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Avis sur les épisodes
Dès le début, avec le plan sur les cravates, on est fixé : on va assister à la chute d'un homme.
Plus sérieusement, on se retrouve un peu dans la même position que McNulty dans The Wire quand il découvre la maison de Stringer Bell : on ne s'était jamais vraiment demandé pendant Breaking Bad où vivait Saul et ce qu'il faisait de son argent. L'aspect absolument ostentatoire (le viagra) nous apparait d'autant plus flagrant qu'on se retrouve immédiatement après dans l'appartement de Jimmy et Kim, en se demandant fondamentalement (et ça sera LA question finale de la série), si elle a accentué cet état de fait ou si sa disparition l'a précipité. J'ai beaucoup scruté les plans pour percevoir des habits féminins dans ce manoir du mauvais goût. Pour l'instant, la réponse est négative.
Le passage entre les séries habituelles que je regarde et BCS demandent un certain temps d'adaptation. J'en veux comme preuve cette scène centrale du repas où Jimmy décentré bord cadre droit, perd le contrôle face à une Kim, beaucoup plus centrale dans son plan (de caméra et celui concernant Howard). Saul est baladé dans plusieurs échelles de plans, contradictoires, face à Kim qui ne change quasiment pas d'échelle. Le tout avec un jeu de lumière absolument hallucinant où Kim reste au trois quarts éclairée, tandis que Jimmy prend l'obscurité sur la majorité de son visage. Comme un jeu de ping pong de mise en scène et verbale où le jeu de Reah Seehorn repousse complètement ses propres limitations d'actrices ; juste par le regard, elle semble presque douter elle-même de l'envie de mettre son plan à exécution. C'est honnêtement la scène la plus intense de l'épisode et c'est un banal champ contre-champs.
Alors oui bien sûr, comme nous sommes dans le Better Bad Verse, des parties de scénario n'ont absolument aucun sens. Les plans ne sont une réussite que parce qu'ils devaient l'être. Il y a eu tellement de moments comme ça dans Breaking Bad... Ici, c'est l'ami d'Howard qui a pris son casier juste à côté de ce dernier (la vie est bien faite hein) et qui voit le sachet de drogue tomber. Dans le rythme de la narration et la dynamique du récit, ça passe, mais comme d'hab', les plans reposent sur un micro détail complètement aléatoire.
C'est marrant comme avec les deux scènes que je viens de décrire où perçoit immédiatement la grande force et l'immense faille de la narration de Gilligan et de Gould, comme deux éléments chimiques nécessaires, à la fois opposés et complémentaires à une grande finalité de récit. Le moins pour le plus.
Nous y sommes. Le sentiment, sûr, de la perfection. Probablement indépassable. J'ai mis 16/20, mais j'aurai mis 20 ou 19, ç'aurait été pareil.
Il en a fallu du chemin pour y parvenir. Quinze ans sur Breaking Bad et BCS cumulés. Plus, si on ajoute le précédent travail de Giligan (sur "X-Files " notamment). Le point que peu d'œuvres fictionnels peuvent atteindre : la dernière demi-heure de Old Boy, la saison 4 de The Wire, la scène de restaurant dans "Heat", l'ouverture de "Sans soleil", etc.
Il y a, tout d'abord, cette incroyable maitrise de la mise en scène sur toute la dernière partie avec Nacho. Ce jeu sur les ombres, sur le découpage de la scène et ce magnifique travelling avant-panoramique sur Nacho dans sa voiture. Je pense, très sincèrement, qu'aucune scène de gunfights du Breaking Saul n'avait atteint ce point, lumineux, où la quasi-intégralité des dialogues, des intentions et des non-dits des personnages passent par du silence.
Et puis, il y a la préparation. Ce plan dans le générique sur la statue gonflable apparu dès la saison 2 (saison 1 ?). Cette espèce de found foutage parfois incompréhensible trouve ici toute sa force. Alors oui, bien sûr, le ballon gonflable (et gonflant) est une métaphore des Kettleman, mais elle l'est tout autant de... Saul. En opposition (qui vient donner son véritable sens au plan du générique), il y a ce plan de Kim assise sur le canapé, juste derrière un poster de la véritable statue de la liberté. Le message est alors très clair (Kim tourne d'ailleurs la tête exactement), le danger n'est pas la baudruche, mais bien la stature droite, celle du comptable, de l'avocat dans l'arrière-boutique, qui rend possible tout type de méfait. L'Amérique publicitaire luttant contre l'oppression, tandis que l'Amérique réelle fait précisément l'inverse.
Cette Kim là, comme surgit de la pièce bordélique des dossiers oubliés de la fin de la saison 4, qui, pensant défendre l'opprimé.e, va se retrouver (malgré elle ou en pleine volonté) à commettre le pire. Quant à Saul, visage janusien et opposé à ce plan final de Marco (l'épisode 10 de la saison 1) d'un Jimmy regardant vers l'avenir, il ne peut rester silencieux face à la catastrophe qui arrive, se désignant lui-même comme "mouton" dans la voiture.
Sentiment, grisant et si rare, de regarder une œuvre arrivée à maturité, en pleine possession de ses moyens. Difficile pour moi de faire la fine bouche devant cette maitrise totale.
Un premier plan particulièrement audacieux, qui laisse entendre très clairement que de la mort de Nacho va naitre Walter White (le bleu de la fleur est aussi celui de la méthamphétamine). C'est la première fois que Gould et Gilligan font le lien, de manière aussi explicite, avec la série mère, en raccordant ainsi les éléments.
"Pourquoi faites-vous cela ?", demande Huell, la conscience. La vérité est que Saul / Jimmy ne le sait même pas. Howard n'est pas le méchant de l'histoire, et il n'est même pas antipathique. Kim se sert de lui, comme elle aurait pu viser n'importe qui d'autre, comme d'un élément réactif révélant sa vraie nature. Il est la symbolique de l'Amérique WASP, blanche et hétérosexuelle. Le cadre qui a réussi. C'est ce symbole que Kim veut abattre, celui qui a permis l'ensemble des injustices dont elle a été témoin.
Encore un bon épisode, qui laisse même une porte de sortie quasi héroïque à Nacho, personnage martyr, ayant voulu, lui aussi, sortir de la fange des opprimés et qui s'est retrouvé (comme Kim bientôt) du côté des oppresseurs. Le message me semble très clair.
"There's proving and there's knowing" dit Bill.
On pourrait résumer l'ensemble des deux séries comme ça. Deux shows dans lesquels les personnages laissent peu de traces derrière eux et où l'effacement des preuves prend souvent plus de temps que l'action elle-même. Et la plupart du temps, cela ne suffit pas. Puisqu'"on" sait. Que le spectateur sait.
Ce qui est amusant est que l'épisode fait… Exactement le contraire de cet adage. Cliff Main a besoin de "preuves" pour penser qu'Howard prend de la coke (même s'il y est plus sensible à cause de son fils), le spectateur voit les preuves de l'illusion dans lequel se berce Saul "Personne ne sait ce qu'on fait !" et on voit même les preuves de la toute puissance de Gus. Ce moment où Walter (saison 4, épisode 2) va pour tuer Gus chez lui et est arrêté par Tyrus au téléphone prend rétrospectivement une tout autre signification. L'absolu ridicule du personnage de Walter White est encore une fois souligné par la seconde série.
Il y a, enfin, un jeu très amusant entre le spectateur et Giligan. Ce dernier ayant lancé lors de la saison 1 que Wendy et Kim était la même personne, comme une sorte de blague. On sait bien sûr que c'est faux (même si pas mal de gens y ont cru), mais Giligan a quand même voulu débucker par la preuve cette théorie.
Finalement, il y a un seul élément qui n'a pas besoin de preuve pour que tout le monde sache qu'il est dangereux : Lalo. Le Salamnaca, dont la simple absence inonde tous les plans (Mike : "Personne ne sait où il est". Cut. Plan sur Kim de plus en plus parano). Difficile en effet de savoir ce qu'il prépare, mais comme dans tout bon film de Spooky monsters, son absence est peut-être plus terrifiante que sa présence. Le meilleur plan pour lui (et pour moi) serait d'aller en Allemagne pour faire un coucou à la femme de Werner, ce qui permettrait enfin de justifier cet affreux arc du tunnel.
PS : Ce qui est génial dans la scène de rencontre entre Kim et Mike, c'est la fin. Quand l'avocate se rend compte qu'un simple gardien de barrière peut devenir quelqu'un de puissant. Et pour quelqu'un qui a vécu dans la peur toute sa vie (son père, les cabinets d'avocats, le système, etc), on peut sans nul doute s'imaginer l'effet que ça pourrait lui faire de ne plus avoir peur.