Critique : Doctor Who 13.1

Le 08 novembre 2021 à 07:07  |  ~ 12 minutes de lecture
What the Flux ?

Critique : Doctor Who 13.1

~ 12 minutes de lecture
What the Flux ?
Par OmarKhayyam

 

Ça fait déjà trois ans qu’il est là, et pourtant, Chris Chibnall est toujours une énigme. Son Doctor Who a toujours l’air très incertain, et même peut-être très rafistolé et improvisé : après tout, la première version de la saison 12 n’avait ni Ruth, ni le Master. Mais il en résulte un immense bordel de plus en plus joyeux, décomplexé et imprévisible. Et dans tout ce chaos, au moins le Chris(t) nous délivre son message !

 

FLUX IS COMING

 

Ascension of the Chris

 

Chris Chibnall est à bien des égards un scénariste plutôt pessimiste. Il écrit des personnages impuissants et brisés qui affrontent un monde qui n’a pas de sens ou n’en a plus. Et dans tout son travail avant qu’il ne devienne showrunner de la série, il y a donc vraiment cette idée de vérité destructrice : une vérité qui ne répare pas, mais qui au contraire enfonce le couteau dans la plaie et détruit même ce qui faisait que ce monde avait au moins un peu de sens.

On ne peut donc pas parler de Flux sans parler de sa propre création Broadchurch, ou de son showrunning sur le spin-off de Doctor Who, Torchwood, car ça dit énormément de ce qu’il a entrepris et en partie raté sur Doctor Who.

 

Jodie

 

Dans Broadchurch, contrairement à Flux, tout part d’une idée simple : un enfant a été tué. Cela divise donc toute la communauté et révèle les conflits en son sein et son artificialité. Mais surtout la révélation du meurtrier n’aboutit à du dégoût uniquement, et met seulement la lumière sur tout ce qui a été détruit. Même la famille la plus parfaite n’est en effet qu’illusion. Et l’enquêtrice voit toute sa vie brisée par cette vérité qu’elle a pourtant activement recherchée.

Dans Torchwood, l’héroïne de la série Gwen Cooper rencontre elle-aussi des réalités vraiment sordides. Et quand elle cherche à accéder au pourquoi, elle ne découvre que le mal absolu et elle ne peut que s’évader dans une relation adultère car non seulement le monde est pourri, mais en plus elle est complètement impuissante face à ça. L’épisode Adrift, qui est d’ailleurs le meilleur épisode de Chris Chibnall pour le whoniverse, pousse l’idée encore plus loin car quand Gwen veut aider une mère qui a perdu son fils, et découvre des violences institutionnelles terrifiantes, la vérité anéantit la mère, et Gwen, qui a pourtant bien agi, ou au moins agi, aggrave la situation car même si la maman vivait dans l’illusion, au moins elle n’avait pas accès à une vérité encore plus terrible.

Chris Chibnall est donc sur un constat à la fois de notre impuissance et de l’impossibilité de changer les choses sans que ce soit destructeur. Mais cela contraste aussi complètement avec son prédécesseur sur Doctor Who Steven Moffat, car Moffat considérait plus l’action contre l’injustice comme fondamentalement éthique là où à chaque fois que les personnages de Chibnall agissent, tout empire.

 

The Chibnall Who Fell to Earth

 

Ce qui est d’autant plus intéressant avec ce pessimisme qu’on a constaté ici, c’est qu’il n'est pas seulement un motif ou une constante dans son travail pré-Doctor Who, il a aussi créé d’immenses blocages dans son showrunning sur les saisons 11 et 12

La saison 11 en un sens a d’abord été caractérisée par l’impuissance et la passivité de la Docteur. Chibnall nous l’a en effet vendue comme un pilier d’espoir, et elle est même clairement la personne qui unit les compagnons et "la meilleure" personne possible. Mais c’est elle aussi qui laisse Trump/Robertson victorieux et impuni. C’est elle qui assiste impuissante au suicide d’un ouvrier désespéré. Elle n’est plus une force d’action, elle constate l’oppression quand elle n’est pas complice. La Docteur en arrive presque en fait à une défaite face au monde.

La saison 12 a poussé ça encore plus loin, car Doctor Who n’échoue même plus face au monde, Doctor Who s’auto-parodie. Spyfall part two peut être plus "whovian" dans son esthétique, avec du voyage dans le temps à foison, du fan-service à gogo, du teasing intriguant. Tout sonne quand même faux, car la Docteur n’est même plus la Docteur : elle se sert d’une résistance anti-nazie … pour livrer quelqu’un aux nazis. Elle déblatère quelques slogans pacifistes vagues. Elle n’est plus qu’une coquille vide. Elle n’est plus rien.

Alors, ce sont certes de gros accidents de production et d’écriture. Mais qui sont au moins révélateurs de la lutte de Chibnall entre son pessimisme et les exigences morales et commerciales de la série, car Chris Chibnall ne croirait donc pas en ce qu’il écrit, mais l’écrirait quand même car ça correspond à ce que doit être la marque Doctor Who.

 

 

The Chibnall Apocalypse

 

Mais notre showrunner préféré évolue quand même, s’adapte, et progresse. Et les saisons 11 et 12 sont peut-être rafistolées, mais elles mènent de plus en plus à un Doctor Who "chibnallien", certes toujours miné par une narration maladroite mais au moins de plus en plus clair et assumé.

Fugitive of the Judoon puis The Timeless Children ont été en effet une révolution. Chibnall n’a pas seulement brisé nos repères de fans. Il a brisé la Docteur et ses illusions sur sa vie. Et c’est un geste radical, car de fait, tout ce qu’on savait de Doctor Who cache au fond une vérité inacceptable : celle d’un enfant exploité et torturé à mort.

Chibnall peut être en effet (même involontairement) pro-statu quo, son travail reste critique des institutions établies. Déjà dans Broadchurch, il critiquait les systèmes judiciaires et médiatiques et comment ils brisent des vies, mais même dans l’épisode Fragments de la série Torchwood, UNIT avait son Guantanamo et le scénariste suggérait que parce que Jack travaillait pour une institution impérialiste et raciste, il ne pouvait être que corrompu.

Au fond, avec Chris Chibnall, le pire ennemi de la Docteur ne sont donc plus des monstres ou des systèmes mais la vérité encore plus sordide d’un monde difficile à comprendre et à combattre.

 

Patate

 

What the Flux ?

 

J’ai promis des chiens (ça vient !), mais je n’ai même pas encore parlé de The Halloween Apocalypse.

Chibnall est à fond, et pour le premier chapitre de sa saison, il accumule donc les enjeux et les personnages. Mais au-delà du chien (UN CHIEN ! DANS DOCTOR WHO !), des méchants stylés, ou de l’enthousiasme très communicatif du cast, et ce malgré d’énormes contraintes (coucou le Covid), ce qui m’a frappé moi, c’est le Flux et la possible fin de l’univers. Je me suis longuement demandé ce que ça voulait dire.

Moffat, par exemple, quand il parle de la faille puis de la destruction de l’univers en saison 5, parle surtout des traumatismes d’enfance d’Amy.

 

DOCTOR: It's a crack. But I'll tell you something funny. If you knocked this wall down, the crack would stay put, because the crack isn't in the wall.

AMELIA: Where is it then?

DOCTOR: Everywhere. In everything. It's a split in the skin of the world. Two parts of space and time that should never have touched, pressed together right here in the wall of your bedroom. Sometimes, can you hear?

 

Et donc, le Flux peut ne pas être seulement la destruction de l’univers, mais un symbole de luttes intimes infiniment plus complexes.

Ce début de saison voit en effet la Docteur encore en quête identitaire. Elle cherche des réponses sur son passé, et subit encore les conséquences de ce qu’elle a oublié. Mais alors que ce passé qu’elle recherche a été détruit, et que l’univers est maintenant en train de se faire dévorer par un ciel bien du Nord-Pas-de-Calais, il ne lui reste qu’à affronter sa douleur et ses propres traumatismes.

La Docteur pensait être quelqu'un. Mais elle ne l'est pas.

 

Yasmine Khan

 

Yaz est tout aussi perdue et déboussolée. En saison 11, elle disait de la Docteur qu'elle était la meilleure personne qu'elle ait connu. Maintenant, et surtout depuis Revolution of the Daleks où elle s'est sentie abandonnée, elle sent qu'elle ne peut plus lui faire confiance, et que son amie (si c'est vraiment son amie) lui cache quelque chose. Yaz est donc plus froide, plus sarcastique et vit de moins en moins dans l'illusion. Son monde peut encore s'effondrer.

Dan, enfin, est le petit nouveau, mais il est notable que le personnage vit une condition sociale très précaire, mais maintient en même temps ses valeurs face au monde. Il est en effet optimiste, solidaire et globalement très humain dans une Angleterre encore ravagée par des années de néo-libéralisme. Mais là où c'est intéressant justement c'est que cette moralité forte peut être défiée et même brisée.

Avec Chris Chibnall, on l'a vu, la vérité n'est jamais réparatrice, elle est destructrice.

Et que ce soit quand ils affrontent Trump, le temps qui passe, l'horreur de leur condition ou un passé traumatisant, les personnages ne peuvent que fuir, car changer est impossible...

Le Flux est là.

C'est trop tard.

Ou alors...

 

Chiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiieeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeennnnnnnnnnnnnnnn

 

Revolution of the Chris

 

Tous à la bagarre !!!! Ouais, ça va cogner.

Au final, je parle peu de The Halloween Apocalypse car c'est surtout une immense promesse. La bataille qu'on nous annonce va être épique et probablement, désespérée. Mais elle peut être autant un dernier soupir de désespoir qu'un puissant cri de révolte. Avec Chris Chibnall, il n'y a peut-être jamais de happy end. Et la vérité fait mal. Mais ses personnages trouvent au moins dans leur foi, leur solidarité, ou leur génial animal de compagnie, une sorte de réconfort. Le monde n'a en effet aucun sens, mais la vie en a.

Et peut-être que la clé de Flux est là : dans tout ce chaos monstrueux et face aux démons (littéraux) du passé, ce qu'il restera c'est malgré tout, un peu de vie et donc d'espoir ?

 

No time to be tired. Still work to do out there. Lives at stake. Armies being born. People need the Doctor.

 

 

En conclusion, The Halloween Apocalypse est peut-être l'aboutissement explosif du cheminement chaotique de Chris Chibnall. Ou juste un immense artifice fun et avec des guerriers chiens. Mais en tout cas, avec ça, et pour son chant du cygne, le showrunner maudit a toute mon attention.

 

J'ai aimé : 

  • Les Luparis <3
  • Karvanista est d'ailleurs un personnage génial, qui je l'espère aura le droit à un vrai développement
  • Chibnall s'éclate donc, et n'a plus peur du ridicule
  • Et il a l'air en même temps d'assumer tout le développement qu'il entreprend depuis la saison 12
  • Dan est cool

Je n'ai pas aimé :

  • Toujours de l'exposition
  • Beaucoup de confusion dans les enjeux
  • L'impression latente que l'épisode avait beau être fun, et mieux écrit, il n'était pas bon pour autant

 

Note : selon la fin de saison, et mon humeur, entre 12 et 16/20

 

J'ai promis des chiens, donc je dédie cette petite critique à mon Lupari qui m'a pas mal fait rire et aidé à grandir, et se trouve probablement dans l'espace en train d'attendre la prochaine fin du monde. Il n'avait pas de hache mais il était quand même très très cool.

 

Oscar

L'auteur

Commentaires

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Galax

Trop mignon ton Lupari <3

Je suis plus optimiste que toi sur la fin de l'arc Chibnall. Je pense qu'après avoir brisé la Doc et le public, il fera full happy ending pour finir sur du positif.

Beaucoup de confusion dans les enjeux

Tu trouves que les enjeux étaient confus sur quels points ?

la première version de la saison 12 n’avait ni Ruth, ni le Master.

Si tu as le lien vers une interview ou autre qui parle de ça, ça m'intéresse bien !

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