Je suis heureux de pouvoir faire ma première critique de Better Call Saul sur Chicanery, tant l’épisode incarne tout ce que j’aime dans son show. La finesse de ses personnages, des relations qui les (dés)unissent et de la lente transformation de Jimmy McGill en Saul Goodman. Bien que j’apprécie les intrigues de Mike et Gus et la progressive intégration de Better Call Saul dans l’univers de la série-mère, j’ai un attachement profond aux tourments de la fratrie McGill. Bref, vous l’aurez compris : j’ai savouré chaque minute de ce petit bijou d'épisode.
Le crépuscule des idiots
Chicanery débute par un flash-back mettant en scène l’ex-femme de Chuck, Rebecca, précédemment apparue dans l’épisode éponyme de la saison 2 (le cinquième, précisément, car Gould et Gilligan ne laissent jamais vraiment rien au hasard). Ce choix est déjà lourd de sens, puisque jusqu’à présent le personnage de Rebecca (comme celui d’Alfred Hitchcock) était porteur d’un mystère, d’un non-dit entre les frères McGill, à tel point que sa seule autre évocation dans la série émergeait lors de l'intrusion d'un Jimmy furieux chez Chuck un peu plus tôt dans la saison ("No wonder Rebecca left you !"). En faisant réapparaître Rebecca en ouverture de l'épisode, et en apportant les réponses qui n'étaient jusqu'alors qu'implicites, l'épisode semble vouloir marquer une étape dans la mythologie de la série.
Ainsi, Chicanery est un épisode crépusculaire, celui de la fin d’une ère pour la série et pour les frères McGill. Comme sur le champ de bataille, les personnages préparent le terrain, avancent leurs derniers pions avant de s’engager dans la bataille : Jimmy se rendant chez le vétérinaire de Mike, Kim rassurant Mesa Verde quant aux possibles retombées à venir, Chuck tentant de trouver les mots justes pour rendre crédible l’amour qu’il porte à son frère, ou encore Howard qui propose à Chuck de faire marche arrière…
Comme dans Breaking Bad, et peut-être même avec encore plus de finesse et d’intelligence, Peter Gould, Vince Gilligan et Gordon Smith (scénariste de l’épisode) ont posé tous les jalons menant à la confrontation qui occupera la seconde moitié de l’épisode. La réalisation nous le fait comprendre lorsqu’elle s’arrête sur les plots de signalisation devant le tribunal, préfigurant l’arrivée de Rebecca : quelque chose d’important se trame. Kim et Jimmy ont un plan. Mais cette fois-ci, il ne s’agit pas d’embobiner "Ken Wins", il s’agit de faire tomber Chuck, de le briser psychologiquement, de l’humilier. Car il n’y a pas d’autre victoire envisageable, aussi amère soit-elle.
J’ai bien conscience que Chuck est un être détestable, rongé par la jalousie, l’hypocrisie et sa soif de justice personnelle ridicule. Mais Better Call Saul nous a amenés à comprendre ce personnage. J’ai appris à connaître Chuck, et bien qu’étant attaché à Jimmy, j’ai une vision claire de ce qui a mené son frère à devenir l’être qu’il est aujourd’hui. La série a distillé au fil de ses trois saisons toutes les étapes de la construction du personnage, jusqu’à ce flash-back sur Rebecca qui pose enfin les dernières pièces de l’édifice avant que celui-ci ne s’écroule.
Dura lex, sed lex
Chicanery est un épisode passionnant car il donne finalement à voir ce que la série nous a promis depuis ses débuts, sans jamais réellement nous l’offrir. En effet, lors de l’annonce du spin-off en 2013, les rumeurs allaient bon train sur un format de vingt minutes plus axé sur la comédie qui nous montrerait Saul défendre des clients tous plus saugrenus les uns que les autres. Bien évidemment, le résultat a été tout autre, et nous avons finalement très peu eu l’occasion de voir Jimmy en action à la barre. Au contraire, la cour dans Better Call Saul est davantage représentée dans sa froide réalité, les "boring parts" comme l’explique Peter Gould dans une interview de 2015 à The Independent.
"The law is too important", martèle Chuck à plusieurs reprises, incapable d’accepter que son frère puisse, en dépit de ses défauts, défendre lui aussi la loi. En ce sens, Chicanery pourrait représenter une étape dans la série : le passage d’une justice rigoureuse et absolue à une nouvelle justice plus trouble, au sein de laquelle seules l’audace et la ruse prévaudraient. Ce glissement s’opère au sein même de l’épisode, Chuck accusant Jimmy de vouloir le pousser à confesser la vérité dans un cri du cœur semblable à celui des meurtriers dans la série Perry Mason. Ce qu’il finira par faire à la fin de l’épisode, dans un puissant monologue de détresse parfaitement porté par un Michael McKean possédé, mettant fin avec fracas à deux saisons et demi de mensonges et de déni sous le regard halluciné de l’assistance.
Cette confrontation finale pourrait ainsi incarner une réponse des scénaristes au concept même de la série, la première véritable victoire de Saul, dans une séquence que n’aurait pas renié Perry Mason ou Law and Order. Mais là où une de ces séries s’achèverait par la libération de l’innocent et la défaite du coupable, Chicanery ne laisse qu’un goût amer en bouche. En révélant la supercherie de son frère, Jimmy s’est un peu plus éloigné du code moral qui le caractérisait, le rapprochant fatalement de Saul Goodman.
Chicanery est une nouvelle preuve de la maîtrise totale des scénaristes de Better Call Saul, qui ne cessent de peaufiner leur écriture au fil des saisons. Arrivée au milieu de sa troisième saison, la série bouscule l’une de ses intrigues fondatrices, plongeant désormais les spectateurs dans l’inconnu. Car, bien que connaissant la destination, le chemin qui y mène s’avère encore bien trouble…
J’ai aimé :
- Un épisode en apparence prévisible qui parvient à nous garder en apnée sur toute sa seconde moitié
- Un épisode qui magnifie le conflit des frères McGill en l’emmenant vers de nouveaux horizons
- L’intelligence de la construction de la série, que ce soit à l’échelle de l’épisode ou de la saison
Je n’ai pas aimé :
- Déjà le milieu de la saison…
- Je n'ai jamais vraiment réussi à m'intéresser au personnage d'Howard (oui, il faut bien trouver des défauts)
Ma note : 17/20.
Le Coin du Fan (par Koss) :
Cette semaine encore, une tête connue nous fait coucou, pendant que Gilligan s’amuse avec subtilité.
- L’homme aux doigts d’or, Huell Babineaux la légende, fait ici sa première apparition chronologique dans le Breaking-Bad-verse. Il est intéressant de noter que Gilligan utilise ici une nouvelle fois sa capacité de pickpocket pour résoudre un point scénaristique majeur (les rageux diront : Deus Ex Machina).
- 12 :16. C’est l’heure qui est affichée sur l’horloge que retire l’officier de justice. Deux chiffres qui renvoient à l’erreur de Chuck avec Mesa Verde :
- La série commence à s’auto-référencer. Dans la scène introductive de l’épisode, Chuck a le dialogue suivant avec son ex-épouse : "The deadbeat at 512 sanchristobal hasn't been paying his bills... and of course I'm 215". Ce qui est, là aussi, une référence à Mesa Verde.
- La cuisine et Chuck. Le frère de Jimmy aime visiblement cuisiner avec un tablier de couleur très breaking-badienne :
- Jimmy, dans son interrogatoire de Chuck, lui demande s’il aurait avoué à sa femme s’il avait eu un cancer. Difficile de ne pas penser à Walter.
C’est tout pour nous. Après cette longue critique, on va se coucher...
À la semaine prochaine !