Pitch Fire walk with Me
Twin Peaks est une ville tranquille du nord de l'Etat de Washington, perdue au milieu de la forêt et surplombée par deux grands sommets montagneux. Lorsque Laura Palmer est retrouvée morte, enveloppée nue dans une bâche en plastique, une onde de choc va traverser toute la ville, et bouleverser chacun des habitants. L'agent Dale Cooper du FBI est envoyé sur place pour enquêter sur ce meurtre, qui semble être l'oeuvre d'un tueur en série.
Des hurlements de douleur qui vous glacent le sang
Twin Peaks n'est pas une série ordinaire, et le seul fait d'en faire une critique relève de la prétention le plus totale tant la première partie du pilote est impressionnante. J'avais treize ans lorsque je l'ai découvert à la télévision, et les cris et hurlements qui transpercent le pilote m'avaient alors glacé le sang. Car cet épisode est avant tout l'histoire d'une morte, Laura Palmer, et le récit de la façon dont sa disparition va anéantir tout son entourage.
Pourtant, le personnage de Laura Palmer n'occupera qu'une place minime au sein de l'intrigue, David Lynch préférant se focaliser sur les conséquences de la découverte de son cadavre. Bouleversante, l'arrivée de la police sur le lieu de travail de son père, Leland Palmer (Ray Wise, toujours formidable), est une merveille de mise en scène, qui joue intelligemment sur les non-dits, ce qui n'était absolument pas courant dans les séries télévisées de l'époque.
Appliquant le langage du cinéma au petit écran, Lynch compose ses plans avec le plus grand soin, explique peu et crée une ambiance remarquable, entre distance et empathie, physique et métaphysique. Devant la mort, l'être humain a peur, il souffre et exprime sa rage par des hurlements de colère, ou de bête. Les cris de la mère de Laura, les hurlements de singe de Bobby Briggs ou la visage de Donna qui se décompose lentement en comprenant que Laura est morte composent mon tout premier souvenir à l'évocation de Twin Peaks.
Laura Palmer est morte. La ville va perdre son équilibre et révéler son visage le plus inquiétant, alimentant une angoisse irrationnelle que maîtrise parfaitement David Lynch. Bien plus qu'un "whodunit ?" brillant, Twin Peaks force le spectateur à voir l'effet destructeur de la disparition d'un être cher sur l'âme humaine, entre souffrance et terreur. "Fire walk with Me" dit le meurtrier qui veut à l'évidence détruire le tissu social de Twin Peaks, car la vie en communauté ne survivra pas à la crainte d'un monstre qui hante chaque nuit les bois qui entourent la ville.
David Lynch entre noirceur et clarté
Cinéaste majeur de la fin du vingtième siècle, David Lynch est un pur plasticien, un transfuge de la peinture et de la photo, venu au cinéma pour assouvir une remarquable obsession pour le mouvement. Accompagné de Mark Frost (scénariste sur Hill Street Blues, un spécialiste des intrigues policières), ils créent plus qu'une simple série policière, Twin Peaks est une installation artistique à la dimension d'une ville avec ses nombreux personnages et ses secrets inavouables.
Très ambitieuse, voire peut-être même trop dans sa seconde partie, Twin Peaks va installer un grand nombre de personnages en utilisant comme pivot scénaristique le décès de Laura. Lynch avait alors déjà la réputation, acquise avec "Blue Velvet" et "Sailor et Lula", de toujours donner une identité forte à ses personnages. Ici, chacun d'entre eux va bénéficier d'un traitement très soigné, tous portent en eux une information en rapport avec Laura ou avec la ville elle-même.
Malheureusement, le récit s'embrouille par moments, par souci de bien faire, Lynch désirant visiblement introduire tous ses personnages, quitte à manquer par moment de subtilité (le couple Johnson subit un traitement plutôt bâclé, leur histoire n'ayant pas encore de connexion avec Laura). A force de vouloir trop en dire, Twin Peaks souffre de petites longueurs dans sa seconde partie, mais cette petite faiblesse ne nuit pas à la fascination que la série exerce encore sur nous.
De fait, ce mélange permanent entre réalisme et métaphysique, humour et tension extrême fonctionne toujours remarquablement bien. La réalisation joue perpétuellement sur la nuance entre un monde d'un réalisme troublant et un univers plus sombre où les faux-semblants tombent, pour livrer l'image angoissante d'un univers inquiétant.
Kyle MacLachlan, l'acteur fétiche de Lynch
Fin limier aux méthodes particulièrement originales, l'agent spécial Dale Cooper est un personnage lunaire et sympathique, doté d'une curiosité perpétuelle et d'une extraordinaire capacité à saisir les tenants et les aboutissants des évènements qui touchent cette ville. Accompagné de son dictaphone avec qui il a de longues conversations, il fonctionne comme un espèce de décodeur entre l'univers étrange de la série et le spectateur.
Kyle Maclachlan interprète avec un charme désarmant ce rôle qui a durablement marqué sa carrière, il réussit le mélange parfait entre une distance comique et décalée et une capacité de déduction hors norme. Son absence du film "Fire walk with me", bien que logique, aura fortement pesé sur l'échec du long métrage, les spectateurs se sentant vite déboussolés sans la présence de l'agent Cooper.
De la difficulté pour une souris de gravir une montagne
Twin Peaks débute à peine et montre d'emblée une exigence et une qualité visuelle et narrative qui font que, vingt ans après, l'oeuvre de David Lynch n'a presque pas pris de rides. Entre souvenirs émus et redécouvertes d'éléments oubliés, le visionnage de cette série monument demeure un grand moment.
Car force est de constater combien ce pilote est l'élément fondateur de nombres de séries actuelles, des auteurs comme Marc Cherry masquant à peine l'influence majeure du travail de Lynch et Frost. Equilibre étrange entre la série policière classique et l'invention plastique et créative, Twin Peaks demeure une étoile au firmament, conservant ce charme si particulier qui m'avait tant marqué il y a une dizaine d'années.
J'aime :
- la réalisation de Lynch impeccable
- la musique de Badalamenti superbe
- des acteurs très justes
- une première partie remarquable
- Dale Cooper, un vrai héros
- la scène finale intense
Je n'aime pas :
- une seconde partie un peu trop foisonnante
- la diffusion sur Arte en VF ... quand même !
Note : 15 / 20
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