Avis sur les séries
Avis sur les saisons
Avis sur les épisodes
“It wasn’t me... It was Ignacio. Did Lalo send you?”
Finalement, et au bout du compte, on en revient toujours à ça. Fascinant tout de même ce processus de rétro-création d’une série complète à partir de deux phrases. Fascinant certes, mais forcément limité.
À partir du moment au Gus avait posé son pistolet de Tchekhov sous le camion, les choses étaient réglées. Forcément, pour une série qui repose quand même principalement sur le suspens, c’est se tirer une balle dans le pied (sans mauvais jeu de mot). Alors oui, l’exécution est belle et voir Gus enlever son masque est toujours quelque chose de rare et de plaisant. Mais l’ensemble ronronne un peu. Rien de très surprenant et même quelques facilités au passage (le garde qui ne regarde pas l’écran de contrôle).
Il y a tout de même ce plan des deux cadavres côte à côte, les deux morceaux janusiens de la série, le juridique et le criminel, réunis précisément là où s’amorcera la chute de Walter. Une belle symbolique, mais qui n’est pas vraiment autre chose qu’un clin d’œil d’analogie. Or la série, jusqu’à là, avait réussi à proposer autre chose. Une deuxième, voire une troisième lecture. Pas ici. Pour la première fois depuis le début du show, et alors que cet épisode et le précédent ont été bons, j’avoue avoir un véritable doute sur la réussite de la fin de la route. Bad choice road ?
La fin de la K7.
La vraie conclusion des deux séries. Dans le Granite State. Là où il est en réalité impossible de faire quelque chose. Un état froid, glacial et en noir et blanc où tous les déplacements se font sous l’œil des caméras.
« Un océan eleven du pauvre » dit Nick dans son avis plus bas. C’est bien au contraire un Océan Eleven Grandiose. Car Saul, même réduit à l’état de Gene se montre capable d’opérer sa magie chimique (ce que Walt n’avait pu faire quand il meurt dans sa voiture) en inventant un Heist complet à partir de rien, le tout dans une prison de Granite. Même avec un homme qui glisse sur le sol du grand magasin, Slippin Jimmy parvient à s’en sortir.
C’est cette magie viscéralement américaine, composée d’un inébranlable sens du bagoue et de l’adaptation permanente qui font de Gene véritablement un homme de son pays et de son temps. Avec cette capacité hors du commun (on est vraiment très proche du super héroïque ici), Jimmy aurait pu faire n’importe quoi. Sauver n’importe qui. Mais il a fallu que quelque chose le fasse bifurquer sur la route de l’argent. Qu’est ce que ce quelque chose ? Même après six saisons, il est bien difficile de le dire tant la série à montrer les intrications psychologiques (Son frère, la non reconnaissance, la perte de Kim, etc) qui l’ont conduit de Jimmy à Gene.
Mais une chose est sûr : aussi paradoxal que cela puisse paraître, il y a quelque chose de profondément joyeux de voir s’opérer une mise en scène de théâtre pour la dernière fois et de constater que derrière l’évidente volonté de Gene de devenir pour une dernière fois Saul, il créé de la joie. Car oui, il suffit de voir le sourire du taxi man pour percevoir la finalité morale de l’avocat. Un homme capable de créer magiquement un monde entier de ses mains, de transformer la triste réalité d’une vie en aventure pleine et entière. Comme un vrai Magic Man.
« Finally it’s an happy ending » dit Gene à la vieille femme dans la cuisine. Oui, clairement oui.
Finalement, Kim ne sera pas dans Breaking Bad. Jusqu’au bout, j’y ai cru.
Mais la désormais ex-avocate préserve encore sa âme et choisit de faire une double rupture avec Saul (qui lui n’en a plus) : le parking où ils se sont rencontrés et leur salon où leur thérapie conjugale avec Lalo a eu lieu l’an dernier et où le sang d’Howard sèche à peine. C’est le choix le plus logique, mais ce n’est pas celui que j’aurais préféré.
Il faut maintenant parler des deux coups de maître de l’épisode :
1) La scène de Mike avec le père de Lalo. Probablement la meilleure de la saison. Il faut saluer le talent de Gould et Giligan pour tenir jusqu’au bout le fil de leurs personnages de manière absolument admirable. Mike a perdu son fils et donc forcément au bout de la série, il ira « réconforter » un père en deuil. Et ce dernier de lui envoyer à la gueule - à juste titre - qu’il ne s’agit nullement de justice. Ce que le Mike de « I broke my son » savait, mais que celui-ci a oublié. Il y a ce plan où le père de Nacho est enfermé derrière un grillage. Contre-champs immédiat et c’est Mike qui est désormais enfermé dans son monde de tueurs, d’ombres et de deuil impossible. C’est ce même Mike qui dans Breaking Bad tentera de sauver son âme en protégeant Jesse. L’intégralité de l’imbrication d’une parfaite logique.
2) L’ellipse incroyable. Le pied de nez est total. On te vend une série sur la transformation d’une homme en Saul Goodman. Et le processus de développement est avalé dans un fondu au noir. D’un clin d’œil.
Sauf que non, bien entendu. L’ellipse te fait seulement comprendre que la patine du temps a seulement accentué tout ce qu’on a vu avant. Le processus chimique a eu lieu à divers points du spin of. A eu lieu seulement après la décantation. Je n’ai jamais pris l’avocat qui était dans Breaking Bad pour un génie de la loi, mais bien plus comme un bouffon au bagou inébranlable. Et c’est précisément ce qu’est Slipin Jimmy au début de la série. Les saisons de 1 à 6 n’ont fait que renfoncer certains points, mais le personnage était déjà là.
Le génie (et le propos) précis de la série réside dans cette bataille entre l’innée et l’acquis. Difficile de savoir si Chuck a renforcé l’acquis de Jimmy où si il était condamné à devenir ça (avec ou sans son frère). La série se garde bien d’apporter une réponse précise, en laissant une zone bien plus grise que Breaking Bad (« i did it because I like it » disait Walt).
Pour moi, c’est clair depuis longtemps : Chuck avait raison, mais je comprends très bien qu’on puisse concevoir l’autre versant. Je crois même que c’est précisément ce qui fait la beauté du show, que même en aillant vu presque 60 épisodes, on puisse basculer d’un côté ou de l’autre. C’est ça que permet cette ellipse, d’entériner une vision de la vie et surtout de l’humanité. Celle qu'on choisit en toute liberté. Assurément la plus belle étude que j’ai vu sur « La condition humaine » : celle de série et en creux, la sienne.
Dans Breaking Bad, Jesse et Walt auraient eu bien mieux à faire que de « Better Call Saul ». Dans Bcs, Gene Breaking Bad.
Vince Giligan nous refait le coup du Granite State. Là où il tuait Walter dans la neige, il offre une fin heureuse à Gene lors de l’épisode précédent. La série est donc terminée et pourtant comme il est expliqué dans l’excellent avis Reddit que Jo a posté, quelqu’un (Saul ? Giligan lui même ?) essaye de relancer la K7.
Alors on repart pour un tour et cette fois ça sera probablement la fin de Gene. Plus surprenant, Giligan profite de cette dernière relance pour réécrire l’origin story complète de Breaking Bad dans un mouvement absolument ambitieux que je n’avais pas vu venir : Saul comme origine du mal. Ou plutôt comme catalyseur de Walter, masse informe du mal qui serait probablement restée à l’instant d’embryon sans l’intervention de l’avocat. Un choix très courageux de la part d’un homme qui vient rétroactivement réécrire sa propre série. Et de faire ainsi de la rencontre initialement comique Jesse/Walter avec Saul un drame absolu.
Comme si le spectateur aveuglé par la faconde de l’avocat n’avait lui même pas vu le danger du blanchiment d’argent et préféré garder en mémoire les rires. Et Giligan et Gould de pointer de manière très claire le poids très important le rôle de la loi (censé être protectrice de tous) dans la persistance, mais aussi l’aggravation du mal dans ce pays, censé être celui de la liberté. On peut alors se demander qui « Breaking Bad » exactement : Saul ou ce qu’il sous entend et soutient ?