une colère qui semble prête à tout détruire sur son passage.
Briser le lien social pour créer la peur
Si la Nouvelle-Orléans tend à se réorganiser et à reconstruire du "vivre ensemble", une partie marginale de la population semble déterminée à détruire petit à petit chaque résidu de lien social par des actes d'une grande brutalité. Nouvelle menace encore anonyme, cette violence aveugle et gratuite constitue une vision assez juste de l'enfer, symbole de la cruauté de ceux qui veulent ériger un royaume fondé sur la peur.
Treme vacille lentement, et retrouve ses divisions entre ceux qui sont désignés comme des privilégiés et les autres, aveuglés par une jalousie infinie. Le seul moyen de lutte contre ces barbares consistera à reconstruire une communauté forte de témoins, permettant de faire fuir cette délinquance jusqu'à d'autres groupes sociaux plus fragiles. La police sera la clé de l'avenir car une société où les crimes demeurent impunis est un monde de peur, d'isolation et de crainte de l'autre.
De plus en plus ambitieuse, Treme bouleverse par sa capacité à parler de thèmes complexes avec une apparente facilité et une grande maîtrise. Une deuxième saison qui confirme tout son potentiel, tout en mettant à mal un spectateur éprouvé, mais conquis par la force du show.
J'aime :
- un récit subtil et fort, sans temps mort
- un récit feuilletonnant sans fioriture
- David Simon tente de toucher à l'universel et s'en rapproche peu à peu
- une réalisation superbe
- une belle réflexion sur l'art et l'exigence
Je n'aime pas :
- non, c'est vraiment impeccable
Note : 16 / 20
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