Les semaines filent et ne se ressemblent pas. Contrairement aux séries qui conservent leurs feux d’artifice pour la fin de saison, il est difficile de savoir quand est-ce que Better Call Saul nous offrira son grand épisode. L’an dernier, les tensions accumulées depuis le début de la série avaient magistralement volé en éclats en milieu de saison, lors du mémorable Chicanery. Cette saison, la mort de Chuck semble avoir donné une nouvelle dynamique à la série. Le personnage qui contenait à lui seul toutes les névroses de la série n’est plus et, à l’image d’une boîte de Pandore, il semble avoir libéré sur l’ensemble de ses congénères tous les maux qui l’habitaient. Le temps n’est plus aux éclats de voix et aux confrontations. Ce qui se dessine désormais est beaucoup plus pernicieux : le mal gronde, mais en profondeur, dans l’obscurité des ruelles et des chambres d’hôpitaux…
Jimmy en quête de sens
Nous nous étions souvent demandés à quel moment la transition entre Jimmy et Saul serait clairement actée par la série, et Piñata nous offre une réponse claire à ce sujet. Car jusqu’ici, les crimes commis par Jimmy conservaient une certaine part de naïveté. Soit il s’attaquait aux plus puissants que lui (Sandpiper, Ken Wins), soit il cherchait à se protéger et protéger son entourage (falsifier les documents de Chuck pour protéger Kim, piéger Chuck au tribunal pour sauver sa peau), soit il restait dans l’ombre et limitait les dommages collatéraux (le vol du bavarois à un homme qui en ignorait la valeur). Mais toutes ces intrigues, aussi justifiées soient-elles, ne pouvaient pas éternellement occulter l’évidence : Jimmy aime le monde du crime autant que Kim aime celui de la loi. Dans une très jolie scène d’introduction, la série nous rappelle ainsi d’où vient Jimmy et quel environnement l’a façonné.
Il est un peu de ces enfants en difficulté qu’on force à emprunter une voie professionnelle par tradition familiale. Jimmy n’aime pas le droit, ce monde dont il ne possède pas les codes et au sein duquel il est voué à rester le dernier de la classe. Contrairement à Kim, dont les yeux pétillent à l’évocation d’une nouvelle affaire menée par Chuck, Jimmy ne comprend pas ce monde, préférant parier sur les vainqueurs des Oscars et, déjà à l’époque, s'épanouir dans des voies parallèles.
Si Piñata réussit à clarifier un élément de cette quatrième saison, c’est bien la relation entre Kim et Jimmy. À l’image de ce logo où le "M" et le "W" s’inversent, Jimmy a désormais conscience qu’ils s’apprêtent à emprunter des voies contraires, et que leur couple n’y survivra pas. Comme semblait le prédire le plan final de l’épisode précédent, redevenir avocat n’est désormais plus le projet auquel aspire Jimmy. Ce rêve n'était pas le sien, mais celui de Chuck, celui de Kim, celui d'Howard... Il s'agit désormais de se trouver un but, un vrai, pas celui conditionné par son environnement. Ainsi Jimmy renoue-t-il, le temps d’un échange avec le neveu de Madame Strauss, avec ses exploits passés, conscient que le monde des vivants ne l’attend plus, que son tour est passé et que même Kim, son repère, s'apprête à prendre le large. Après tout, elle doit faire ce qui est le mieux pour elle. Et Jimmy, sans doute, s’adresse-t-il aussi à lui-même à cet instant, désireux de se libérer d’années de frustration dans un milieu qui ne l’a jamais accepté pour ce qu'il est.
Dans les bas-fonds...
Jimmy se tourne donc vers un univers qu’il comprend et dont il maîtrise les codes : celui du crime. Pour la première fois, il assume ouvertement sa nature criminelle en mettant en scène un stratagème afin de se venger de ses agresseurs. La scène des piñatas surprend tant elle renoue avec un baroque propre à la série-mère, prouvant ainsi que l’écart se réduit entre les deux univers, tout comme entre Jimmy et Saul. Car, lors de cette séquence, Jimmy s’épanouit enfin dans un domaine qu’il maîtrise, et au sein duquel on peut autant le craindre que l’admirer. Cette petite fête improvisée par Jimmy nous rappelle ainsi que, chez Gilligan, les monstres sont avant tout des ego meurtris en quête de reconnaissance.
Tandis que Jimmy se métamorphose au cœur de la nuit, c'est dans la lumière crue d’un entrepôt ultra-sécurisé que Mike poursuit un chemin similaire. Accueillant le groupe de travailleurs allemands chargés de construire le futur laboratoire de méthamphétamine, Mike met en pratique sa brillante connaissance de la nature humaine en anticipant tous les besoins des futurs travailleurs. Mais, comme Jimmy, c'est en s'épanouissant dans ce monde souterrain qu'il perd contact avec la réalité. Bien qu'il reconnaisse les erreurs commises lors du groupe de paroles, Mike n'est pas prêt à aller de l'avant. Ainsi refuse-t-il de s'excuser auprès d'Anita ou de réagir lorsque Stacey le confronte frontalement sur son incapacité à faire le deuil de Matty. Contrairement à Jimmy, Mike ne cherche pas à flatter son ego, mais à se construire un monde clos sur lequel il aurait un contrôle total, à l'image de l'entrepôt dont il a la garde. À condition, évidemment, qu'un élément perturbateur ne vienne pas briser cette enclave qu'il a pris tant de soins à bâtir...
Comment écrit-on les monstres ?
Écrire les monstres n’est jamais chose aisée. Dès qu’on tente un peu trop de s’en approcher, on prend le risque de briser la mystique qui les rend si séduisants. Dans cette optique, l’écriture de Gus Fring a toujours été délicate pour les scénaristes. Breaking Bad nous avait offert un flash-back révélant les débuts du personnage au sein du cartel ainsi que les motivations de sa vengeance envers la famille Salamanca. Depuis son arrivée dans le spin-off, un retour sur le passé du personnage semble inévitable, à l’image du centric que nous avions eu sur Mike en saison 1. Cependant, les scénaristes ne semblent pas vouloir jouer cette carte pour le moment, sans doute trop conscients de l’aura du personnage.
C’est donc dans l’obscurité d’une chambre d’hôpital que Gus révèle un pan de son passé à Don Hector, pour mieux révéler le sort qu’il lui réserve. Nous le savons, Gus Fring est un stratège hors-pair et ses intentions à l’égard de Don Hector n’ont jamais été un secret pour les spectateurs. On peut alors regretter que la série emprunte un chemin si grossier pour traiter le personnage de Gus Fring. Toutefois, ce personnage a toujours fonctionné comme un archétype de la figure machiavélique omnipotente, et en ce sens, le monologue sur l’innocente cruauté des enfants participe tout à fait de cette construction. Reste à savoir si les scénaristes comptent poursuivre sur cette lancée avec le personnage, mais l’écriture de cette scène laisse à penser que ce court moment de confession dans le noir était la seule petite parcelle d’intimité que nous accorderait Gus Fring. Comme énoncé dans ma critique de l’épisode 4, le langage est souvent une mécanique de domination dans l’univers de Vince Gilligan. Mais Don Hector n'a pas dit son dernier mot, comme en atteste ce dernier plan sur sa main, main avec laquelle il provoquera à son tour la chute de Gus de quelques coups de sonnette...
Avec cette quatrième saison, Better Call Saul prend le temps d'observer les conflits intérieures qui rongent chaque personnage, les mécanismes de leur vacillement moral progressif. Je ne sais pas si la série nous offrira un vrai feu d'artifice avant la fin de saison. Avec la mort de Chuck, Jimmy a perdu son modèle, mais aussi son rival, celui qui nous garantissait des scènes de confrontation mémorables. Désormais, le seul ennemi de Jimmy, c'est lui-même...
J’ai aimé :
- Un Bob Odenkirk qui parvient à jouer trois personnages au sein d'un même épisode.
- Une belle réflexion sur les choix de vie et ce qui les motive.
- Le poids du destin qui se fait de plus en plus pesant à l'approche de la fin de saison.
- Le retour de Madame Nguyen. :) :) :)
Je n’ai pas aimé :
- Quelques facilités d'écriture (le monologue de Gus) ou dialogues plus faibles qu'à l'accoutumée (l'échange Mike/Stacey).
- J'ai beau trouver son intrigue faiblarde, où est passé Nacho ???
- Toutes les intrigues liées au cartel me semblent très faibles cette année.
- RIP Madame Strauss. :( :( :(
Ma note : 13/20