Critique : Better Call Saul 6.8

Le 14 juillet 2022 à 20:53  |  ~ 12 minutes de lecture
Un retour en grande pompe ?
Par Hopper

Critique : Better Call Saul 6.8

~ 12 minutes de lecture
Un retour en grande pompe ?
Par Hopper

 

Il aura fallu attendre un mois et demi avant de pouvoir remonter sur le manège Better Call Saul. Pourtant, il y a quatre semaines de cela, certains chanceux ont pu visionner en avant-première l’épisode 8 au festival du film de Tribeca et, malgré les supplications du co-créateur Peter Gould de ne pas divulguer d’éléments de l’intrigue, Internet est devenu un terrain miné de spoils. Comme cela ne suffisait pas, les bruits de couloir plus élogieux les uns que les autres évoquaient un épisode des plus "haletants". Alors, comment s’annonce ce début de seconde partie de saison ?

 

Un enchaînement fatal

 

Lalo menace Gus de son arme

 

Ceux qui s’étaient plaints du rythme parfois lent de la première partie de saison seront aux anges. En quarante-neuf minutes, Point and Shoot happe le téléspectateur pour ne plus le lâcher ensuite dans ce qui s’apparente à un tourbillon de sueurs glacées. L’histoire reprend son cours de manière implacable et, une fois n’est pas coutume, les événements se déroulent sur une durée serrée de quelques heures, si bien qu’il semble possible de résumer cet épisode en deux phrases.

Lalo ordonne au couple McGill de se rendre chez Gus et de lui tirer dessus ; en réalité, ce n’est qu’une diversion pour s’introduire dans le laboratoire secret de Gus et pour filmer les preuves de son existence. Allez, accordez-moi une troisième phrase pour finir mon résumé… Sauf que Gus, méticuleux comme toujours (ou doté d’un sixième sens), a un mauvais pressentiment et se rend au labo ; là, il se retrouve nez à nez face à son ennemi juré qui lui tend une embuscade. Souvenez-vous du pistolet qu’il avait caché dans l’épisode 5 : TADAM, il trouve enfin son usage. Lalo meurt sous les tirs de Gus…

J’ai dépassé mon quota de phrases, car, en définitive, cet épisode est bien plus riche qu’il n’en a l’air.

 

Chamboulements internes

 

Kim et Jimmy assis dans leur chambre

 

Si le déroulé des événements peut paraître mécanique, prévisible dans ses issues (oui, Lalo meurt sans grande surprise), la richesse psychologique est là. Chaque décision prise par tel ou tel protagoniste pourrait être interprétée de plusieurs manières, l’épisode refusant le didactisme.

À commencer par Jimmy qui convainc Lalo d’envoyer Kim tirer sur Gus plutôt que lui. Le fait-il par lâcheté ou, au contraire, pour protéger Kim ? Les scénaristes confirment plutôt privilégier la seconde lecture : Jimmy se sacrifie en partant de l’hypothèse que la personne qui restera avec Lalo dans l’appartement aura le moins de chance de survie. Et sa survie ne tient qu’à un fil : Lalo se doute que Jimmy lui cache quelque chose et qu’il y a encore matière à creuser ; autrement, Monsieur Goodman aurait connu une fin plus abrupte. La célèbre réplique prononcée par Saul dans Breaking Bad, « Ce n’était pas moi, c’était Ignacio, c’est Lalo qui t’envoie ? », trouve enfin son explication. Du point de vue de Jimmy, Lalo qu’il croyait mort est un revenant, une figure fantomatique qui continuera de le hanter.

Vient, ensuite, Kim qui enchaîne les situations traumatiques. Le plan de caméra alors qu’elle s’approche de la maison de Gus est un parallèle direct avec un plan dans une scène de la saison 4 de Breaking Bad où Walt se rend chez Gus avec le dessein de l’abattre. Les créateurs ont confirmé avoir testé plusieurs configurations de caméra afin de reproduire le même angle : une vue en plongée qui rend le protagoniste minuscule et traduit son impuissance face à une force supérieure (ici les moyens de surveillance démesurés de Gus). S’il y a un personnage qui semble bien plus affecté que Jimmy, ce sera sans doute Kim. À la fin de l’épisode, elle a l’air d’être totalement abattue quand Mike leur demande à elle et Jimmy de reprendre leur vie comme si de rien n’était.

 

Deux plans similaires de la maison de Gus

 

L’heure des comptes

 

La voiture d'Howard placée devant la mer

 

Quoi de pire comme châtiment après un tel enchaînement de chaos et de malheur ? Dans l’univers de Vince Gilligan, aucune action ne reste sans conséquences. Maintenant, le couple McGill doit vivre avec le poids de la culpabilité de la mort d’Howard et se construire une fausse façade face aux autres. Entendez par là feindre l’ignorance et la tristesse aux funérailles d’Howard devant sa femme ou son ami Cliff (je parie que la série aura une interaction de ce type dans le prochain épisode). Difficile d’imaginer que Kim et Jimmy ressortiront indemnes. On sait plus ou moins que Jimmy réussit à porter un masque dans Breaking Bad, jouant avec brio le pitre plein d’entrain.

J’avais prédit dans ma précédente critique que Kim allait être plus affectée par Jimmy en fin de course. Votre cher serviteur reste campé sur sa position. Même s’il reste cinq épisodes et même si bien des choses peuvent se passer d’ici là, la réponse à l’absence de Kim dans Breaking Bad pourrait avoir été déjà disséminée. Jimmy et Kim pourront-ils continuer à vivre ensemble comme avant (eux dont la relation reposait beaucoup sur le plaisir de manigancer ensemble et de flirter avec l’immoralité) ? Quelque chose s’est certainement brisé dans leur dynamique. Et n’oublions pas que Kim était au courant que Lalo était vivant sans en souffler mot à son mari. C’est une bombe à retardement ; l’heure des comptes viendra.

 

Jeu du chat et de la souris

 

Mike totalement hébété

 

Vient ensuite Gus qui nous apparaît dans cet épisode comme nous ne l’avions jamais vu auparavant (en si fâcheuse position). La pression psychologique bat son comble et le jeu du chat et de la souris entre Lalo et Gus connaît sa culmination dans Point and Shoot. Son comportement peut paraître aux premiers abords erratiques, mais, en essayant d’aller plus loin, certaines grilles de lecture font sens.

Qu’est-ce qui pousse Gus à aller à la laverie sans prévenir Mike ? Quand Kim explique à Gus que Jimmy a convaincu Lalo de l’envoyer à sa place, Gus se rend compte que, si Jimmy et Kim sont interchangeables, c’est que ce plan n’est pas si important aux yeux de Lalo. Par élimination, il ne reste plus qu’une intuition : le laboratoire qui est l’objet de convoitise de Lalo.

Ensuite, le monologue de Gus face à la caméra de Lalo où il insulte Don Eladio et les Salamanca est, selon les scénaristes, une tactique empruntée à Nacho : occuper suffisamment Lalo en lui disant ce qu’il souhaite entendre pour préparer son attaque-surprise. Même Mike lui fait remarquer plus tard que la situation aurait pu dégénérer de mille et une façons (cette scène nous rappelle d’ailleurs que leurs rapports ont toujours été purement professionnels). Mention doit aussi être faite concernant le personnage de Mike qui, à la toute fin de l’épisode, tire une mine grave quand il est temps d’enterrer Howard. Une thématique forte de cet épisode est donc le sentiment de culpabilité partagé par plusieurs protagonistes.

 

Réussite technique

 

Les cadavres d'Howard et Lalo sont enterrés

 

Il y a toutes ces petites nuances, ces non-dits qui rendent cet épisode extrêmement intéressant, malgré la malédiction qui pèse sur Better Call Saul : son statut de spin-off. Les créateurs arrivent à insuffler énormément de tension, sachant que le public connaît le sort des personnages. On n’atteint jamais vraiment le niveau de totale incertitude et d’angoisse de Breaking Bad, mais on s’en approche brillamment.

À ce titre, il faudrait saluer les talents de réalisateur de Vince Gilligan, le co-créateur de la série et réalisateur de cet épisode, et ses multiples trouvailles visuelles : le moment où Lalo tire la chaise (et que la caméra se déplace en même temps) ; l’introduction dans la plage (la caméra recule lentement jusqu’à révéler la voiture d’Howard) ; les plans en contre-plongée de Mike parcourant le passage secret. La photographie est très sombre ; les couleurs sont froides avec une dominante jaune-marron et bleuâtre.

L’autre grande vedette de cet épisode est la musique composée par Dave Porter, omniprésente et renforçant l’émotion ressentie. Mention spéciale à la musique dans la scène finale (durant laquelle les cadavres d’Howard et Lalo sont enterrés côte à côte). Porter fait le choix du violoncelle (instrument qui ne fait pas partie de la signature sonore de la série) comme pour souligner le tragique de la situation. Cette séquence s’apparente à un rituel sacrificiel : le sang versé est le prix de la construction de ce laboratoire maudit et aux fondations viciées. Il sera intéressant de revoir Breaking Bad connaissant ce contexte : en particulier, le fameux épisode de la mouche qui se déroule en huis clos dans le labo.

 

Un point noir au tableau ?

 

Kim au téléphone

 

Le seul point noir au tableau à mon sens est que la mort de Lalo semble un peu expédiée, sentiment renforcé par les six semaines d’attente. Sa mort manque peut-être de panache pour un antagoniste aussi charismatique. Le tout se déroule de manière un peu trop simple, surtout que l’on sait que Gus avait caché une arme derrière le tracteur dans l’épisode 5 et qu’il allait forcément s’en servir contre Lalo. Par exemple, j’aurais bien aimé que l’affrontement entre Lalo et Gus dure plus longtemps dans le noir, de façon à ce que son issue soit plus climacique.

Il reste la question de savoir ce qui peut bien se passer dans les cinq prochains épisodes, maintenant que la partie cartel semble avoir trouvé une résolution (j’ai l’impression de répéter constamment cette question tant la série réussit à brouiller les pistes). L’un des scénaristes promet un neuvième épisode « plus grand, plus terrible et plus bouleversant ».

À la question de savoir ce qui nous attend dans les prochains épisodes, la réponse de Peter Gould reste terriblement mystérieuse : « Oh mon Dieu. Tout ce que je peux vous dire, c’est que je ne pense pas que la suite est comparable à Breaking Bad ou Better Call Saul. Il y a des choses qui seront très différentes. Je pense que cela fait sens par rapport à la nature de la série et des personnages, mais vous allez voir des tons différents, des environnements différents, des personnages différents. » Que doit-on comprendre ?

 

Le dernier plan sur le visage souriant de Lalo devrait en hanter plus d’un. Dans l’ensemble, Point and Shoot est un épisode solide, haletant, rythmé et qui ne sacrifie pas l’action à la profondeur psychologique des personnages. La série s’en sort très bien malgré son statut de spin-off, même si la mort de Lalo arrive peut-être un peu tôt ou de manière expéditive (on se doute bien que les scénaristes étaient limités par la chronologie). Les cinquante minutes sont passées à une vitesse éclair. Et que dire du jeu des acteurs qui magnifient l’ensemble ? Un tour de force surtout lorsqu’on sait que c’est dans cet épisode que Bob Odenkirk (l’interprète de Jimmy) a eu un incident cardiaque et qu’une partie des scènes a été tournée bien plus tard en essayant de coller au mieux à ce qui avait été déjà filmé.

 

J’ai aimé :

  • Une tension insoutenable
  • La profondeur psychologique
  • Pas de temps mort
  • Le jeu d’acteurs, la réalisation, la musique

Je n’ai pas aimé :

  • Un manque de surprises
  • La mort de Lalo est peut-être un peu trop expédiée
  • Attendre la suite

Ma note : 16/20

 

Lalo dit au revoir

L'auteur

Commentaires

Avatar Galax
Galax

Bien vu le parallèle Kim/Walt sur BB !


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