Critique : Doctor Who 14.2

Le 22 juin 2024 à 19:58  |  ~ 58 minutes de lecture
There's always a twist at the end!
Par Galax

Critique : Doctor Who 14.2

~ 58 minutes de lecture
There's always a twist at the end!
Par Galax

Après seulement un unique épisode dans ce nouveau Doctor Who, la série choisit d’envoyer valser toutes les règles, toutes les attentes, et propose au passage peut-être l’épisode le plus original de son histoire. Et la première claque de cette nouvelle ère !

 

Ta-da!!! Maestro sort du piano pour la première fois

Ta-daaaaaaaa!

 

Doctor Who, c’est une pièce de fiction, une oeuvre d’art. Et au fond, tous les arts se ressemblent. C’est un arrangement de plein d’éléments qui créent un tout supérieur à la somme de ses parties : une gigantesque partition, en somme. Et ça tombe bien, car tout le propos de l’épisode, c’est que Doctor Who, c’est de la musique.

TIMOTHY: First, we have a note. Then we have a tune. Then we have a melody.

L’épisode annonce la couleur dès son ouverture. D’abord, nous avons des notes. Les fondations si explicitement ré-établies par l’épisode précédent, aussi rassurantes que génériques : le TARDIS, l’aventure, le Docteur qui continue son processus de guérison à travers les yeux émerveillés d’une humaine à qui il s’identifie étrangement. Les enjeux. Le pitch. Les bases. Les notes.

Jouées ensemble, on obtient un air. L’air bien connu de chaque nouvelle ère : l’univers en trois actes, trois genres, trois épisodes : passé/présent/futur. Après un spécial Noël chaleureux où une rencontre avec le Docteur bouleverse la vie de Ruby, on a eu l’épisode futuriste délirant qui lance le fil rouge. Alors, on s’attend désormais à un petit retour dans le passé pour aller voir une figure terrienne connue. C’est plus qu’usuel, c’est systématique dans la nouvelle série. Un schéma répétitif qu’on aime toujours redécouvrir. Un joli air.

Mais ce qui nous fait vibrer à chaque fois, c’est bien la mélodie. À partir des mêmes notes et d’un air similaire, la mélodie n’est jamais la même et c’est bien ça qui fait le charme de chaque ère. Ça n’a jamais le même rythme, le même ton. Et ce n’est pas qu’une affaire de son. Chaque ère apporte son lot d’atmosphère, de plans, de couleurs, de… musique. Et à ce niveau-là je crois bien que cet épisode a plus que montré de quel bois cette saison se chauffe.

La scène d’introduction annonce immédiatement le chef d’oeuvre. Des notes de piano ouvrent l’épisode en répétant platement la même note, en rythme sur l’inter-titre “1 9 2 5”. L’annonce d’un épisode dans le passé n'a rien d’étonnant. 5 minutes et une scène géniale plus tard, et voilà qu’on découvre Maestro qui fait retentir le piano en jouant aussi une même note répétitive… mais cette fois, celle du générique de Doctor Who. Un regard caméra et une rupture du quatrième mur plus tard, et tout a basculé. Quelle claque !

 

Maestro lance un regard face caméra

 

Rien ne différencie en soi cette salve de notes glissant sur le générique, de celle du cours ennuyant du professeur qui ouvre l’épisode. Si ce n’est que la série y a insufflé un contexte, une accroche, un concept visuel et sonore fou, bref, son âme. Tout le monde reconnaît les notes de Maestro et toute la différence est là. L’air prend vie et finit par devenir la mélodie qu’on connaît et qu’on adore, qui se métamorphose en notre générique, sans transition.

L’effet est d’autant plus réussi que ce générique est magnifique, avec le piano de Maestro qui s’éclipse au meilleur moment pour laisser place à l’explosion de sons et de couleurs de cette nouvelle cinématique toujours aussi époustouflante. La musique perdure légèrement à la fin à travers le jukebox du TARDIS, marquant ainsi le retour de la diégèse.

Dès le début donc, on sent qu’on a affaire à quelque chose de spécial. Et pourtant, pour quelques scènes ensuite, l’épisode retrouve un ton quelque peu normal, se déguisant sous les traits d’une aventure historique classique. Ruby rêve de voir les Beatles. Le Docteur l’y emmène. Mais quelque chose ne tourne pas rond, et dès que le TARDIS atterrit à Abbey Road, on le sent. Je ne parle pas du bruit étrange que le TARDIS fait, bruit que le Docteur remarque et explicite à l’audience. C’est probablement juste une autre entrée à ajouter à la liste des mystères qui constituent le fil rouge de cette ère, liste qui se rallonge d’épisode en épisode à une cadence hallucinante. À moins que ce bruit étrange, identique à un son que le TARDIS avait fait dans Wild Blue Yonder, ne serve qu’à alerter sur la présence de Maestro, un être qui dépasse les lois de l’univers. Après tout, Maestro s’inscrit dans la Légion du Toymaker (Fabricant de jouets), qui avait été réveillé par le sel versé par Fourteen dans cet épisode-là, comme rappelé par le Docteur ici.

Non, la véritable chose qui cloche dès que notre duo débarque en 1925, c’est l’absence de musique.

Je crois sincèrement que sans son compositeur Murray Gold, Doctor Who n'en serait pas là aujourd’hui. Il y a bien John Williams avec Star Wars, Hans Zimmer avec Interstellar, et probablement un tas d’autres compositeur·ices sans qui les oeuvres n’auraient pas été les mêmes. Mais rares sont les relations aussi fusionnelles que Murray Gold et Doctor Who à mon sens. Son style transpire dans chaque épisode et malgré ses évolutions (depuis son retour dans The Star Beast, il a été plus discret), il continue de jouer une part non-négligeable dans l’identité de la série.

 

Ruby et le Docteur sont sur le passage piéton de Abbey Road et dansent de façon fausse

 

Alors, sans même tendre l’oreille, quand il s’éteint, on le sent. Le Doc et Ruby dansent sur le passage piéton très célèbre, présent sur l’album Abbey Road… en silence. Ça sonne faux. Ça devrait être une scène clé de cet épisode historique, le genre qui appelle à l’aventure. Or, elle est terne. D’ailleurs quelques minutes plus tard, le Docteur citera les conséquences de l’absence de musique et dira lui-même que danser sans musique, on *peut* le faire, mais qui voudrait le faire ? Sans savoir que c’est ce qu’ils viennent d’essayer, sans succès en effet.

RUBY: Thing is, without music, dance must be gone. No one dances any more. I mean, can you dance without music?
DOCTOR: I mean, you can, but do you want to?

La première rencontre avec les Beatles nous confirme que quelque chose se trame, dans une scène hilarante où notre duo assiste à une performance minable de la part du groupe préféré de Ruby. Leur chanson est dénuée de toute personnalité, aussi plate et monotone que le cours du professeur ouvrant l’épisode. Même chose pour Cilia Black dans le studio d’à côté, ou pour la salle de concert : la musique est morte, que ce soit celle de la diégèse ou celle de la série.

PAUL MCCARTNEY: I've got a dog. He's called Fred. My dog is alive. He's not dead. I love my dog. He loves me too. I haven't got a cat. Only a dog.
ALL (singing): My dog, my dog. My dog, my dog. I've got a dog. I love my dog. He's my dog. He's not your dog. If you want a dog, get your own.

Cette idée d’un monde où la musique a disparu est juste géniale. Bien sûr, le spectateur sait pourquoi, grâce à la première scène qui nous met dans la confidence. Maestro lui-même nous a guidé, en fait. Iel a capturé la musique de la série et on nous le rappelle lorsque son visage apparaît dans les reflets : une cuillère, les lunettes de John… notre écran, quand iel nous regarde directement.

 

Reflet de Maestro dans les lunettes d'un Beatles

 

L’aventure laisse alors place doucement à une vraie forme de mélancolie. Le moment pour le Docteur de continuer à partager plus de son passé avec Ruby. En 1963 à Londres, le Docteur est littéralement à quelques rues de là où il se trouve maintenant. Cette référence n’est pas qu’un passe obligé pour un épisode situé en 63. C’est un bout de fanservice, oui, mais surtout mis au service de la relation Ruby/Fifteen. Ce dernier continue ainsi de se confier plus qu’avant, appliquant les conseils qu’il donnait à sa précédente incarnation. C’est sa "thérapie Time Lord”. Il mentionne pour la première fois de la nouvelle série le prénom de sa petite fille, Susan. Ce n’est pas rien. Et il revient pour la première fois sur les interrogations “pratiques” du meurtre de son peuple par le Maître (The Timeless Children). On apprend ainsi que le génocide est probablement temporel, et a pu tuer des Seigneurs du Temps en dehors de Gallifrey… ou pas ? Oui, finalement la série ne se mouille pas trop et se donne ainsi la possibilité par la suite de faire n’importe quoi avec n’importe quel personnage. C’est un bon choix selon moi, et c’est avant tout rassurant et satisfaisant de voir que ces événements ne sont plus tabou pour la série. D’autant plus que ça rentre en alignement avec la personnalité du 15ème Docteur, ainsi que sa relation avec Ruby dont la famille est le thème essentiel.

Avec cette référence aussi directe à sa petite fille et au tout premier épisode de la série qui a lieu en parallèle, cet épisode illustre vraiment la folle aventure désordonnée de notre protagoniste, et donne d’autant plus de poids à la scène du futur alternatif où Londres est sous les gravas.

 

Le Docteur et Ruby au milieu de l'apocalypse, Maestro est aperçu-e en talons hauts

 

Cette scène apocalyptique est une ambition de la série depuis la toute première saison, plaçable dans n’importe quel épisode du passé de la Terre en théorie, mais toujours coupée pour des raisons budgétaires. C’est beau de voir que la série peut se permettre ce qu’elle veut désormais ! (sauf acheter la musique des Beatles). D’autant plus quand elle sert si bien le propos en cours. La séquence a beau être très classique en apparence, elle est très maligne, puisqu’elle nous rappelle que si Ruby est spéciale et épargnée par les événements, c’est grâce au Docteur, qui l’a sortie de sa timeline. J’ai même cru l’espace d’un instant que les cendres qui tombaient étaient en réalité la neige provoquée par Ruby. C’est génial car, encore une fois, Ruby incarne nos yeux et nos oreilles, puisque comme elle, nous savons reconnaître la musique — ou plutôt son absence — dans l’épisode. Dès lors, c’est comme si nous étions épargnés grâce à l’influence du Docteur nous aussi. Cette petite idée nous rappelle subtilement que nous voyageons aussi avec le TARDIS à travers l’espace-temps. L’immersion totale malgré un épisode aussi meta.

Cette image d’un futur malléable rappelle aussi le danger des épisodes historiques, et conclut en beauté le triptyque introductif “présent/futur/passé” de cette nouvelle ère. C’est encore une fois, un passage obligatoire. Après le coup de téléphone temporel de l’épisode Space Babies, on retrouve d’ailleurs un nouveau callback à la saison 1 de Rose (The Unquiet Dead), où cette dernière fait la même réflexion que Ruby : “mon existence est la preuve que l’apocalypse n’a pas eu lieu dans le passé”. Du déjà vu dans l’idée ? Sur le papier, peut-être, mais contrairement à la saison 1, on trouve bien plus de générosité dans les dialogues, et d’expressivité dans l’exécution des concepts de la série. Et aussi, en guise de menace et de prétexte pour montrer une timeline alternative, pas une simple invasion d’aliens, non. Un “monde sans musique” causé par une drag-queen démoniaque, où les humains, incapables d’exprimer leurs émotions à travers l’art, les répriment. Ce qui est parfaitement raccord avec toute la thématique d’assumer ses sentiments, portée par l’écriture de notre Docteur et de son merveilleux acteur.

Clairement, pour un épisode “cahier des charges” en apparence, on a quand même fait un sacré bout de chemin en 14 saisons, au point que la moindre variation de notre air bien connu révèle bien plus de profondeur qu’on ne pourrait le croire.

 

Ruby joue du piano sur le toit

DOCTOR: I think without music, the human race goes sour. Without any way of expressing a broken heart, they go to war without even knowing why.

Cet acte mélancolique culmine lors de cette sublime scène sur le toit. Ruby est la dernière humaine à vibrer avec la musique dans les événements de l’épisode. Et elle joue… son propre thème, au piano. Car Maestro ayant capturé la musique de leur univers, c’est bien la seule mélodie possible à ce stade. L’écho de la série et de la diégèse transparaît à travers Ruby la musicienne depuis son introduction au Noël. Brillant.

DOCTOR: At this moment in time, Ruby Sunday, you are the only music in the world. Let's see what happens if you bring music back.

Le Docteur regarde l'horizon de Londres du haut du toit

 

Cette scène dure 2 minutes entières. 2 minutes sans dialogue, une bouffée d’air frais dans l’épisode. C'est une variation essentielle de rythme et de tonalité qui fait ressortir tout le reste. Elle marque le retour de la musique et permet de contempler ses effets libérateurs. Elle permet surtout au Docteur de faire quelque chose qu’il ne fait jamais : prendre le temps. Le temps d’admirer le Londres de ses origines, de constater le voyage parcouru, et d'imaginer tout ce qu’il reste encore à vivre, seul ou accompagné par sa famille. La musique fait prendre vie à l’époque, à la ville et à ses habitants, à l’épisode, à Ruby elle-même. Je me passe en boucle le thème de cette sublime scène depuis la diffusion.

 

Maestro sort du piano du toit, ses mains grimpent sur le couvercle

 

Maestro vient interrompre cet instant de bonheur, de nostalgie, bref, ce moment où l’épisode reprenait des couleurs, en prenant possession une nouvelle fois du piano. Le contrepoids est parfaitement géré et sa première ré-apparition est fantastique, grâce à son ricanement très évocateur pour le public et le Docteur. Voir ce dernier s’enfuir face à une aura si malveillante fait forcément de l’effet. Le rappel du rire du Toymaker est la contextualisation parfaite et inattendue à ce stade (l’année 1925 étant un signe avant-coureur subtil), qui fait immédiatement monter les enjeux et explique le caractère exotique et fou de l’épisode.

Le premier round se déroule dans une scène entièrement silencieuse et est remporté par le Docteur. Conceptuellement, c’est très malin : le Docteur reconnaît un Dieu de la musique, alors son réflexe est de couper tout bruit. Donc forcément, comme dans cet épisode, la série est réduite à sa musique : ça nous coupe tout son à nous aussi ! Le tout dans un des usages les plus ingénieux du tournevis sonic à ce jour. Visuellement c’est aussi magnifique, notamment les plans silencieux avec le diapason de Maestro et son jeu d’acteur excellent, même privé de paroles. Monsoon parvient à verser dans l’outrage et le burlesque, en gardant une maîtrise et une aura impressionnante qui traduit le contrôle de son personnage sur toute la direction de l’épisode.

 

Diapason de Maestro fait vibrer l'eau

Scène théâtrale où Maestro, le Doc/Ruby et le TARDIS sont sous les projecteurs

 

La scène hyper-théâtralisée sur fond noir qui s’ouvre par les cendres transformées en confettis (encore un hommage au Toymaker) est très jolie également. Maestro dévoile ses origines et pose tous les enjeux, dans un exemple parfait d’un script qui prend une séquence d’exposition/transition obligatoire pour s’amuser et divertir.

Juste après, lorsque Maestro prend le contrôle du TARDIS en jouant du piano comme d’une télécommande, ce qui fait clignoter en rythme toutes les lumières, comment ne pas y voir également la production s’amuser avec ce sublime décor ? Et au passage, retourner le TARDIS, lieu sacré de la série par excellence, contre nos protagonistes, il n’y a rien de tel pour donner du poids à un méchant.

 

Plan coupé du TARDIS contrôlé par les lumières

Plan coupé du TARDIS plongé dans le noir

 

Je suis vraiment fan de ces ennemis aussi charismatiques et grandioses que des dieux. Le showrunner a teasé que c’est une vraie direction dans laquelle la série va s’engager et qu’il y en aura d’autres à suivre. J’ai tellement hâte ! J’adore à quel point cela différencie cette ère de toutes les précédentes, et du paysage sci-fi fantasy actuel. Par le passé, la série a souvent déjoué les plans de méchants se faisant passer pour des dieux (The Fires of Pompeii…), même si l’apparition de véritables divinités se faisait de plus en plus fréquente (Can You Hear Me? sous l’ère Jodie Whittaker). Ici on verse totalement dans un vrai sous-genre de fantasy pour construire une nouvelle facette de la mythologie Who, j’adore.

Et à compter de ce moment, cet épisode devient, à juste titre, l’épisode de Maestro. Cette entité est centrale, mais plus que ça, elle incarne l’épisode. Maestro ne fait pas qu’apparaître dans l’épisode au début comme un Cyberman apparaît dans un immeuble ou comme un Ice Warrior sort du dégel dans un sous-marin. Non, ce n’est pas qu’un méchant qui annonce l’enjeu de l’épisode, ça va plus loin : il donne la raison même d’exister à ce “The Devil’s Chord”, l’accord du diable, en commençant par briser toutes les règles — dont la plus élémentaire, le mur qui sépare l’audience du média, à travers son regard perçant vers la caméra. C’est bien lui le Diable de l’épisode, ce que son design souligne — ses designs, d’ailleurs, absolument tous incroyables au passage. Car en laissant entrer Maestro dans leur univers, l’épisode fait entrer Maestro dans l’extra-diégétique et s’auto-challenge à une forme d’écriture potentiellement incontrôlable. C’est vraiment ça, le contrat avec le diable sur lequel RTD et toute la production s’engage : Maestro est un potentiel infini pour faire tout, donc pour faire n’importe quoi. Même son invocation se fait à l’aide d’un accord… qui sonne faux ! C’est la personification même de l’interdit et du non-réglementaire pour une oeuvre d’art, qu’elle soit musicale ou télévisuelle. La fausse note prend vie sous les traits d’une entité indescriptible et impossible, et il faut désormais composer avec. Gare à ce que ce ne soit pas Maestro qui compose un air impossible à suivre pour le script.

 

Maestro surgit du piano de la dame avec une envie meurtrière

 

En effet, Maestro c’est avant tout une présence qui pompe totalement l’air. Iel accapare toute notre attention et surpasse toute la diégèse. Dès lors, c’est un vrai exploit que l’épisode soit parvenu à trouver l’équilibre, l’accord parfait, sur ce personnage. RTD flirte avec Maestro et le laisse flirter avec nous pendant presque une moitié d’épisode sans qu’iel n’apparaisse, et pourtant à la fin, on ne se souvient presque que de ses scènes. Bien sûr, Jinkx Monsoon, son interprète connu pour l’art du drag aux États-Unis, y est pour beaucoup. Sa prestation époustouflante restera dans les annales des meilleurs antagonistes de la série. Le personnage de Monsoon s'inscrit ainsi directement dans la lignée de son père, le Toymaker, incarné par un compatriote américain, Neil Patrick Harris. C’est aussi génial d’avoir offert à un artiste queer un personnage aussi réussi que Maestro qui met en avant l’art du drag et le sublime dans un rôle tellement approprié qu’il semble être réalisé sur mesure.

Et pour battre Maestro, nos héros aussi finissent par briser certaines règles : le Docteur doit surpasser les codes de son personnage, et confond à un moment une technique de Maestro avec une musique extra diégétique. Un passage génial qui rappelle que le Docteur, dans sa série, peut lui aussi être à armes égales avec un pseudo-Dieu.

DOCTOR: I thought that was non-diegetic.

 

Ruby suspendue dans l'air par les partitions de Maestro

MAESTRO: There's a hidden song deep inside her soul!

 

Ruby, quant à elle, fait intervenir le fil rouge de la saison malgré elle, dans une autre scène incroyable. Elle ne maîtrise pas sa chanson, même l’audience ne saisit pas tout. Hé, peut-être même que RTD ne savait pas encore où il allait à ce moment-là. Même au-delà du quatrième mur, l’intrigue de Ruby nous fascine, nous terrifie, nous rend dingue. Et si Ruby a pu invoquer son thème au piano, qui sait ce que son *origin-story*, sa chanson de Noël, renferme ? C’est donc largement suffisant pour destabiliser Maestro, dont les pouvoirs se limitent à ce que nous savons : il a capturé la musique de la série… mais la musique de Ruby appartient encore au futur de celle-ci et lui échappe. Du génie à nouveau.

Maestro finit par tirer sa révérence en lâchant un dernier teasing meta assez facile sur un nouvel ennemi à venir. Mais là encore, ça sonne faux, comme anachronique. Cette anticipation intervient presque trop tôt : il y a trois épisodes à peine, le Toymaker nous en parlait déjà, et fort à parier que, peu importe son identité, “The One Who Waits” n’interviendra pas avant le final de la saison 14 au mieux. Là encore, Maestro réserve une dernière pirouette qui brise toute règle de bon sens.

 

Maestro fait un clin d'oeil à la caméra alors qu'iel s'apprête à fermer les rideaux

 

D’aucuns pourraient trouver que les regards incessants de Maestro à la caméra ou les clins d’œil directs sont des ruptures de quatrième mur trop évidentes, trop faciles. Ça peut se comprendre, quoiqu’ils sont, selon moi, utilisés avec parcimonie, et ils ont toujours un sens bien précis pour cet antagoniste. Celui qu’il nous lance lorsqu’il s’apprête à tuer la dame qui jouait du piano, avant de tirer le rideau, rappelle que la censure et le hors-champ font partie intégrante de cette série dite “familiale”. Quoique, pour une série familiale, je trouve le design de Maestro si *uncanny* et sa présence si radicalement dérangeante, outrageante même, que certains plans m’ont légitimement rendu anxieux. A savoir toutes ses apparitions depuis l’intérieur des pianos. Ces séquences brisent toute logique et se rapprochent d’un humour très “clown maléfique” à la Pennywise, qui réveille le coulrophobe qui sommeille en moi, sans doute, mêlé à une horreur spatiale et relevant d’un absurde très original. Jongler aussi bien entre l’exubérance et l’horreur relève de l’exploit.

Quoiqu’il en soit, le jeu avec le spectateur ne se limite pas qu’à quelques regards caméras de Maestro ou du Docteur. Le quatrième mur est utilisé de façon tellement plus riche que ça dans l’épisode. Le meta se manifeste sous de nombreuses, nombreuses formes, et là où on ne l’attendait pas toujours.

Je trouve l’épisode si fascinant que j’aime en faire une analyse un peu pompeuse, je l’entends bien. Ce qu’il faut souligner aussi, c’est à quel point l’épisode est juste FUN ! Débordant d’énergie, d’entrain, d’idées dans la réalisation ou les sons ! Les costumes ! Les plans cassés ! L'humour !

 

Plan cassé du TARDIS en lumière avec le Doc et Ruby

 

Juste voir le Doc et Ruby s’éclater dans le TARDIS en début d’épisode, c’est si jouissif ! Ça m’avait manqué, d’avoir une team qui s’amuse au point de sautiller dans le TARDIS pour un rien. L’entrain de Fifteen face à la proposition de Ruby d’aller voir les Beatles aussi, l’air de rien, c’est un air jamais vu ! Car il le mentionne lui-même : le Docteur n’a jamais réagi ainsi, il trouve toujours le moyen de critiquer les propositions pour se donner… un air. C’est communicatif, comme si la série était aussi excitée à l’idée d’explorer un pitch qui n’a, étonnamment, encore jamais été fait.

Pour au final être le premier déçu, dans des scènes de gêne hilarantes au studio. Gatwa est d’ailleurs excellent dans ce type d’humour d’embarras, quand il est désemparé pour autrui (”Oh, Cilia…”). D’ailleurs, pas que dans l’humour : s’il y en a un autre que Maestro qui sait jouer de toutes les notes, c’est bien Ncuti Gatwa, dont le talent semble n’avoir plus aucune limite, capable de gérer toutes les tonalités de scènes qui essayent de se mesurer à lui. Millie Gibson n’est pas en reste et leur duo charmant s’impose déjà comme un des meilleurs de la série.

Les costumes sont aussi hyper réussis et funs, tout est riche et vivant. Et, c’est tout bête, mais le long plan sans cut où on les voit entrer dans un couloir du TARDIS pour aller se changer en hors-champ, et ressortir aussitôt par un autre endroit, est un rappel que le TARDIS reste un vaisseau temporel n’obéissant pas à nos règles non plus. Du fun créatif, toujours ! Avec une réalisation époustouflante de Ben Chessell qui brouille souvent la frontière entre les mouvements brusques et déplacements de nos personnages, et la façon dont ils sont filmés.

 

Oh, Cilla... Le Docteur et Ruby ont honte de ce qu'ils écoutent

DOCTOR: Music is the highest form of thought. If you take that away...

Cet épisode conceptuel aurait pu vite virer à l’analyse narcissique d’un scénariste qui veut rendre tout subversif, ou à un numéro d’un compositeur qui se regarderait le nombril. Mais non, avant tout, c’est une vraie histoire Who, aussi variée dans les tons et excitante qu’on puisse l’avoir, qui n’enlève rien à sa profondeur. En fait, ça le rend d’autant plus beau. Et ça, l’épisode en a, égoïstement, bien conscience ! Il l’annonce même dès le début dans une réplique méta excellente où le professeur de musique commence un petit speech qui vise à analyser en quoi Beethoven transformait sa colère en quelque chose de beau, bref, tout le crédo habituel sur l’artiste tourmenté qui donne l’art…

Exit tout ça ! Ça a déjà été raconté et c’est ennuyant. The Devil’s Chord ne sera pas ennuyant.

HENRY: All that rage and fury, out of which, something beautiful... Am I boring you, Henry?
HENRY: It's just a bit stuffy. Can't you play something more exciting, sir?
TIMOTHY: There is one thing you might like. It's called The Devil's Chord.

Qu’on trouve des présages de l’intention de l’épisode dès la scène d’introduction, c’est pour moi le signe d’un script superbement travaillé, qui aurait pu dérailler très très vite dans un mélodrame vaniteux d’auteur, ou à l’inverse, perdre tout son jus en n’offrant qu’une grotesque farce dans l’excès (si on avait eu la scène finale sur tout un épisode par exemple). Au lieu de ça, l’épisode sait mettre l’accent sur des thèmes précis inédits sans jamais ennuyer ni perdre de sa richesse.

 

Maestro et sa trompette

 

Le problème quand on établit une menace tellement extravagante qu’elle dépasse toutes les règles usuelles, c’est qu’il faut réussir à s’en débarrasser. L’avantage, c’est que l’épisode a tout envoyé valser dès le début ; il a ainsi lui-même établi ses propres règles. La résolution a été la partie la plus critiquée de l’épisode, alors qu’elle reste strictement dans les principes qui régissent le terrain de jeu de l’affrontement Maestro/Docteur. C’est d’ailleurs bien mieux fait que dans The Giggle sur ce point.

Tout repose sur un accord magique à trouver pour bannir Maestro. Le Docteur le·a désarme dans un duel musical frénétique grâce à l’aide de Ruby qui transforme le combat en 2v1 (comme avec le Toymaker). Le Docteur se met alors à jouer une note répétitive comme le début de l’épisode ou du générique… pour tenter cette fois de la transformer en un air miraculeux.

Ce qui est excellent dans ce climax, c’est que le Docteur souhaite puiser dans son histoire et son vécu pour trouver de quoi sceller un Dieu. À nouveau, ça justifie d’avoir abordé aussi ouvertement son passé dans l’épisode : c’est la caractérisation spécifique de Fifteen et le fait qu’il ait fait la paix avec lui-même, qui donne à cette résolution du sens. C’est ce qui lui permet d’être prêt à affronter un Dieu, cette fois. Je suis fan du moment où il se sert de son traumatisme et de son honnêteté sur ses sentiments pour justifier le sourire permanent de cette incarnation, qui l’inspire et lui donne de la puissance. Un trait que n’avait pas Fourteen face au Toymaker.

DOCTOR: I have lived. And I have loved. And I can only smile like this because I have lost so much.

Un homme apaisé vaut plus que deux hommes déchirés, même en 2v1 comme dans The Giggle. Ça, c’était tricher. Ici, c’est authentique. Quel super message !

L’épisode a suggéré, à travers l’apocalypse ou le monde sans Beatles, que privés de musique, les sentiments des humains ne peuvent s’exprimer. Alors, réciproquement, pourquoi la musique miracle ne pourrait-elle pas naître de l’expression des sentiments du Docteur ?

Thématiquement c’est excellent. L’idée paraît cohérente, et pourtant, contre toute attente, ce n’est pas suffisant. Le Docteur n’est finalement pas le génie musical qu’il croit être, puisqu’il échoue à sceller Maestro. Enfin, pas tout à fait. il trouve bien les notes, et l’air. Mais pas l’accord.

L’erreur du Docteur est d’avoir vainement cru qu’il suffit d’une expérience unique pour être un génie. Qu’une biographie suffit à avoir un trauma et une âme d’artiste, capable d’arrêter un Dieu. Il aurait d’ailleurs dû être mis sur la piste : ce n’est que grâce à l’intervention de Ruby au piano avec lui qu’il parvient à gagner son duel musical. Son discours est beau et possède la bonne intuition, mais il est trop auto-centré et restreint au passé, un peu à la manière d’Eleven dans The Rings of Akhaten face à un autre Dieu.

Si j’ai un regret sur l’épisode, c’est d’ailleurs que le Docteur ne revient pas sur son échec, alors que cela aurait pu donner un point de recul intéressant vis à vis de Ruby. C’était le premier et le dernier reproche que vous trouverez sur l’épisode dans cet avis…

 

Les Beatles trouvent l'accord avec des notes de lumière flottantes

 

Ce sont bien les Beatles qui finissent par trouver l’accord parfait, celui de l’amitié et de la vision d’artiste. Un accord divin pour contrer celui du diable. J’aime beaucoup cette résolution, aussi critiquée soit-elle, parce qu’elle est cohérente avec tout l’épisode et découle de ses thématiques. Par exemple, les échanges entre McCartney, Lennon, Ruby et le Doc à la cafétéria ont été les seuls du début d’épisode à être accompagnés d’une vraie composition de Murray Gold, puisque pendant l’espace d’un instant, sous l’influence de nos voyageurs temporels, ils redevenaient les artistes qu’ils étaient destinés à être, libérés du joug de Maestro. Et c’est parce qu’ils sont à deux et qu’ils jouent les notes ensemble, qu’ils transforment l’air en un accord absolu.

Ce qui peut battre un dieu du chaos, c’est donc l’humanité qui triomphe toujours, et qui s’exprime par l’intermédiaire de l’art. Et ça aussi, c’est tellement Doctor Who. Maestro est certes une expression artistique géniale qui donne tout son sel à l’épisode, mais il a beau être le dieu de la musique, il représente surtout un monopole. C’est la seule chose qui fait d’iel quelqu’un de mauvais : sa soif égoïste de consommer toute musique, en extrayant la personnalité, les émotions et les histoires qui vont avec. Sa musique idéale ? Les sons “éoliens”, littéralement la musique du vent, l’absence de vrai caractère et de vision dans la musique. Du bruit. Aussi triste que l’état des studios de musique de 1963, où la musique n’est devenue qu’une production capitaliste insipide.

PAUL MCCARTNEY: If I can make a bit of money out of cheap old rhymes, then I can settle down and get a proper job.

Là où le Docteur voulait exploiter son passé pour vaincre Maestro, les deux Beatles jouent ici un accord tourné vers l’avenir. Cette conclusion est une de leurs deux seules interventions pertinentes de l’épisode, mais elle dit tout ce qu’il y a à savoir sur eux. Ce sont des génies de leur époque et de leur art. Enfin, ça, l’épisode ne le dit pas. Il dit d’ailleurs très peu de choses sur eux, il préfère le montrer, le jouer en musique (jouer ou montrer, c’est la même chose dans l’épisode). Et c’est tout aussi bien qu’une biographie ennuyante que résumerait le Docteur à sa compagne. Pour un épisode historique typique, on est loin du format déjà vu de la série.

Tout le pitch de l’épisode vient en fait d’un vol de musique. La série n’avait pas le budget pour avoir le droit de diffuser des chansons des Beatles au cours de l’épisode, comme la version initiale du script, un historique classique sur leur vie, le prévoyait sans doute. Qu’à cela ne tienne, faisons un épisode où ils apparaissent mais où quelque chose les auraient empêchés d’écrire leurs tubes ! D’un obstacle conséquent, qui aurait poussé beaucoup de créateurs à jeter l’éponge, la série en fait une force pour donner quelque chose de grandiose.

 

Maestro et ses effets spéciaux tuent Timothy

MAESTRO: My notation is... Maestro. I am... music.

 

C’est bien souvent dans les contraintes budgétaires que la série livre ses meilleurs épisodes (Blink, Gridlock, Midnight pour ne citer que des propositions de l’ère RTD de 2005). Même en 2024 avec des effets spéciaux excellents, cela survient encore. Je salue l’audace de Russel T Davies d’avoir poussé jusqu’au bout ce concept génial qui a donné lieu à Maestro, voleur de musique. C’est paradoxal vu son design incroyable, mais c’est bien Maestro qui incarne cet obstacle de créativité, cette vision productiviste de la musique (qui empêche même la série de faire ce qu’elle voulait de base !). C’est le voleur de l’épisode. Et en tant que fan de la première heure, je trouve ça génial de voir qu’entre temps, la série a assez de renom et de moyens en 2024 pour mettre en images cette histoire à travers des VFX excellents. Maestro et The Devil’s Chord n’ont pas capturé que la musique, ils l’ont aussi fait prendre vie à l’écran, dans des effets spéciaux sans queue ni tête, loin d’être parfaits, mais ambitieux, vivants et créatifs, pour notre plus grand divertissement.

Au final, l’épisode parvient à faire un truc super sur les Beatles sans même leur faire chanter une vraie chanson. Pour renouer avec la créativité musicale et artistique, bien sûr qu’il faut de l’expérience, mais il faut surtout des expériences, à plusieurs. C’est ça l’humain avant tout : pas que du talent personnel, ou un génie unique, mais un accord. Pas que des notes, un air puis une mélodie, mais bien une harmonie. Pas qu’un Russel T Davies, mais aussi une Jinkx Monsoon, un Murray Gold, un Ben Chessell, un Ncuti Gatwa, une Millie Gibson… À une époque où la notion de “groupe” de musique n’avait pas encore réellement percé, c’est l’amitié McCartney/Lennon qui a tout rendu possible. On comprend donc l’essentiel : ils ont juste révolutionné la musique parce qu’ils étaient… ensemble.

Cette lecture personnelle de l’histoire simplifie bien sûr grandement la réalité, tout comme l’épisode réduit d’ailleurs les Beatles à son duo emblématique, celui par lequel toute la pop a véritablement commencé (pour celleux qui se demandent pourquoi on ne voit que ces deux-là de l’épisode). Mais c’est aussi une vision très cohérente avec l’expression des sentiments par la musique dans tout l’épisode. C’est donc à l’unisson et à quatre mains qu’ils reprennent leur place légitime dans l’histoire, n’est-ce pas brillant ?

 

Les Beatles jouent de la bonne musique en studio

 

Alors non, les Beatles ne sont pas au centre de l’épisode, qui ne se veut ni éducatif, ni explicatif. Il se veut purement subjectif, personnel et intuitif en fait. Il n’y a que l’essentiel : ils sont british, ils sont plusieurs, ils ont une personnalité, ils incarnent une “contre-culture”. Tout ce que Doctor Who représente également : une oeuvre britannique très singulière, qui transcende les âges avec plusieurs interprètes et scénaristes. Si on est fan incontesté des Beatles et qu’on espérait un épisode aussi poussé sur eux que les historiques de l’ère Jodie Whittaker, je comprends qu’on en ressorte déçu en termes de présence d’écran. Mais thématiquement, leur portait est sublime. Et puis, pourquoi ne pas varier la formule des focus historiques ? Je suis vraiment pour plus d’épisodes conceptuels dans le passé ! Les pseudo-biographies, ça va bien deux minutes, c’est ce qui fait qu’ils se ressemblent tous et que beaucoup de fans ont développé un stigma contre les épisodes historiques. La communication de la BBC sur les Beatles a pu gâcher les attentes des fans du groupe, ce que je comprends. Je ne suis personnellement pas le plus grand adorateur des Beatles. Pour être honnête la chanson du chien, aussi hilarante soit-elle, j’ai cru au début que c’était une de leurs vraies chansons… en termes de paroles ou d’air, l’imitation était très convaincante. Mais c’est bien la mélodie qui sonnait faux, ce qui est tout le propos de l’épisode.

En termes d’éducation d'un point de vue historique, le résultat est le même qu’un biopic ennuyant, avec beaucoup plus de passion. Si on adore l’épisode (comme moi) sans connaître très bien les Beatles (comme moi), et qu’on est curieux de comprendre pourquoi Lennon et McCartney sont aussi importants, on aura envie de faire des recherches. C’est ce que j’ai fait, et j’ai trouvé par exemple un fait que l’épisode n’aborde pas directement mais qui est passionnant : ce qui a rapproché McCartney et Lennon dans leur jeunesse, c’est la perte de leurs mères. Comme l’épisode ne prend pas le temps d’en parler, sans doute que le lien thématique avec Ruby est involontaire… mais cette coïncidence n’en reste pas moins super belle.

Il y a en revanche, une référence vraiment explicite à leur oeuvre dans l’épisode. Un hommage à la dernière chanson de leur album "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band" (dis donc dans le temps les noms d’album étaient à rallonge ou bien ?). L’accord divin qui scelle Maestro n’est pas celui que Paul McCartney improvise devant le Docteur à table, comme l’espéraient plein de fans (ce qui n’aurait eu aucun sens à mon humble avis). En revanche, l’accord est loin d’être aléatoire : à quelques tonalités près, c’est le même accord que celui qui conclue l’album en question. La chanson “A Day in a Life”, et l’album d’ailleurs, ne sont pas les parties les plus connues de leur discographie, c’est une de leurs plus alternatives, mystiques, étranges. La couverture de l’album est d’ailleurs une des références qui constituent le costume de Mastro qu’iel porte lorsqu’il se fait battre, un autre détail de production génial.

 

(écoutez à partir de 4 minutes jusqu'à entendre l'accord)

 

Alors, que nous raconte cette musique ? Pourquoi, de toutes les références possibles, celle-ci a été choisie ? Je ne sais pas, je ne m’y connais pas assez, mais “A Day in a Life” finit par aboutir sur une séquence cacophonique presque horrible qui brise toutes les règles de composition d’une chanson, avant de marquer une pause et de conclure par cet accord “libérateur”, marquant à la fois une fin (d’album, d’épisode) et un renouveau (un nouveau jour d’une vie, un monde sans Maestro). Cela représente plutôt bien l’épisode.

C’est… presque fini. Reste une scène finale de comédie musicale qui capitalise sur tout le reste de l’épisode en nous offrant enfin le retour de la “vraie” musique, l’accomplissement d’un “vrai” épisode musical qu’on pouvait imaginer, en gardant la folie permise par la présence évanescente de Maestro. There’s always a twist in the end!

 

Tout le monde danse le twist dans la salle de musique

 

Cette séquence triomphale est une récompense pour le spectateur. Je l’ai trouvée tellement géniale ! Déjà, l’air reprend… le ricanement du Toymaker et de Maestro ! (”la la la LA la la laaa”) Indiquant qu'il s'agit encore d'une absurdité dans les règles de leur terrain de jeu. Ce sont les mêmes notes qui prennent forme, mais la mélodie change tout, bien sûr, et l’image aussi (au point où je ne suis même pas sûr qu'un dixième des gens ont remarqué la reprise du ricanement). Ça illustre tout le propos de l’épisode une nouvelle fois.

Bien sûr, tout est kitsch et les paroles très bateau sont alignées sur le niveau des chansons populaires des Sixties, avec quelques citations évidentes au genre pastiché. La plus explicite de la scène étant les parapluies (de Singing in the Rain sans doute ?), mais avec une touche de folie absurde très Who, puisqu’il pleut en intérieur. Je suis fan de ce “cringe” assumé : il n’y a vraiment pas de honte à danser et à s’éclater en musique, et, si on pense l’inverse, c’est qu’on a loupé tout le propos (et ce n’est pas grave !). Tout l’enjeu dramatique du début d’épisode est bien ça : la honte de la musique, qui aboutit petit à petit à la création de produit marchand plus que d’art.

Derrière les paroles simplistes, c’est encore une fois le champ des possibles qui est dissimulé : quel est le “twist de fin” de la chanson ? Le twist, c’est le nom de la danse de rock très populaire à l’époque, que tout le monde performe ici. C’est le rebondissement inattendu d’avoir un tel acte en fin d’épisode. C’est le petit Harbinger qui réapparaît brièvement dans cette séquence pour annoncer très certainement une suite inattendue. C’est Susan Twist, l’actrice qu’on retrouve étrangement dans chaque épisode de la saison dans des rôles insensés. C’est la fin de saison qui nous réservera forcément des surprises. C’est tout ça à la fois !

 

Murray Gold au piano

 

Murray Gold se lâche enfin dans cet acte final. Il fait lui-même un cameo dans l’épisode en joueur de piano (reprenant sa juste place que Maestro lui avait volé), profitant encore de la zone de non-droit de Maestro qui règne, tout en ayant la voie libre pour faire ce qu’il veut. C’est ainsi le timing parfait pour aller jusqu’au bout de l’idée de l’épisode. On retrouve le passage piéton de Abbey Road qui s’éclaire pour devenir… des notes de piano ! Là, ça redevient beau de danser, bien loin du silence gênant sur ce même passage piéton lorsque le Docteur et Ruby se trémoussaient sans musique. Le TARDIS tire alors une dernière révérence et met fin à cet orchestre délirant.

C’est risqué de finir ainsi, mais aussi si plein de sens et si singulier. Et cette singularité est très représentative de l’épisode. Qu’on aime Mastro ou qu’on lea déteste, qu’on ait été happé ou pas par l’idée, par les Beatles ou par les références, quelle proposition singulière ! Quelle proposition tout court ! Dans un monde où le divertissement audiovisuel est aussi aseptisé, où même les idées sci-fi fantasy sympas ont des airs de déjà vus, quelle claque d’avoir quelque chose de si délirant, coloré, personnel. Bref, une vision !

 

 

 

The Devil’s Chord est un pari. Un pacte avec le diable. Tout est résumé dès la première scène : quelques notes ennuyantes, un flirt avec l’interdit pour secouer la diégèse, un contrat avec le Diable… et ce dernier se réveille bel et bien ! Il le faut bien, pour du fun et de l’originalité. Plus aucune musique dans l’univers et dans la série tant qu’il est là : c’est Maestro la star. Elle incarne le message tranché de l'épisode, en faveur d’une prise de risque pour ne jamais ennuyer et assumer tous ses choix sans aucune concession. C’est ce que la série a toujours défendu : ne jamais rester dans sa zone de confort, transcender les contraintes en idées, être novatrice. Cet épisode en est la preuve triomphante : d’une frustration budgétaire qui se cristallise dans un antagoniste paradoxal déjà culte, on obtient un des épisodes les plus créatifs jamais vus, aux sens de lecture multiples qui se répondent entre eux. Cette symphonie chaotique et survoltée est pourtant si maîtrisée, si complète, réglée comme du papier à musique, autant dans le fond que dans la forme, puisqu’elle alloue sa richesse thématique et budgétaire dans une production à couper le souffle. Des costumes aux figurants, des références internes aux citations externes, rien n’est laissé au hasard, tout prend son sens dans une harmonie rarement atteinte. Je peux comprendre que cet épisode paraisse un peu surchargé au goût de certains, tant il révèle l’enivrement d’une ambition démesurée qui a animé toute l’équipe, mais c’est bien tout ce que j’adore et ce que j’attendais du Doctor Who 2024…

Quoique, pas dès un épisode 2 ! Visiblement c’est bien ça, Doctor Who en 2024. Audacieux, ambitieux, personnel. Comme toute musique, elle a de meilleurs accords que d'autres, et elle n’est évidemment pas pour tout le monde. Que chaque personne de son auditoire en tire les sentiments qu’elle veut, l’important c’est justement bien d’avoir ressenti quelque chose, et d’espérer (re)trouver ça dans les futurs épisodes. C’est bien là-dessus qu’on peut... s’accorder.

 

 

Ma note : 18/20 (potentiellement 19)

 

 

Le Coin Chargé du Fan

  • La rue du passage piéton est une référence à l'album studio culte des Beatles, Abbey Road :

 

Comparaison couverture album Abbey Road et plan de l'épisode

 

La série avait déjà joué là-dessus lors d'une campagne promotionnelle pour la saison 9, qui teasait notamment la mort de Clara vu sa position par rapport à celle des Beatles sur la pochette :

 

Abbey Road avec Clara, 12 et deux Daleks

 

TIMOTHY: Henry Arbinger, that's it.
MAESTRO: H... H.. Harbinger! Think of him as my prelude. And now his song is sung.

  • Harbinger veut dire “présage”, “signe avant-coureur” en anglais. Le petit Henry, qui réapparaît lors de la comédie musicale finale, devrait donc très certainement revenir dans la série par la suite.

 

Harbinger observe la scène de musique

 

 

  • L’actrice Susan Twist fait une nouvelle apparition en cantinière. Elle interagit pour la première fois avec le Docteur, sans que ce dernier ne la remarque.

 

Susan Twist en cantinière derrière le Docteur et Ruby

 

  • Comme le Docteur le mentionne, en 1963, il se trouve vraiment à Totter's Lane, dans une décharge à Londres (An Unearthly Child), pour le début de ses aventures telles qu’on les connaît.
  • Susan, la petite fille du Docteur, est nommée par celui-ci pour la première fois de la nouvelle série. Elle avait été mentionnée par Eleven à Clara de façon plus anodine (The Rings of Akhaten), et Twelve avait son portrait sur son bureau quand il était à l’université (The Pilot), mais c’est la première fois que son prénom est cité. Coïncidence, simple construction de la personnalité de Fifteen, ou intérêt plus large dans la suite de la saison ?
  • Une référence encore plus subtile au premier épisode et à 1963 se trouve dans un panneau publicitaire pour le groupe de musique fictif “Chris Waites and the Carollers”. Ian Chesterton, le premier compagnon du Docteur, le mentionnait dans le tout premier épisode An Unearthly Child.

 

Panneau publicitaire Chris Waites sur le toit d'un immeuble

DOCTOR: The Time Lords were murdered. The genocide rolled across Time and Space, like a great big cellular explosion. Maybe it killed her too.

  • L’épisode revient pour la première fois sur les interrogations “pratiques” du génocide des Seigneur du Temps commis par le Maître (The Timeless Children).
  • Le rire annonciateur de Maestro est bien sûr le même que celui du Toymaker (The Giggle). On le retrouve aussi comme air principal de “There’s always a twist in the end”. 1925 est l’année d’apparition du Toymaker et de Maestro également.
  • Maestro porte trois costumes : le piano, la chanteuse d’opéra (inspirée par Adele), et le chef d’orchestre. Le dernier fait référence à la tenue de son père, le Toymaker, déjà habillé en chef d’orchestre pendant sa séquence où il dansait en musique. L’inspiration visuelle provient également du huitième album studio des Beatles.

 

Costume Maestro et ses inspirations

 

  • Le Docteur fait pour la première fois le lien entre le Toymaker et ses légions (dont son enfant Maestro fait partie), avec le “Panthéon”, un ensemble d’entités chaotiques présent dans l’univers étendu de la série ainsi que dans le spin-off The Sarah Jane Adventures. Son membre le plus connu est le “Trickster”, dont l’influence a causé l’univers parallèle de Donna (Turn Left) entre autres.
  • Première mention du “Oldest One”, sans doute un autre membre du Panthéon/des Légions du Toymaker. Est-il la même personne que “The One Who Waits” mentionné par Maestro en fin d’épisode ?
  • Maestro mentionne que son objectif est de se nourrir de chansons volées jusqu’à pouvoir devenir assez puissant pour dérober la “musique des sphères” et conquérir l’univers. Littéralement, les sphères évoquent les astres de l’univers, mais cette réplique a un sens caché : “Music of the Spheres” est le nom d’un petit épisode bonus (disponible sur YouTube) diffusé en 2008 à l’occasion du premier concert officiel de la série organisé par la BBC (les "Proms"). Dans cet épisode, le Docteur décrit justement la musique des sphères comme l’appellation de la musique naturellement jouée par la vie et l’univers. Maestro et le Docteur l’opposent ici aux “sons Éoliens”, la musique d’un univers dénué de vie, vrai but de Maestro. Il faut noter aussi que Music of the Spheres, c’est un minisode interactif, conçu pour être suivi par une audience en plein concert de Doctor Who. Que Maestro, antagoniste méta, cite explicitement le fait de vouloir s’emparer de “la musique des sphères”, donc la musique de Murray Gold en concert, ce n’est sans doute pas anodin et peut évoquer son envie de voler la musique de la série elle-même également.
  • La scène où le Docteur emmène la compagne voir un futur alternatif désolé dans le futur (notre présent) est un concept visualisé pour la première fois dans une histoire très culte du Quatrième Docteur, The Pyramids of Mars (voici un lien vers la scène).
  • “Juin 2024” : en l’espace de deux aventures seulement, Ruby et le Docteur ont voyagé 6 mois ensemble. Une ellipse assez rare pour les débuts d’une nouvelle compagne, qui a été pointée du doigt par les fans.
  • L’acteur jouant Timothy, le professeur de musique qui invoque Maestro, est le fils d’un compositeur de la série classique, Roger Limb, ayant composé pour 5 saisons dans les années 80. Même ce simple casting a beaucoup de sens vu son rôle dans un épisode faisant la fusion entre Doctor Who et sa musique.
  • L’actrice jouant la dame se remettant au piano, quant à elle, est jouée par June Hudson, une artiste costumière de l’époque du Quatrième Docteur, un joli hommage vu l’importance des costumes de l’épisode.

 

June Hudson joue du piano

 

  • RTD souhaitait réintroduire plus d’antagonistes se rapprochant de Dieux pour séparer Doctor Who du traditionnel paysage sci-fi fantasy. “We’re in a very busy science-fiction/fantasy world now. We’ve always got to do what other shows don’t. It’s Doctor Who’s unique territory. The Devil’s Chord is unashamedly part of that tradition – my *new* tradition – of having gods at war on screen.” (Source)
  • Les parapluies de la comédie musicale finale font probablement référence à “Singing in the Rain”, mais il n’était pas prévu que le Docteur et Ruby les gardent sur la séquence finale du passage piéton. Ils n’avaient qu’un unique jour de tournage avec la rue de Cardiff bloquée choisie pour représenter Abbey Road, et il n’a fait que pleuvoir, alors que la scène devait être ensoleillée pour évoquer le ton heureux de la fin. Toute l’équipe étant équipée de parapluies pour la scène musicale en intérieur, l’idée de les inclure également dans cette scène a donc été improvisée, faisant de la référence la plus directe à “Singing in the Rain” une décision de dernière minute !
  • La baguette que possède Maestro dans la scène introductive est une idée que Jinkx Monsoon a eue sur le tournage.
  • Une scène coupée devait montrer le Doc et Ruby qui entrent dans une vraie cabine téléphonique de 1963 par erreur !
  • En arrivant en 1963, on peut entendre California Soul de Marlena Shaw, une chanson seulement sortie en 1969. Le TARDIS faisait peut-être une blague !
  • Fun Fact, Lennon et McCartney ne savaient visiblement pas lire de partitions ! Ce qui rend le climax hautement improbable.
  • Un plan de Maestro fait référence au single “Sound and vision” de David Bowie, iel prononce d’ailleurs cette même phrase, lors de son affrontement “silencieux” avec le Docteur, au moment où iel semble prendre la pose :

 

Sound and Vision : l'album de David Bowie comparé au plan sur Maestro

 

Bonus : best-of des autres citations de Maestro

MAESTRO: That lament will be my symphony supreme.
DOCTOR: With all of life extinguished?
MAESTRO: I'm going solo. :D

MAESTRO: Everything resonates, Doctor, dear. Every atom hums. And anything that plays a tune... is mine!

MAESTRO: I said, genius! And you might be bright, and hot, and... timey-wimey. But genius? Oh, honey, I don't think so.

 

Et vous, qu'avez-vous pensé de l'épisode ? N'hésitez pas à nous le dire en commentaires, ou directement en rejoignant notre Discord !

A très vite pour faire ba-da-boom !

L'auteur

Commentaires

Avatar Mmaginère
Mmaginère

Une très belle et miraculeuse mélodie que tu m'as jouée Galax, j'ai pris un réel plaisir à lire cet article en avant-première !!!!!!

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Avatar nicknackpadiwak
nicknackpadiwak

J'ai posé un RTT pour pouvoir lire cet article, mais cela valait le coup. J'ai appris plein de trucs.

+1 car il y a David Bowie.

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