Il est minuit. C’est la fin du pénultième épisode de cette aventure folle qu’est Better Call Saul. Mais, en place de l’habituel soupir de soulagement, vous n’arrivez pas à remonter à la surface. Cette fois-ci, la série vous a maintenu longtemps, trop longtemps en apnée. Pendant quelques minutes, vous restez immobile, les yeux rivés sur votre écran désormais noir. Perdu dans vos pensées, vous tentez de donner sens à ce maelström de sensations. Vous sentez, certes, les effets du shoot de dopamine administré, mais il y a en vous une suspicion... L’impression qu’on vous donne de faux espoirs ?
Comme vous l’aurez compris, ce qui nous intéressera dans cette critique, c’est l’analyse et l’appréciation de ce moment de télévision. Comment interpréter cet épisode ? Que nous apprend-il de neuf sur les personnages ? Quelles sont les intentions des auteurs ?
Vous avez dit « trois histoires différentes » ?
Dans cet épisode, comme à l’accoutumée, trois arcs narratifs se déploient, indépendamment les uns des autres.
Le premier concerne les pérégrinations de Kim et Jimmy. Après l’annonce surprise de Kim la semaine dernière (« Let’s do it again »), les deux tourtereaux retombent dans leur travers. Ils mettent au point une nouvelle arnaque au bénéfice de Mesa Verde, l’employeur de Kim. Mais, ce qui suscite le plus l’intérêt, c’est bien évidemment l’entretien de Jimmy. Jugé malhonnête, il se voit refuser par le comité le droit de récupérer sa licence d’avocat. S’ensuit alors une grosse dispute de couple : Kim reproche à Jimmy de ne pas avoir mentionné Chuck et le second accuse la première de se servir de lui pour fuir sa routine.
Deuxième arc narratif, plus accessoire, mais pas moins mis en avant. La construction du laboratoire avance lentement mais sûrement, à la seule réserve que Werner a de plus en plus de mal à gérer l’éloignement et l’enfermement. Résultat : par un habile procédé, monsieur détourne le système de vidéosurveillance et prend la fuite. Pris de cours, Mike grince des dents...
Dernier arc très calme : la rencontre entre Gus et Lalo. Ce dernier remercie Gus d’avoir sauvé Hector puis, business oblige, suggère une contre-alliance contre leur fournisseur de drogue, Don Eladio. Refus cordial. Piégé au milieu de ce bras de fer, Nacho, lui, est cantonné au rôle de simple spectateur.
Une fois l’épisode résumé, une question, ô combien légitime, se pose : quelle est la thématique de cet épisode ? En d’autres termes, qu’est-ce qui lie ces intrigues à première vue disparates ? Car, au-delà de la promesse d’un croisement (dans la série mère et dans la prochaine saison), pour le moment, on est en droit de souligner le gouffre qui sépare les histoires de cœur de Slippin’ Jimmy et les affaires du cartel.
Il est certes possible de rétorquer que, de par sa nature de spin-off, Better Call Saul se doit de remplir son devoir de reconstitution. Construire, reconstituer, enrichir la mythologie de Breaking Bad. Mais, par le passé, la série dérivée nous avait prouvé sa capacité à se défaire de son lourd héritage pour revendiquer sa propre identité. Celle d’un drame profondément intimiste sur la condition humaine.
Le titre à la rescousse ?
Une clé de lecture pourrait provenir du titre de cet épisode, « Wiedersehen ». Traduction littérale : « Au revoir ». Si on s’en tient au premier degré, on pensera à l’inscription sur la roche, avant l’explosion, comme préfigurant l’évasion de Werner. Pourquoi « au revoir » (synonyme de séparation provisoire impliquant donc des retrouvailles) et non pas « adieu » (synonyme de séparation définitive) ? Les scénaristes ne sous-entendent-ils pas par là que la fuite de l’ingénieur allemand ne sera que de courte durée ? Ce qui est certain : si retrouvailles il y a, elles risquent d’être tumultueuses.
Pour pousser le parallèle plus loin, Lalo et Nacho disent au revoir à Gus, mais pas indéfiniment. Les deux sont en route pour l’élevage de poulets, lieu de livraison de la drogue appartenant à Gus. Même constat pour Jimmy qui dit au revoir à son rêve d’avocat, mais temporairement (comme vous vous en doutez tous). À une échelle réduite, on interprétera le plan où Kim et Jimmy se retrouvent ensemble devant le miroir comme une réconciliation après une courte rupture.
Dans cet épisode, il n’est donc pas question d’adieux (par définition, définitifs), mais de séparations provisoires, d’au revoir. En nous séparant, je vous salue en vous disant que nous nous rencontrerons de nouveau.
Le danger se rapproche... Mais, en fait, non. Comme à l’accoutumée, les scénaristes font un pas en avant, deux pas en arrière. Si bien que nous nous demandons quand ils comptent sauter dans le précipice, quand ce bougre de Jimmy deviendra Saul et ainsi de suite. Même Breaking Bad ne s’autorisait pas le luxe de nous agiter la carotte sous le nez aussi longtemps…
À quand l’explosion ?
Ainsi, la construction de cet épisode (et la saison en général) repose sur l’effet d’attente. Un jeu de va-et-vient, du chat et de la souris. Selon le précepte célèbre d’Alfred Hitchcock, si, au cours d’une scène, une bombe explose, c’est un effet de surprise ; mais, si le spectateur est informé de sa présence et redoute son déclenchement, alors il s’agit de suspens. En parlant de suspens… Que dire de cette scène insoutenable où Werner descend vérifier le fusible défectueux ? Scène où tous les indicateurs étaient verts pour une détonation… qui n’arrivera jamais. Ou plutôt sous une autre forme : la dispute entre Kim et Jimmy.
On pourra tout reprocher aux auteurs, sauf de ne pas déjouer nos attentes. Ils sont même excellents à ce manège, les filous. Plus d’un s’attendait à ce que l’entretien de Jimmy se passe sans encombre. Une impression ressort. C’était comme si les auteurs cherchaient à économiser leur réserve d’explosifs… Mais, à quoi bon ? Après tout, n’en sommes-nous pas à la quatrième saison ? Par exemple, quel intérêt à nous montrer (dans le deuxième épisode de la saison) un Jimmy hagard qui lance pendant quatre minutes une balle contre la vitre ?
Un certain nombre de personnes reproche à cette quatrième saison d’être lente, un peu éparpillée, bref, d’être une saison de transition. « Quel est le fil conducteur ? » lancent-ils à qui veut bien les entendre. Il y a une part de vrai dans leurs dires. Je pense néanmoins qu’il y a peut-être une réponse et qu’elle se trouve dans leur question. Qui dit transition, dit passage d’un état à un autre.
Cette saison n’a été que ça : une difficile transition pour ses personnages. Tous ont du mal à aller de l’avant. Tous n’arrivent pas à dire adieu à une part d’eux-mêmes pour certains, à un lourd héritage pour d’autres.
Ainsi, malgré la disparition de Chuck, Jimmy n’arrive pas à se défaire du fantôme de son frère (qui lui cause du tort pour la dernière fois ?). Même son de cloche pour Kim, l’idéaliste, qui n’arrive pas à se défaire de ses illusions d’une justice parfaite et de sa vision idéalisée du bien et du mal (Jimmy pointe cette contradiction, que l’intéressée rejette, lors de la scène du restaurant). Nacho ne peut encore se soustraire à l’emprise du cartel et Mike n’est pas encore maître total de ses émotions (lui qui se lie d’amitié avec Werner et s’énerve contre le menteur pendant le groupe de soutien).
À quand les full measures ?
La narration du vide ?
Dès lors, sous cet angle de lecture (qui fait la distinction entre au revoir et adieu), la dimension tragique de Better Call Saul se révèle. Surtout que visuellement, dans cet épisode, le réalisateur Vince Gilligan déploie des trésors d’ingéniosité pour montrer, sous-entendre les choses au lieu de les dire. Visuellement, d’abord. Le spectateur attentif dénichera des panneaux « Exit » à tout va (symbole déjà utilisé dans le huis clos au tribunal, Chicanery). Un hasard ? Non, surtout sachant que Vince s’amuse à revisiter certains lieux connus (les escaliers...).
Finalement, le thème de cette saison ne serait-il pas la difficulté d’évoluer, l’immobilisme au changement ? L’incapacité des personnages à dire adieu à la place d’au revoir ? Ce n’est ni tout à fait noir, ni tout à fait blanc. En filmant les protagonistes dans leur vie quotidienne (au travail, dans les tâches les plus insignifiantes), les créateurs évoquent l’ennui, la lassitude de la vie quotidienne, donc l’immobilisme. C’est-à-dire l’inverse du changement. Mais, à un détail près : ils en montrent aussi l’absurdité, l’étrangeté. Comme le prouvent certains gros plans sur des objets ou des détails à première vue insignifiants.
Le banal devient fascinant. L’exemple qui me vient en tête, c’est lorsque Kim dans un épisode est prise de vertige quand les maquettes des succursales, fruit de l’expansion de Mesa Verde, lui sont présentées. Mais, étrangement, c’est dans ces moments précis que le conflit interne qui hante les personnages se révèle à eux et à nous, leur offrant donc la possibilité de changer.
Si ce sujet vous intéresse, vous pouvez lire ce dossier que j’avais écrit sur la narration du vide. Peut-être que vous y trouverez des éléments de compréhension. Concluons cette critique, comme il se doit, par une citation de l’écrivain Pierre Autin-Grenier : « C’est dans le banal et non dans l’extraordinaire qu’il convient d’aller puiser mille motifs à s’étonner si l’on veut vraiment tenir tête au temps qui passe, échapper un instant à la tragique routine des jours. »
Que donc retenir de cet avant-dernier épisode ? Objectivement, on pourra reprocher le rythme lent de l’ensemble de la saison. Malgré de belles trouvailles, certains auront le sentiment que Better Call Saul commence à peine à montrer ses griffes, alors même qu’il ne reste plus qu’un dernier rendez-vous avant la prochaine partie. En l’état, il est difficile de juger sans vision globale. Espérons que les scénaristes nous réservent des surprises et qu’elles seront à la hauteur de nos espérances. Mais qui peut encore en douter ? En tout cas, Wiedersehen est un épisode plaisant et savamment construit.
J’ai aimé :
- Le suspens insoutenable dans la scène du fusible défectueux.
- La dispute cathartique entre Kim et Jimmy.
- Le jeu de regard entre Nacho et Gus.
- L’écriture, les acteurs, la réalisation... la base !
Je n’ai pas aimé :
- L’intérêt d’introduire la sonnette (du fan service ?).
- À quand l’explosion tant attendue ?
- Plus qu’un épisode.
Ma note : 15/20
Le Coin du Fan :
par Koss
- Le souci du détail. Les Allemands portent des maillots de leur équipe de foot avec... trois étoiles, et non pas quatre. En effet, l’Allemagne ne remportera la quatrième étoile qu’en 2014, soit plus de dix ans après les événements de la série.
- Saul lance sa valise tout pile à l’endroit où Huell glisse le téléphone dans la poche de Chuck la saison précédente. Juste par l’image, Vince Gilligan nous montre la véritable raison du refus du jury.
- « Go Land Crabs ». Jimmy avait aussi sorti cette phrase à Howard, quand celui-ci avait voulu l’embaucher avant de se voir émettre un véto de la part de Chuck. Se faisant, même en mentionnant ce slogan de son université dans la commission, Saul fait inconsciemment référence à son frère.
- Le cas cité par Saul devant le jury est « Crawford vs Washington », une grosse affaire en 2004 et également une référence à l’acteur qui joue Huell : Lavell Crawford.
- On peut également noter que le refus pour Saul de suivre le conseil de Kim et faire une thérapie et donc de confronter la mort de son frère, l’aurait probablement aidé à redevenir un avocat devant cette commission.
À la semaine prochaine !