Si depuis 2005 les épisodes historiques sont effectivement des moments incontournables de chaque saison de Doctor Who, l’Histoire et le passé ne servent la plupart du temps que de décor à une intrigue SF, mais sans pour autant interroger le contexte historique et en tirer quelques enjeux. Or, depuis Rosa, la série semble privilégier une nouvelle approche plus politisée et humaine de l’Histoire, et avec Demon’s of the Punjab, Vinay Patel (eh ! un nouveau venu) semble bien confirmer cette approche, avec lui aussi un certain succès !
Une montre cassée
« I was the first woman married in Pakistan. Now look at me, in a wheelchair. Being fed shop-bought cake. »
L'épisode de la semaine a un postulat de base très intéressant ! En effet, Demon's of the Punjab ne part pas d'un atterrissage hasardeux du TARDIS, d'une punchline quelconque ou d'un simple caprice, mais de questions à la fois très intimes et universelles sur le passé. Et alors que le sujet de la partition de l'Inde nécessite une certaine humilité et subtilité, tout part donc de Yaz et de ses propres doutes. En effet la jeune femme, depuis le début de la saison, interroge sa place et semble en proie à certains questionnements sur le sens qu'elle peut donner à sa vie. Elle trouve donc dans la Docteur un modèle de femme forte, et dans la vie à ses côtés un moyen de s'émanciper. Pour autant, quelque chose manque... Yaz pense donc trouver dans le passé – et surtout celui de sa grand-mère qu'elle admire – des clés pour comprendre et éclairer le présent, et forger par conséquent un peu plus son identité. L'épisode a donc un postulat à la fois très explicite – Yaz veut connaître le passé de sa grand-mère – mais en même temps très implicite – Yaz cherche dans ses racines de quoi se forger une identité. Demon's of the Punjab joue donc des doutes de Yaz pour exposer une approche universelle de l'Histoire (on pense trouver dans le passé un sens au présent) et donner à l'épisode un point de départ assez doux et intimiste.
De la poudre et des champs de pavot
« I think lot of countries are still naïve to what actually happened with the partition. »
Mais le passé familial de Yaz est indissociable de la partition de l'Inde en 1947 – un moment terrible, mais pourtant méconnu. « Nothing worse than when normal people lose their minds. » Et alors que l'épisode aurait pu être violent et spectaculaire (on parle de millions de morts et de réfugiés), le parti-pris là-aussi est intimiste, mais pourtant assez puissant et intéressant ! On ne vit en effet l'Histoire qu'à travers un groupe dans une ferme isolée et ses soucis du quotidien. La radio témoigne des horreurs de l'extérieur, mais la ferme est comme à part, dans une bulle. L'Histoire ne perturbe même pas le vent qui souffle sur les coquelicots et les champs de pavot ! Le parti-pris du scénariste est donc anti-spectaculaire, mais terriblement prenant et réaliste. Le déroulement du mariage de Prem et Umbreen est alors à lui-seul le reflet des tensions et des horreurs d'une époque et permet de saisir l'ampleur de la partition... mais à une échelle humaine. En effet, alors qu'une famille se déchire, que des gens qui s'aimaient s'engueulent puis se tuent, le simple amour d'un hindou et d'une musulmane est un acte politique plus puissant que n'importe quel discours. « Love, in all its forms, is the most powerful weapon we have because love is a form of hope and, like hope, love abides in the face of everything. » L'Histoire ici sert donc un message puissant sur l'espoir et la paix, et le tout est terriblement prenant et efficace !
« Still not interfering, are we? »
« We are no longer assassins. Now we are witnesses... We honor the lost as we cannot honor our own. »
Demon's of the Punjab témoigne enfin d'une approche assez audacieuse et novatrice de la série. Alors qu'on pourrait s'attendre dans la première partie de l'épisode à quelque chose d'assez classique – des monstres extraterrestres (ici un peuple d'assassins) interviennent dans une époque et menacent le cours de l'Histoire –, le scénariste expose un retournement de situation assez intéressant. Non seulement les extraterrestres ne sont pas hostiles, mais compatissants et repentis – ils ne se contentent en effet que d'être des témoins – mais en plus, la Docteur se trompe, et sort de sa zone de confort. On passe en effet de « nous nous occupons des monstres » à « Prem doit mourir » : la Team TARDIS doit alors avec humilité et à contre-cœur affronter l'Histoire, et surtout, l'accepter. Dès-lors, l'épisode fait place à un développement humain des plus touchants : Prem pourtant plein d'espoir et d'humanité, marche vers une mort cruelle mais nécessaire. La Team TARDIS (et notamment Graham, très bouleversé) ne peut que l'assister dans sa marche, et l'Histoire, qui n'était trop souvent représentée que comme une sorte de pâte à modeler, est désormais un horizon sombre, imposant et inévitable. Même la Docteur – presque un dieu, et dont le nom effrayait et fascinait des milliards d'espèces et de personnes – ne peut que se soumettre.
De par son fond doux-amer et le message puissant qu'il porte, Demon's of Punjab n'est pas que le premier pas réussi de Vinay Patel, mais un excellent épisode. Il confirme une approche de l'Histoire plus sombre et politisée et réunit tout les ingrédients d'un très bon épisode de Doctor Who, l'innovation en plus. La série continue donc de surprendre... pour notre plus grand plaisir !
J'ai aimé :
- La réalisation impeccable
- Un cadre historique très bien utilisé
- Une nouvelle espèce très intéressante
- Des dialogues vraiment bons
- Un retournement de situation bienvenu et poétique
- L'écriture de Yaz, de Graham et de la Docteur
- Apprendre l'ampleur de la partition et avoir envie d'en savoir plus
- Certaines de mes attentes pour la saison comblées
Je n'ai pas aimé :
- Le déséquilibre dans l'écriture des compagnons (Ryan sous-exploité)
- Devoir attendre le sixième épisode pour enfin avoir une bonne conversation entre Yaz et Graham
- Et cela semble acté mais no more Nardole
Ma note : 17/20
Le Coin du Fan :
Comme chaque semaine depuis le début de la saison, on n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent, mais on peut néanmoins noter quelques petites piques et références intéressantes :
- On retrouve ici la famille de Yaz pour la première fois depuis Arachnids in the UK.
- Le Tésélecta, Missy, le Testimony... Ce n'est pas la première fois que des extraterrestres interviennent pendant ou après la mort, à croire que l'au-delà doit être pas mal embouteillé...
- « Never did this when I was a man! [...] My references to body and gender regeneration are all in jest. I'm such a comedian. » Cette petite touche d'auto-dérision de la Docteur fait surtout référence au subtil running-gag de la saison sur le changement de sexe du Docteur, mais certains y verront aussi une petite pique aux saisons précédentes, qui teasaient pas mal à l'époque l'idée d'une Docteur femme.
À la semaine prochaine !