Critique : Doctor Who (2005) 9.02

Le 29 septembre 2015 à 13:14  |  ~ 30 minutes de lecture
Jusqu'où la compassion peut-elle nous emmener ? The Witch's Familiar, la seconde partie d'une ouverture de saison qui fait honneur au pitch de l'épisode précédent et à la série toute entière...
Par Galax

Critique : Doctor Who (2005) 9.02

~ 30 minutes de lecture
Jusqu'où la compassion peut-elle nous emmener ? The Witch's Familiar, la seconde partie d'une ouverture de saison qui fait honneur au pitch de l'épisode précédent et à la série toute entière...
Par Galax

Depuis maintenant plus de 40 ans, le Docteur et le génie scientifique nommé Davros se livrent à un débat sans merci. Au cœur du conflit : la création de l'espèce la plus impitoyable de l'univers, née du désespoir de Davros de voir sa race survivre et triompher d'une guerre qui n'en finit pas. The Witch's Familiar est la réponse à ce débat. Par ce deuxième épisode, Steven Moffat conclut son introduction à la saison 9 avec l'une de ses pièces d'écriture les plus intimes et les plus belles. Il rend compte de toute l'histoire du show et réinvente cette dernière de la plus honorable des manières possibles.

Cette seconde partie, très calme en événements et pauvre en action, est à l'inverse extrêmement riche en thématiques, interrogations et explorations de la psychée des personnages. Je vais donc avant tout essayer, par cette critique, d'aborder tous les points soulevés par cette histoire, mais quelque chose me dit qu'il me faudrait encore quelques visionnages de plus afin de vraiment saisir tous les enjeux soulevés par l'épisode, tant ce dernier recèle de pièces de dialogues intéressantes et forme un ensemble dense et magnifique. Je me lance...

 

Poster Doctor Who The Witch's Familiar, Stuart Manning, RadioTimes

 

~~~

 

Le Docteur et Davros

 

Ce qui fait la particularité de The Witch's Familiar et ce pourquoi on se souviendra de lui pour très longtemps, se trouve évidemment dans l'écriture des deux personnages les plus complexes et probablement les plus emblématiques du show : le créateur des Daleks, Davros, et le Docteur. C'est donc tout naturellement leur relation qui constitue le point que j'aborde en premier.

La semaine dernière, The Magician's Apprentice nous avait présenté un choix cornellien, ancré dans les racines du show : sauver un enfant qui entraînera des millions de morts, ou ne rien faire et condamner ce dernier. En soit, cet ultimatum constituait une énième variation du dilemme du tramway, élément que la série aborde régulièrement sous des aspects différents (la fameuse Guerre du Temps en est un...) et auquel s'était plus récemment risqué l'audacieux Kill the Moon. Seulement, les événements avec le jeune Davros n'étaient qu'en toile de fond, réapparaissant ça et là dans le récit. Cette deuxième partie ira dans la même direction et ne développera pas ce dilemme en profondeur. Si ce choix peut surprendre, il témoigne de la volonté du scénariste de créer une vraie prestation d'acteurs, un huis-clos entre les personnages.

On notera d'ailleurs que jamais on ne fait mention d'un possible paradoxe si le Docteur venait à changer l'histoire en tuant Davros, ni toutes les conséquences temporelles que cela pourrait provoquer. Il est loin le temps où le mot d'ordre du show était "time can be rewritten" et où la simple coquille temporelle était à l'origine d'un épisode tout entier (The Girl Who Waited, The Big Bang, The Angels Take Manhattan...). Depuis la saison 8, Steven Moffat continue de jouer avec l'histoire et fait honneur à l'aspect science-fiction du show. Tout l'épisode réside en effet dans le fait d'aller intervenir dans le passé de Davros, et l'ensemble formera même une boucle temporelle. Mais sans jamais basculer dans les mélis-mélos temporels parsemés de retours en arrière, ce que les fans ont affectueusement appelé le "timey-wimey".

 

Capaldi sur une auto-tamponneuse

"Admit it. You've all had this exact nightmare."

 

Non, cet épisode joue certes sur la corde du voyage dans le temps, mais est en réalité un récit très linéaire, reposant sur les échanges entre les personnages. En fait, dès la première scène, le Maître, ami le plus proche du Docteur depuis son enfance, donne le ton de l'histoire : "Consider the Doctor". Elle confond toutes les incarnations du Docteur pour ne garder que le Seigneur du Temps, la personne en soi qu'il y a derrière. Il en ira de même pour Davros. Exit le savant fou machiavélique dépeint dans Journey's End, dans The Witch's Familiar, Davros est un vieil homme mourant laissant apparaître ses faiblesses et surtout, ses regrets.

Oh bien sûr, il y a quelques actions insolites par-ci, quelques éléments présents pour le spectacle par-là, mais au fond cette histoire n'est rien de plus qu'une joute verbale entre quatre yeux. D'ailleurs, le fait d'avoir fait intervenir les vrais yeux de Davros dans le scénario possède un symbolisme certain. Cette révélation (oui, il a toujours été montré ne possèdant qu'un "troisième œil" depuis sa première apparition dans la série) n'est qu'une étape de plus dans le processus visant à nous le rendre attachant, par rapport à un Docteur "sans espoir", prêt à tout. Davros est en effet très touchant dans l'épisode.

Tout l'épisode veut alors démontrer, en inversant leurs rôles, que ces deux êtres sont au final bien plus proches qu'ils ne le pensent. C'est ce que l'épisode précédent avait déjà entrepris (Davros avait déclaré dès leur première rencontre : "I approve of your new face, Doctor. So much more like mine."). Les dialogues de cet épisode tirent constamment des parallèles entre les deux hommes, si bien qu'on arrive petit à petit à les confondre :

 

  • Tous les deux ont un sens bien particulier et similaire du sentiment d'appartenance, de se sentir chez soi ("A man should belong."). Davros semble en effet honnête lorsqu'il dit être heureux pour le Docteur, que ce dernier ait pu sauver son peuple. L'explication sur la survie de Skaro est un autre témoignage de cette nostalgie présente chez les Daleks qui l'ont reconstruite (détruite dans la guerre du temps, une incohérence à l'époque d'Asylum of the Daleks). Or, tout ce que les Daleks ont, c'est Davros qui leur a transmis... Et c'est ce que le Docteur possède aussi.
  • Par le rapport entre ces deux hommes au passé sinueux et ayant dû faire face à des choix les ayant poussés au dos du mur, l'épisode adresse aussi le fil rouge de la saison précédente. Lorsque Davros veut obtenir une fin au débat en posant la question au Docteur "Am I a good man ?", il devient explicitement le miroir du Docteur.
  • Enfin, peut-être le rapprochement le plus symbolique de tous (désolé si je commence à entrer dans le "tiré par les cheveux") : ils possèdent la même conception de la mort. Dans l'épisode précédent, on nous avait subtilement sous-entendu que tous les deux décident de retourner parmi leurs "enfants" lorsqu'ils se meurent : Davros sur Skaro, le Docteur sur Terre. Dans cet épisode, une autre image renvoyant à The Time of the Doctor apparaît et constitue un autre lien entre les deux hommes. Tout comme le Docteur au crépuscule de sa vie sur Trenzalore, Davros n'a qu'un souhait : voir une dernière fois le lever du soleil.

 

C'est ce tout dernier moment qui va les rapprocher de manière explicite ("We're on the same side, now."). Le moment où le soleil se lève mais où Davros ne peut pas ouvrir les yeux m'a tiré les larmes aux yeux. Julian Bleach y est pour beaucoup. L'acteur montre une palette d'émotions immense et fait honneur à la figure mythique qu'il incarne. Il s'impose comme le meilleur acteur ayant joué Davros à ce jour, bien que l'écriture fine et nuancée de ce personnage dans cet épisode, en contraste radical avec celle de Journey's End, y soit pour beaucoup. Le dialogue qui suit l'humanisation de Davros, lorsque ce dernier ouvre les yeux, est une prouesse d'acting et d'écriture, et montre toute la complexité de la relation entre ces deux "ennemis".

 

Julian Bleach incarne Davros

"Was I right ? I need to know... before the end. Am I a good man ?"

 

Oui, malgré la révélation sur la ruse de Davros, je crois sincèrement qu'il y avait un fond de vrai dans ce qu'ils se sont dit mutuellement. Je crois sincèrement que leur rire partagé quand Davros fait une blague était sincère. Et malgré le rebondissement du piège du Docteur qui avait tout prévu, on ne peut s'empêcher d'être profondément touché et de croire au rapprochement des deux personnages. J'ai personnellement été berné par Davros, car la sincérité avec laquelle il délivre toutes ses lignes m'a touché. Enfin, que l'on ait cru ou pas à leur rapprochement soudain, dans tous les cas une chose est sûre : on aperçoit très bien en quoi ces deux ennemis auraient pu, dans une autre vie, être amis.

 

 

Le Docteur et le Maître

 

Être amis. Être ennemis. Où est la ligne entre les deux ? C'est tout le sujet de cet épisode. Et bien sûr pour les plus attentifs, cette manière de rapprocher deux personnes que l'on considérait comme ennemis, n'est pas sans rappeler le plan très personnel de Missy dans Death in Heaven. Elle souhaitait prouver au Docteur qu'ils sont similaires, en lui mettant une arme entre ses mains, ce qu'elle tentera à nouveau dans l'épisode lorsqu'elle l'incite à tuer Clara à la fin. Finalement, dans cette histoire à propos du brouillage des frontières de l'amitié ou de la rivalité, l'intégration de Missy est parfaitement logique. Voilà un doute que l'on balaye donc de notre esprit après The Magician's Apprentice, où Missy était restée plutôt en retrait dans l'histoire, ce qui m'avait laissé dubitatif. Pas de doute, le Maître est là et il est à sa place.

Évidemment, cela reste bien sûr avant tout le récit de Davros et du Docteur. Je dirais même que cet épisode est surtout une phase de transition pour le Maître. D'un point de vue de l'incarnation de Missy seulement, rien ne peut égaler pour le moment le dernier échange qu'ils ont eu dans Death in Heaven ("You win." "I know."), seul instant à ce jour où Missy a laissé entrevoir ce qu'il y a sous sa carapace, ce qui m'avait profondément ému à l'époque (et qui me touche encore dès que j'y repense). L'épisode permet donc surtout de combler des blancs pour l'incarnation de Michelle Gomez, révélant les détails sur sa survie dans la scène pré-générique de l'épisode. Scène expliquant au passage la résolution du cliffhanger, mais pas seulement, car si on l'étend à toute la série, cela peut servir d'explication à toutes les fois où le Maître s'était sorti de situations insurmontables dans la série classique pour revenir comme une fleur l'épisode suivant. Encore un petit hommage à la série classique sous forme de clin d'œil aux fans.

 

Missy The Witch

"The bitch is back". Michelle Gomez vole le show et assure la partie comique de l'épisode.

 

Bref, Missy a donc plus dans cet épisode le rôle de contrepoids. L'incarnation de Gomez nous doit toujours un face-à-face final dantesque avec Twelve, à l'instar de John Simm dans The End of Time 2, afin de nous aider encore plus à comprendre la relation complexe entre le Docteur et le Maître. En clair, The Witch's Familiar n'est pas vraiment un épisode sur le Maître, celui-ci s'effaçant par rapport à Davros (bien que leur rencontre historique dans la série soit absolument hilarante, lorsqu'elle lui donne une pichnette dans l'œil). Mais cela ne veut pas dire que Missy est à oublier dans l'histoire ; elle reste un apport intéressant à l'épisode. Son premier rôle, ce qui a sûrement dû ravir les détracteurs, c'est de démystifier Clara, qui, concrètement, se fait malmener pendant tout l'épisode... pour notre plus grand plaisir de fan sadique. "Make your own stick !", lorsqu'elle la pousse dans le puits, "You're the bait, I'm the hook" lorsqu'elle l'utilise pour attirer un Dalek... Cela donne lieu à des gags franchement hilarants, qui viennent contrebalancer parfaitement le sérieux qui se déroule à l'autre bout de Skaro, dans la chambre de Davros. L'épisode mêle habilement humour et drama comme les premiers épisodes de Moffat avaient su le faire en leur temps (The Girl in the Fireplace, The Empty Child).

Son autre rôle, de manière évidente, c'est de servir à introduire toutes les ficelles scénaristiques qui serviront ensuite : l'explication sur le cliffhanger donc, mais aussi les égouts, un concept génial servant à la résolution de l'épisode, ou Clara dans le Dalek. Ce dernier point, en plus d'être la référence ultime à Asylum of the Daleks et à Oswin Oswald, joue un rôle non négligeable dans la conclusion de l'épisode, puisque cela poussera le Docteur à aller sauver l'enfant Davros (et oui, Clara continue d'influer de manière inconsciente mais démesurée sur l'histoire du Docteur, que vous le vouliez ou non).

Un contrepoids, un outil scénaristique... oui, il est vrai que Missy n'est pas vraiment à son beau fixe dans cette histoire, dans le sens où ce n'est vraiment pas un récit sur elle. Néanmoins toute histoire faisant apparaître le Maître devrait apporter au moins quelques détails croustillants sur son passé, et c'est le cas avec la mention de sa fille. SA. FILLE. La présence de Missy dans cet épisode était aussi évidemment dans le but de nous habituer un peu plus à une incarnation femelle du Maître, de quoi laisser du temps supplémentaire à Michelle Gomez de conquérir le coeur d'autres fans un peu tièdes après ses premiers pas en saison 8. Il est sans doute prévu de la faire revenir d'ici peu. Steven, que nous prépares-tu ?

 

 

Le Docteur et les Daleks

 

Troisième et dernier axe avec lequel j'aborderai l'épisode... et je ne pensais vraiment pas avoir à écrire une chose là-dessus. Les Daleks m'avaient déjà saisis dans leur scène à la fin de l'épisode précédent, mais The Witch's Familiar surpasse toutes mes attentes à ce niveau-là. En plus de révolutionner la relation Docteur/Davros et de poser des choses très intéressantes quant à Missy, l'épisode parvient à continuer la tâche qu'avait commencé Into the Dalek l'année dernière, voire même dépasse ce dernier dans celle-ci : réinventer la manière dont on voit les Daleks.

Je ne parle pas du fait de voir tous les Daleks de toutes les époques réunis sur une Skaro reconstruite, ou de la découverte des égouts de la ville qui est le cimetière de la planète voire le dépotoir des Daleks (ce qui s'assemble merveilleusement bien au concept de l'asile des Daleks, une planète où sont placés les déchets, les fous, les malfonctionnants). En soi, ces deux éléments m'auraient déjà comblé et auraient justifié la présence des Daleks dans l'épisode. Après tout, c'est avant tout une histoire sur leur créateur, Davros, et sur comment le Docteur s'en rapproche. Bref, c'est déjà bien tout ça, mais c'est autre chose qui constitue la vraie originalité de l'épisode par rapport aux Daleks. En fait, tout part du concept de mettre autre chose qu'un Dalek dans l'armure du Dalek. 

 

One dans The Space Museum, Ian dans The Daleks

Rentrer dans un Dalek est un hommage à One et son compagnon Ian, qui avaient utilisé cette ruse dans le premier épisode.

 

Pour la première fois, 52 ans après la première apparition des Daleks sur la planète Skaro, l'armure d'un Dalek est séparée de l'être qui vit à l'intérieur de manière à ce que l'on comprenne le fonctionnement des deux parties individuellement. Bien sûr, il y a déjà eu des séparations par le passé : le Dalek de Rose dans la saison 1 avait ouvert sa carapace, Oswin ou Rusty étaient aussi des Daleks particuliers. Mais cette fois, c'est différent. Cette fois, c'est de l'ordre de tous les Daleks existants, de la programmation d'un Dalek depuis sa naissance. Qu'est-ce qui différencie la créature à l'intérieur de son armure, qui pense pour elle et qui fait d'elle un Dalek ? Si Into the Dalek faisait un travail formidable en nous en apprenant plus sur la forme d'un Dalek, The Witch's Familiar attaque le fond, le fonctionnement de la pensée-même de ces monstres.

Ainsi, dès la première phrase "I am Clara Oswald" transformée en "I am a Dalek" (qui ne vient que sublimer la fin déjà déchirante d'Asylum of the Daleks), on comprend que le tank Dalek façonne la façon de pensée de la créature. Que dire alors quand un "I love you" se transforme en "Exterminate !" ? On comprend que les créatures sont en réalité parfaitement intelligentes et conscientes de leurs émotions, seulement, leur discours est adapté, modelé à l'image de tueurs que Davros voulait renvoyer. La démonstration de Missy est d'autant plus frappante lorsque vient la comparaison avec les Cybermen : "Cybermen suppress emotion. Daleks channel it... through a gun.". Les Daleks avaient parfois été "robotisés" au cours de la nouvelle série, voilà que l'ordre des choses est rétabli. Missy ne se contente pas d'expliquer la catchphrase ridicule des Daleks en lui donnant un intérêt scénaristique ("That's how they reload."), elle change également notre façon de percevoir un Dalek en soi, en prouvant à l'écran toute l'horreur et l'abomination que représente le concept du Dalek. Ce qui ne fait que renforcer l'ambiguité du débat entre Davros et le Docteur qui se déroulait en parallèle. Ces révélations arrivent dans le meilleur contexte possible pour un épisode, et franchement de manière inattendue, car j'attendais plus les Daleks en background dans l'épisode. C'est très fort.

 

Clara Oswald en Dalek

"Just... don't get emotional. Emotion fires the gun." Juste complètement pervers et horrible comme idée.

 

Ma vision des Daleks sera donc à jamais changée et chaque "exterminate" sera vu différemment après cet épisode. J'exagère peut-être un peu, mais pour prendre un élément de comparaison, cela se rapproche du concept du TARDIS personnifié de The Doctor's Wife, qui nous avait fait changer de regard sur le TARDIS. Machine du Docteur avant, devenue son plus fidèle compagnon après le chef d'œuvre de Neil Gaimann.

Mais cela ne s'arrête pas là ! Il y a pire. Car j'en viens à avoir pitié d'eux. Pitié des Kaleds (c'est-à-dire le peuple de Davros), l'embryon semblable à une pieuvre dans le Dalek. Ils deviennent esclaves de leur propre haine et sont condamnés à ne montrer aucune pitié afin de pouvoir effectuer leur principale fonction : exterminer toute créature différente d'un Dalek. Car ils n'ont que ça pour vivre. Ils en ont besoin. Ce qui renvoie d'ailleurs à la description de Davros lorsque les Daleks de l'épisode précédent attendaient que Clara s'enfuisse ("They NEED her to run"). Ce qui n'était que des mots et de la théorie dans les saisons précédentes devient une intrigue à part entière portée à l'écran et tout de suite, devient plus percutant.

De là, la thématique de la compassion et de la pitié apparaît et rejoint le scénario principal autour de Davros et de l'enfant ("My Daleks are afflicted with a genetic defect. Respect. Mercy for their father."). Le face-à-face final entre le Docteur et Missy, ce qui est également les retrouvailles entre le Docteur et Clara-Dalek, enfonce le clou concernant la cruauté contenue dans le concept d'un Dalek. "I am your friend" devient "I am your enemy", et ainsi de suite. Cet échange déchirant entre Clara et le Doc prépare également le terrain pour la scène finale, et en est même l'élément déclencheur.

 

 

Une leçon de pardon ?

 

Avec tout ça en tête, je n'ai plus qu'une chose à dire : cette dernière scène de l'épisode est certainement la plus belle de toute.

 

Peter Capaldi

 

On comprend que cette grande scène sur le champ de bataille, découpée en extraits tout au long du two-parter, est la clé de voûte de l'ensemble de ce dernier, le pilier de toute l'histoire. Le fait original de ne résoudre le cliffhanger que lors de la toute fin du two-parter en est la preuve, car cette dernière scène constitue l'apothéose de toutes les thématiques lancées. Le Docteur, par éclair de conscience, réalise que Davros possédait en lui toute la compassion qu'il méprisait, et il réalise qu'il l'a transmise aux Daleks (renvoyant au "défaut génétique" que citait Davros : le respect de leur père). Le Docteur comprend que son devoir est de montrer à Davros que la compassion existe. C'est à l'instar de l'enfant Kazran dans le chef d'oeuvre A Christmas Carol, dans un registre cela dit complètement différent du voyage iniatique sous forme de conte de fée du Noël, que le Docteur doit lui montrer la voie. Quel est donc le dialogue qui suit ?

 

Doctor : – Come on, I'll take you home.

Davros : – Which side are you on ?... Are you the enemy ?

Doctor : – I'm not sure that any of that matters. Friends, enemies. So long as there's mercy. Always mercy.

 

Le Docteur dit à l'enfant "Come on, I'll take you home", une image forte rappelant tous les concepts du "chez soi". De la mention de la planète Gallifrey retrouvée. Même de la reconstruction de Skaro par nostalgie des Daleks, sentiment que leur avait transmis Davros (et donc, que Davros a symboliquement hérité du Docteur). Que lui répond l'enfant ? Deux choses : premièrement, "Which side are you on ?", ce sur quoi le Docteur et Davros se sont interrogés tout au long de leur conversation, Davros ayant révélé, lorsqu'ils attendaient le lever de soleil ensemble, qu'il aurait aimé avoir été au moins une fois du même côté que le Docteur. Deuxième question de l'enfant : "Are you the enemy ?". Ce à quoi le Docteur répond par la réplique finale : "I'm not sure that any of that matters. Friends, enemies. So long as there's mercy. Always mercy.". En trois lignes de dialogues, cet échange renvoie à absolument tous les dialogues qui ont été partagés par le Docteur et Davros dans le présent. Le Docteur fait plus que sauver son amie Clara en sauvant Davros. Il sauve, en un sens, l'âme de ce dernier, en lui montrant qu'il y a toujours de l'espoir, tant qu'il y a de la compassion. Une morale à l'image de ce que la série a toujours prôné mais avec la subtilité nécessaire pour ne jamais tomber dans le pathos.

En faisant preuve d'une telle compassion, le Docteur va jusqu'à honorer, voire expliquer, les paroles de sa quatrième incarnation, après sa toute première rencontre avec Davros dans Genesis of the Daleks. Recruté par les Seigneurs du Temps pour empêcher la création des Daleks, ce qui s'est soldé par un échec, il expliquait à sa compagne Sarah Jane Smith qu'il n'avait pas échoué, se justifiant en disant que de toute création du mal, quelque chose de bien doit forcément en sortir (sa réplique exacte : "Failed? No, not really. You see, I know that although the Daleks will create destruction for millions of years, I know also that out of their evil must come something good."). En sauvant Davros, le Docteur va l'inspirer. Il l'inspirera à créer une machine pouvant sauver son peuple et mettre fin à la guerre de la même manière qu'un inconnu l'a fait pour lui (de là lui est sans doute née l'idée de "l'exterminate"). Ainsi, le Docteur met fin au débat avec son éternel ennemi et nous démontre qu'il faut toujours savoir tendre la main. Ami, ennemi ? Compassion, haine ? Rien de tout ça n'a d'importance. L'image finale ? La réconcilliation. Le Docteur, le vieux magicien tenant un bras Dalek, prenant par la main l'enfant Davros, l'apprenti, qui serre le tournevis sonic entre ses mains, la fusion des opposés n'ayant jamais été aussi frappante. A l'instar de Listen et de son célèbre "Fear makes companions of us all", la fin de The Witch's Familiar nous laisse grandis, et nous incite à reconsidérer différemment toute une histoire.

Selon moi, c'est l'ensemble de cette dernière scène qui élève l'épisode au rang de chef-d'œuvre.

 

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Il est difficile de ne pas se livrer à la suranalyse et l'interprétation face à une histoire aussi dense, riche et belle que The Witch's Familiar. J'espère ne pas m'être trop éparpillé au cours de cette critique, mais quand le matériel à étudier est aussi solide, complexe et intéressant que celui-ci, c'est dur ! Ce qui est certain, c'est que la saison 9 vient de démarrer par un épisode brillant, à la fin magistrale, et qui réinvente notre regard sur de nombreux points cruciaux de la série. Ce qui est encore plus sûr, c'est que si toute la saison est du même acabit, nous aurons beaucoup de mal à nous en remettre.

 

J'ai aimé :

 

  • Davros et le Docteur, amis ou ennemis de toujours, mettant de côté leurs différends dans des dialogues poignants.
  • Peter Capaldi et Julian Bleach dans un échange en huis-clos parfaitement écrit.
  • Michelle Gomez continue son incarnation folle et sérieusement troublée du Maître.
  • Les prestations musicales et graphiques de l'épisode, ultra léchées.
  • L'exploitation de Skaro et du background des Daleks.
  • Clara en Dalek, tout le concept apportant une nuance énorme sur notre vision des Daleks.
  • La fin de l'épisode secouant l'ensemble de la mythologie de Davros et des Daleks, semblable à celle de mon épisode préféré de la série, m'ayant donc fait sérieusement considérer le 19/20.

 

Les reproches que l'on peut faire à l'épisode :

 

  • Twelve s'adoucit trop. La promesse d'un Docteur Hartnellien n'est plus respectée. J'espère que le tir sera redressé. Je veux du fun, mais en légère dose.
  • L'idée que Davros a joué un jeu lorsqu'il parle au Docteur atténue la puissance qu'auraient pu avoir ses mots, un détail insignifiant sur lequel il est préférable de fermer les yeux.
  • J'aurais aimé plus de Missy, mais je préfère attendre sa prochaine histoire avant de me prononcer totalement.
  • Le titre de l'épisode. Fuck*ng stupid. Arrêtez avec les titres séparés pour chaque two-parter. Cela ne rime jamais à rien.

 

Ma note : 18/20.


 

Le Coin du Fan :

 

  • One et Four peuvent être entre-aperçus dans la scène d'introduction lorsque Missy nous demande de considérer le Docteur dans sa personne, dans un jeu d'ombres similaire à la manière de la fin de The Name of the Doctor.
  • Hallelujah ! Le générique de la série (qui a d'ailleurs été un peu retouché depuis la saison précédente) a enfin été synchronisé avec la musique. Cette dernière reste malheureusement pour nos oreilles, inchangée.
  • Que serait un Coin du Fan sur un épisode des Daleks sans aucune référence ? Un bien mauvais épisode, moi je vous le dis. Outre les références évidentes à Oswin Oswald, l'épisode est parsemé d'hommages à ces ennemis cultes. Ils ont l'occasion de prononcer des répliques cultes, telles que "Seek, Locate, Destroy". Des images d'archives peuvent être vues sur des écrans. De plus, comme dans l'épisode 1, toute sorte de Daleks sont aperçus, sauf le Paradigme multicolor. Enfin, le Dalek tank de l'épisode Remembrance of the Daleks nous laisse même entendre sa grosse voix, il s'agit de la première fois qu'un Dalek spécial obtient des lignes !
  • Vous voulez du méta ? Il y en a en veux-tu, en voilà dans l'épisode, dont un bon nombre de lignes que j'ai déjà citées dans ma critique. À retenir, le coup de la tasse de thé que le Docteur sort de nulle part, suivi par ce joli pied-de-nez aux critiques sur les facilités narratives auxquelles la série recourt parfois : "I'm the Doctor. Just accept it."
  • Souhait des fans exaucé : le Tournevis Sonique disparaît de la série. Est-ce pour de bon ? À la place, accueillez les nouvelles Lunettes Soniques. Un pari audacieux pour la série, une singularisation de Capaldi et peut-être la promesse de moins se servir d'un appareil sonique pour résoudre des problèmes scénaristiques ? En effet, s'il est facile de faire un petit coup de tournevis pour ouvrir une porte ou défaire un monstre, il serait bien plus ridicule de sortir des lunettes de soleil... Les scénaristes vont devoir y réfléchir à deux fois avant d'insérer ce procédé narratif dans le récit, sans pour autant ne jamais pouvoir y recourir. Un juste milieu original signé Moffat. Et en plus, Capaldi a la classe avec. D'une pierre deux coups.

 

 

Le Coin Spoilers, "spéculation-time", bref, on tente de deviner ce qui nous attend :

 

  • "You know what ? I've just had a very clever idea." Que prépare Missy ? Une alliance avec les Daleks ? Et si cela aboutissait à la prophétie de Davros et que le Seigneur du Temps concerné n'était donc pas le Docteur, mais bien le Maître ? Joli coup de la part du scénariste qui ne nous fait pas miroiter la mort de Missy une deuxième fois et qui préfère nous intriguer en nous rendant impatient de son retour...
  • Quel sera le sort de Clara ? Pourquoi faire une nouvelle mention du fait que Missy ait choisi Clara car elle voulait montrer au Docteur "an ennemy within a friend" ? Ajoutons à cela la remarque "You are the last person I will ever kill" de Clara-Dalek au Docteur, et si... Clara, la fille née pour sauver le Docteur, allait en fait être celle qui va le tuer ? Le destin de Clara semble en tout cas clairement scellé depuis longtemps.
  • Quelle est la confession du Docteur ? Quelle est donc cette histoire de prophétie sur une race hybride entre deux guerriers ? Est-ce vraiment ce qui a poussé le Docteur à quitter Gallifrey ? Il a été souvent sous-entendu que le Docteur occupait un poste important à Gallifrey. Il a accès aux bureaux des présidents lorsqu'il revient sur Gallifrey dans The Deadly Assassin et The Invasion of Time. C'est lui que les Seigneurs du Temps contactent dans Genesis of the Daleks ou The War Games quand ces derniers ont besoin d'aide. Il a été dit dans Genesis of the Daleks que sa nature de régenat, de fuyard, a été tolérée, en raison de ses services rendus pour la planète. Dans The Day of the Doctor, il contacte le conseil de guerre qui le connaît bien. Dans The End of Time, il voue une haine sans borne à Rassilon. Conclusion de tout ceci ? Aucune idée. Il faudra attendre la fin de saison pour que la confession du Docteur nous soit révélée...

 

 

Que nous réserve donc la suite de la neuvième saison ? Des mystères, oui, une plongée encore plus profonde dans le passé du show, avec un peu de chance. Au fond, on peut surtout s'attendre à un paquet d'aventures aussi tordue que celle-ci. Pour résumer, Doctor Who fait toujours du Doctor Who et il le fait toujours aussi bien.

 

Same old, same old... Just the Doctor and Clara Oswald in the TARDIS !

L'auteur

Commentaires

Avatar ClaraOswald
ClaraOswald
Best critique ever

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Gizmo
Critique hyper complète, on est à deux doigts du boulot de thèse à ce niveau ^^ J'ai beaucoup aimé ta comparaison avec "The Doctor's Wife", très pertinente. Moffat avait déjà bien déblayé la nature des Daleks et l'horreur de leur condition dans "Asylum", mais il vient de réussir à répéter l'exploit, en plus abouti encore. Dans les reproches, je dois avouer que je comprends pas trop non plus le délire qu'a Moffat avec ses titres souvent rigolos, mais à côté de la plaque. Je pense qu'il veut à tout prix troller son public, mais pour un titre, c'est tout de même dommage de sacrifier la cohérence au profit d'un détail du récit anecdotique... Sinon, ta critique souligne un fait intéressant: Moffat sous-entend clairement que le Doc a "créé" davros (le flingue, le "exterminate", la notion d'appartenance à une maison), mais tout cela est fait de manière subtile. Au lieu de nous rendre compte avec horreur de cette vérité, voir les 2 personnages "rentrer à la maison" devient touchant, et la réplique de Four que tu cites renvoie parfaitement à cette scène. Malgré l'horreur de l'avenir, le Docteur ne condamnera pas l'innocence d'un enfant. Le seul problème, c'est qu'il va être très très dur de fournir à nouveau un aussi bon épisode sur les Daleks après ça. Sur le plan thématique, j'ai l'impression qu'on a atteint une forme d'absolu. Di coup, l'idée d'avoir dans le finale Missy et les Daleks associés m'emballe pas des masses. Je me demande si son "idée" ne serait pas de leur donner les coordonnées de Gallifrey, pour "recommencer la Time War", idée déjà présente dans The Time of the Doctor, et que Tasha Lem souhaitait éviter...

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Galax
Merci ^^ Le titre The Magician's Apprentice était sympa je trouve car on retrouve ces métaphores propres à l'ère Moffat et ça a un sens dans l'histoire. The Witch's Familiar par contre ça ne concerne que Clara et Missy qui sont pour moi secondaires dans le récit. Bref là je ne critiquais pas les titres de Moffat en particulier (je trouve qu'ils s'améliorent depuis les très bofs de sa saison 7 et j'aime beaucoup "TMA" donc) mais juste sur le fait que la série nomme ses two-parters différemment (à part pour The End of Time). Quand on regarde tous les two-parters de la série, ya souvent un des deux titres qui est à côté de la plaque (The Doctor Dances, The Age of Steel, The Family of Bloood, Forest of the Dead, The Poison Sky, Journey's End, Flesh and Stone, Cold Blood, The Almost People, The Satan Pit...). Enfin bon les titres, c'est tout de même du pinaillage ^^ Je suis d'accord avec toi pour les Daleks. Thématiquement ça va être dur de se renouveler. Maintenant ils peuvent continuer à trouver de nouveaux concepts ingénieux comme dans Into the Dalek malgré la rebrasse de thèmes. Et puis faire un épisode de Dalek chargé thématiquement n'est qu'une approche parmi d'autres, bien que c'est celle que Moffat a quasiment toujours utilisé. On pourrait très bien faire un épisode des Daleks plus axé humour ou action. Je doute que Missy et les Daleks reviennent dans le finale par contre. Si c'est le cas ils ont très, très bien caché leur jeu. L'idée de recommencer la Time War est par contre géniale, j'avais complètement oublié cet aspect de The Time.

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