Difficile d'imaginer un début de saison plus improbable et aussi risqué que celui-là !

Pour sa deuxième saison en tant que showrunner, Steven Moffat décide de s'éloigner de la formule qui avait fait le succès de la série sous Russell T. Davies et en saison 5, en changeant complètement les choses. Et puisqu'il trouve qu'on s'habitue trop à une zone de confort en tant que téléspectateur, il décide pour cet opener, de tuer le Docteur. Purement et simplement.

Il s'agit en fait, du pitch que le Docteur avait pour une saison 5 avec David Tennant qui aterrirait dans le jardin de la petite Amelia, qui serait devenu son ami imaginaire le temps d'une nuit en agissant bizarrement car en étant en train de se régénérer... avant qu'il ne soit révélé qu'une version plus jeune de ce Docteur ne prenne le relais dans la suite de la saison. Un pitch ô combien intéressant que Steven Moffat réutilise ici dans cette saison 6.

Bien sûr, il enrobe tout ça dans des rebondissements timey-wimeyesques à souhait pour imposer sa marque, et choisit un contexte inédit pour assumer encore plus la différence. La saison 6 est aussi le début progressif de la "dés-angleterrisation" de la série, avec un effort de conquérir un public plus américain et international. Un choix probablement plus créatif que pragmatique et monétaire, mais en tout cas payant puisque ne se contentant pas d’être visuellement juste magnifique (l'image de l'astronaute qui sort du lac mériterait de devenir un tableau), cet épisode marque aussi le début de l'exportation du show en Amérique et dans le monde et le fait avec succès. Le tout en gardant une touche british notamment dans l'humour vraiment excellent.

Pour la première fois dans l'histoire de la série, une nouvelle saison débute sans gros changement dans le casting principal. Certes Rory est maintenant clairement un compagnon, et River est là dès le premier épisode, mais globalement les personnages ici ont affaire à des retrouvailles, pas à une découverte. Libéré d'une contrainte d'introduire des personnages, Steven Moffat se lâche totalement et enchaîne les vannes, les punchlines et les dialogues à coeur ouvert avec une dextérité folle. Nulle besoin dans cet épisode de réexpliquer ce qu'est un TARDIS ou ce que fait le Docteur : on est au contraire parti pour une aventure qui subvertit toutes nos attentes, et donne une allure plus "feuilletonnante" à la série, en introduisant moult mystères se basant sur les éléments déjà connus du show (la régénération du Docteur, sa mort, etc.).

En attendant, toute l'aventure et toute la saison à suivre prend donc une tournure inédite quand nous avons, pour la première fois dans la série, un coup d'avance sur le Docteur. Mis à la place de River Song, qui n'hésite pas à prendre les choses en main et à aiguiller Amy et Rory sur la démarche à suivre, nous avons connaissance de son futur avant lui. Une idée tout bonnement brillante.

Pour ce premier acte en général, absolument choquant dès que l'Astronaute sort du lac jusqu'à la scène à 4 dans le TARDIS où le Docteur nous confie sa vie ("My life in your hands, Amelia Pond"), cet opener est clairement unique et vaut déjà le détour.

DOCTOR: I've been running my whole life. Now, it's time for me to stop.

Le second acte pose les bases de l'histoire. Steven Moffat arrive avec un nouveau concept d'horreur ingénieux : les monstres qui s'effacent de nos mémoires dès qu'on détourne le regard. Comment affronter un ennemi dont on ignore l'existence ? Astucieusement, le scénariste parvient à placer ces ennemis et ce gimmick brillant dans le contexte de paranoïa aux temps de la présidence de Richard Nixon. C'est un épisode situé dans le passé, qui transpire de modernité et de jolies idées novatrices en science-fiction. Au passage, il exploite la période de la conquête de la Lune et le relie à la mystérieuse petite fille pourchassée par... un astronaute. Tout s'assemble tellement bien ensemble qu'on n'arrive plus à distinguer si tel ou tel élément fait partie du fil rouge, de l'histoire des ennemis (qui restent non-nommés dans l'épisode, cette révélation sera gardée pour la prochaine partie), ou des deux.

Dès lors, il ne nous reste plus qu'à s'asseoir bien confortablement et à apprécier le détour. On sait que le développement de l'intrigue surviendra plus dans la seconde partie, alors à la place, on pose les bases de tout ce qu'il y aura à venir : on nous glisse l'idée que les ennemis peuvent nous faire passer des messages sans qu'on le sache, qu'ils sont là depuis la nuit des temps... et surtout, on délivre un cliffhanger à couper le souffle qui ne peut que donner envie de connaître la suite.

Que dire de plus ? Ceci est clairement l'opener de rêve. Il est en plus tellement plus appréciable en connaissant déjà la suite. Le nombre de "foreshadowing", d'indices laissés à celui qui reviendra sur l'épisode plus tard, est ahurissant, et preuve que le tout était pensé depuis le début. La scène du pique-nique sur la plage, par exemple, est évidemment une qu'il faut revoir avec la perspective que le Docteur qui parle est plus vieux et qu'il sait déjà tout ce qu'il va se passer. En relisant le dialogue, on comprend que le Docteur vient en gros de nous spoiler l'épisode 2, on ne pouvait juste pas en avoir conscience à la base.

Il y a bien aussi le mystère de l'idendité de l'astronaute qui est fascinant, pas impossible à prévoir, mais très cohérent lorsqu'une certaine réaction d'un personnage a lieu. Ajoutons à cela une possible grossesse d'Amy, et l'intrigue de la fillette dans la combinaison, et il est fantastique de voir que tout est sous notre nez. Toutes les pièces du puzzle étaient là. Mais très peu ont su faire tous les liens et il faudra attendre encore quelques épisodes pour que le mystère se lève.

Enfin une dernière chose : le personnage de River passe ici un cap. Dans son dialogue avec Rory dans les souterrains, on obtient un aperçu du potentiel considérable qu'une telle intrigue peut avoir sur la série. Elle commence à nous glisser des détails de sa vie passée (donc : le futur de la série), sur comment elle a vu le Docteur la première fois. Et déjà lorsqu'elle explique qu'un jour viendra où elle regardera dans les yeux le Docteur sans qu'il sache qui elle est et que ça la détruira, on ne peut que repenser à cet instant dans Silence in the Library où Ten ne la reconnaissait pas. Cet instant devient plus que jamais un moment déchirant. C'est à partir de ce dialogue dans les souterrains que j'ai pris conscience de qui est River Song, et je ne parle pas de son mystère/gimmick. J'ai pris conscience du personnage River Song qu'est en train de construire Steven Moffat, dans sa dimension émotionnelle. Il faudra en effet tout lire à l'envers en ayant constamment les événements passés ET futurs à l'esprit pour pouvoir appréhender la relation River/Docteur et comprendre en quoi elle est tragique.

The Impossible Astronaut bouleverse tout ce que l'on pense savoir de la série à ce stade et réinvente la notion de "début de saison" en posant les bases d'un récit complexe et extrêmement bien ficelé. On ne peut tout simplement pas imaginer meilleur départ pour une saison.