Pitch protéger les êtres aimés
Tous les membres de la communauté se réunissent pour célébrer la mémoire d'Harley, Annie en tête. La jeune violoniste se retrouve contrainte à trier ses affaires, révélant les mensonges et les secrets de son meilleur ami. Pendant ce temps, Davis se retrouve de plus en plus sur la touche et Antoine Baptiste se fait lentement dévorer par son arrogance. Si le chef Lambreaux connaît un moment de joie intense, il le doit avant tout au sacrifice de son fils pour maintenir à flots une entreprise qui le mène tout droit à la ruine.
Un chant de tristesse aux frontières du désespoir
Le quartier du Treme connaît les affres d'un monde qui tente de reprendre vie sans jamais y parvenir, pris au piège de la jalousie et des regrets. Le succès et les victoires des uns ne servent qu'à masquer le désespoir de ceux qui restent sur le bas côté, terrassés par une fatalité qui semble rire de la situation. Amers, tristes, tiraillés par la jalousie, certains personnages s'approchent lentement du précipice, retenus dans leurs élans par la morale et la conscience.
Pour Annie, toute vie semble impossible tant la tristesse de la perte d'un ami et le traumatisme lié au souvenir du meurtre reste totalement gravé dans sa rétine. Incapable de faire face à la réalité, elle s'enferme dans un profond mutisme comme Ladonna qui se noie lentement dans un désespoir qui ressemble à un puits sans fin. Une fois tombé à terre, sonné par la cruauté du destin, les personnages de la série peinent à passer outre et à croire encore à l'avenir et à l'amour. Car cette chute, pour d'autres, n'est qu'un premier pas dans un engrenage les menant tout droit vers un enfer intérieur, celui où les sentiments sont bloqués à l'intérieur de soi, comme enfermés.
Dire que l'épisode est superbe est une chose, mais il faut expliquer combien David Simon et les auteurs de Treme ont lentement réussi à tendre une toile narrative monstrueuse et impitoyable. Le visage ruiné de Kandi Alexander, absolument magnifique dans ce rôle épuisant de femme perdue, est sublime de souffrance, tandis qu'elle s'enfonce lentement, à deux doigts de l'effondrement nerveux. Le sol se craquelle sous ses pieds, comme elle le décrit à sa psychiatre qui essaye d'opposer un point de vue matérialiste et constructif à sa propre dépression, et elle se sent lentement perdre tout équilibre.
Sans pitié, Treme assène les derniers coups, tandis que la ville est traversé de joies et de déceptions, certains construisant leur propre enfer tandis que d'autres goûtent à un paradis bien artificiel. La ville se reconstruit, mais pas à la même vitesse pour tout le monde. Et cela engendre de la jalousie et de la colère chez ceux qui, comme Davis, sont lentement mis de côté.
Protéger les êtres aimés
Pour le lieutenant Colson, les problèmes internes à la police évoqués par Toni prennent la forme d'une pièce aux scellés laissée à l'abandon, preuve d'une époque où le laxisme l'emportait sur le devoir. Pourtant, il va tout nier devant Toni pour la protéger des retombées que l'affaire va avoir sur l'administration tout entière et, avant tout, sur lui, le menant sur une pente extrêmement savonneuse. Conscient que sa conscience professionnelle l'empêche de fermer les yeux, il se prépare à se lancer seul, essayant de protéger cette femme qui lui permet encore de se sentir vivant.
Delmond Lambreaux se met sur la paille pour redonner du bonheur à son père qui renaît au rythme lent des chansons de la Nouvelle-Orléans. Son mensonge est celui d'un homme qui a visé si haut que ses ailes se brûlent, luttant jusqu'au bout pour le bonheur d'une seule personne. Treme place au centre de l'intrigue des héros du quotidien, des citoyens qui font preuve d'un altruisme acharné. Leur courage et leur abnégation sont héroïques, les créateurs du show cherchant à donner encore plus de profondeur à leur personnage.
Pour Davis, la situation est encore plus complexe et le DJ perd lentement toute sa foi tandis qu'il apparaît de plus en plus flagrant qu'il n'est pas le musicien qu'il croyait être. Les humiliations se succèdent, l'obligeant à perdre petit à petit son bel enthousiasme pour ne laisser que le dépit de celui qui est condamné à n'avoir jamais son heure de gloire. Et c'est Annie qui pourrait subir la pression de ce traumatisme. Car Davis n'a plus personne vers qui se tourner. Il le sait et il essaie de résister à la colère et la frustration qui le submergent pour mieux préserver Annie d'un souci qui ne la concerne pas.
Cacher la vérité pour que l'être aimé soit heureux, qu'il s'agisse de son mari pour Ladonna, d'une simple amie pour Colson ou d'un père pour Delmond, voilà la devise de ces personnages qui essayent avant tout de faire preuve d'altruisme. Mais la générosité peut vite se transformer en faiblesse lorsque le dit bonheur se construit par le bénéficiaire de manière égoïste, avec la conscience que la revanche de certains signifie l'humiliation d'un autre.
Le bonheur des uns, le malheur des autres et la mort comme dernier recours
Pour Jeanette, la vie est de nouveau sur les rails tandis qu'elle se reconstruit lentement loin d'un monde qui fut le lieu de ses échecs. Si la nostalgie du pays demeure vivace, sa situation a bien basculé en une saison grâce à cette singularité, cette identité qui fait partie d'elle. La Nouvelle Orléans est l'emblème d'une certaine conception de l'existence que partage le chef Lambreaux et Harley, comme si la ville marquait de son empreinte chacun de ses habitants. Dotée d'un charme unique et d'un style envoûtant, elle possède ce magnétisme qui fascine tous ceux qui, comme Nelson Hidalgo, succombent petit à petit à son charme, l'esprit plein de rêves de gloire.
Mais ce que la Nouvelle-Orléans a à offrir, elle peut aussi brutalement vous l'arracher pour vous laisser sur le côté, incapable de se reconstruire. Et une idée me vient alors à l'esprit : et si finalement les auteurs ne venaient pas en une seule saison de justifier les motifs du suicide de Creighton, celui qui ne vivait que pour ce sentiment si particulier, cette obsession unique pour cette cité dont Treme dresse lentement un portrait d'un réalisme aigü. Pour s'être rêvé trop grands, les habitants de la Nouvelle-Orléans peuvent se retrouver en quelques secondes perdus, comme Antoine Baptiste que son orgueil détruit peu à peu.
Car seule l'humilité permet de survivre dans une ville qui peut vous élever comme vous détruire en quelques secondes, le temps d'un simple raz-de-marée. Car le bonheur excessif, le succès, la réussite ne peuvent se bâtir que sur le malheur et la souffrance d'une branche de la population, ceux qui abandonnent petit à petit leur maison à Nelson Hidalgo.
J'aime :
- un scénario profond, brillant et subtile
- un casting impeccable, avec un gros plus pour Khandi Alexander et David Morse
- une construction impitoyable qui ne laisse rien au hasard
- la ville devient presque perceptible en tant qu'entité à part entière
Je n'aime pas :
- voire ligne en dessous
Note : 17 / 20
Un épisode superbe, le premier où la ville de la Nouvelle-Orléans devient presque un personnage tangible du show, laissant sa marque sur toutes ces victimes. Le récit, en s'orientant sur les efforts de quelques-uns pour maintenir l'illusion du bonheur, s'intéresse au prix à payer pour un tel mensonge. Le final de la semaine prochaine devrait marquer une étape importante pour l'évolution de la série, achevant une saison terriblement poignante.