Doctor Who est la série de tous les possibles. Elle peut aller partout dans le temps, dans l'espace, dans plusieurs dimensions et entre elles. Il n'y avait qu'un seul endroit que la série n'avait pas encore exploré : l'ennui. Bienvenue dans cette onzième saison !
Succéder à une aussi forte personnalité que Steven Moffat, qui a laissé son emprunte de manière indélébile (qu'on l'apprécie ou non) sur le show était un exercice risqué. Et en vérité, il y avait plein de manières de s'en sortir, dans un spectre des possibles allant de la rupture complète à la poursuite sur le même chemin. Chris Chibnall, scénariste de plusieurs épisodes par le passé, showrunner de Torchwood pendant deux ans et très grand fan de la série, ne prend aucune de ces routes. Comme paralysé par l'enjeu (il avait pourtant demandé du temps supplémentaire pour écrire), il rend une copie de mauvaise élève, celui qui malgré sa bonne volonté et son travail ne parvient jamais à dépasser le stade d'un début de commencement d'idée. Et tout son travail en est emprunt. Scénariste de pas moins de cinq épisodes cette année, il n'est jamais parvenu à insuffler une quelconque direction à la série et les véritables trouvailles cette année l'ont été par la technique (le travail sur la lumière) et par d'autres scénaristes (le fort discours politique). Cet épisode ne parvient même pas à faire ressortir les points positifs de cette onzième saison et offre un bien piètre spectacle.
No show. No Fun.
Conclure, c'est très important. Parce que ça donne le ton final de la saison et l’impression générale qu'elle en laisse. Une saison moyenne peut être sauvée par un final réussi (saison 2) et une bonne saison peut être déceptive sur sa fin (saison 6). Chibnall fait le choix du non-épisode, une espèce de formula show lambda qui suit une sorte d’algorithme créatif pratiqué systématiquement cette saison : arrivée dans un endroit + élément perturbateur + division de l'équipe de manière totalement aléatoire + résolution impliquant le sonic driver. Chibnall est un fan de la série classique et ça se sent. Il n'a jamais dérogé à cette formule, tant et si bien que ses épisodes cette année pourraient en être un seul et unique. L'idée d'avoir trois compagnons était pourtant extrêmement alléchante. C'est très rapidement devenu un poids pour le show. L'ensemble des scénaristes utilisés cette année n'a pas su quoi en faire (à l’exception notable de Kerblam! où les choix ont été un peu plus justifiés). Sur ce final, ça se voit particulièrement avec une division en trois groupes qui n'a aucun sens. Cette artificialité est amplifiée par une répétition quasi mécanique de gimmicks totalement vides de sens : « Grandad! », « Let's go team! », « Fam! », etc. Il est amusant de constater que des catchphrases totalement similaires avaient déjà été usitées par le passé dans la série : « Géronimo! », « Allons-y alonso! », « Run! », etc. Sauf qu'elles avaient systématiquement une portée comique destinée à renforcer le côté loufoque du Doc. C'est totalement différent cette année : Chris Chibnall les utilise pour s'auto-persuader de ce qu'il écrit, comme un incantation magique. Si les personnages passent leur temps à répéter qu'ils sont en famille, c'est bien qu'en creux, ils ne le sont pas. L'alchimie entre la Docteur et ses compagnons n'a jamais été aussi faible. À part Graham (mais c'est parce que l'acteur est excellent), c'est le vide intersidéral. Même en écrivant une Clara totalement artificielle en saison 7, Steven Moffat était parvenu à créer un semblant de connexion avec Eleven, puis Twelve.
Chris Chibnall suit son algorithme et nous offre un épisode vide de sens, de buts, d'enjeux, une sorte de voyage au bout de l'ennui, assez hallucinant de médiocrité. Rien, absolument rien ne fonctionne. Tout donne l'impression d'avoir été déjà vu ailleurs et mieux fait. Il n'y a aucune surprise dans le méchant (grillé dès la fin du season premiere), de l'alliance Graham-Ryan et de la relation entre les Ux et les Stranza. L'épisode est terminé au bout de trente-cinq minutes et la résolution finale atteint un ridicule jamais exploré dans NuWho : on met un guerrier légendaire hors d'état de nuire en lui... tirant dans le pied ?! Les rares pistes intéressantes de l'épisode (la perte de mémoire du capitaine et le background des Ux) sont des déceptions d'idées sous exploitées. Pire encore, le rare truc teasé par Chibnall cette année (le Timeless Child) est abonné sur la route, en auto-stop d'idées neuves, qui arriveront peut-être un jour... Ou peut-être pas.
No show. No Doctor.
Plus globalement, cela pose de vrais problèmes sur la capacité de Chris Chibnall a être un scénariste viable sur le long terme. Il semble comme paralysé par l’enjeu. Comme ses deux alumni showrunners, il est un vrai fan du show. Un nerd qui a grandi avec la série, série qui l'a accompagné pendant son adolescence. RTD l'a indiqué plusieurs fois : sur la première saison, la pression de reprendre une série aussi importante en Grande-Bretagne était énorme. Même chose pour Steven Moffat qui venait reprendre le show après quatre années réussies et appréciées de beaucoup. Face à cette étape, Chibnall s'est comme dégonflé. Il a d'abord demandé plus de temps (ce qui a conduit Moffat à s'occuper de la saison 10), moins d'épisodes et une salle d'écriture (la fameuse writer's room) pour l'accompagner, et même une année de pause supplémentaire pour la saison 12 (qui reviendra en 2020). L'ensemble de ces éléments factuels laissent transparaître la peur face une montagne à gravir. C'est d'ailleurs assez méta-intéressant dans une série qui utilise la thématique de la peur dans 95 % de ses épisodes. Même le fait qu'on ait vraiment peu vu l'intérieur du TARDIS renvoie directement à cette idée : il a systématiquement filmé cette année comme une espèce de (ghost) monument sacré.
Chibnall est le même type de fan que J.J. Abrams quand il refuse une première fois de réaliser l'épisode VII. Celui qui ne prend aucun risque, plus soucieux de ne surtout vexer personne que de proposer le moindre bouleversement créatif. Si Abrams parvient (à mon sens) à retourner l'aspect muséification de son œuvre pour un faire un discours méta réflectif sur Star Wars, Chris Chibnall n'a malheureusement pas le même talent sur Doctor Who. Dans une série qui a fait du cheap un acte de création (moins de thunes, mais compensé par plus d'idées), tout a semblé affreusement bête cette année. Les habituels deus ex machina (et particulièrement celui de ce dixème épisode) n'ont jamais semblé aussi ridicules. La vacuité finit même par toucher l'actrice principale. Jodie Whittaker est excellente. Problème : elle n'a rien à jouer. Je ne suis pas capable de donner la direction de cette nouvelle Docteur après plus de cinq cents minutes d'écran. L'idée de la non-violence et de la non-intervention étaient franchement très intéressantes et directement responsables des meilleurs moments de cette année (les finaux combinés de Rosa et Kerblam!). Chibnall finit par ne rien en faire, les laissant au même stade que les autres concepts qu'il a abandonnés sur le papier : les trois compagnons, le TARDIS qui distribue des cookies, le timeless child, le côté très bricoleur de la Doc, le fait que Yaz soit flic, Yaz tout court, la non-motricité de Ryan, etc. La seule chose qui a drivé cette saison fut la mort de Grace, résolue dans l'avant-dernier épisode (pourquoi pas après tout ?). Tout le reste n'a été qu'un ensemble d'embryon tué dans l’œuf. Y compris l'espoir que j'avais dans cette nouvelle saison.
Un épisode affreusement nul. Le pire final possible et un des cinq pires épisodes de NuWho en ce qui me concerne. Une construction en pilotage automatique qui béatifie l'ensemble de ses personnages (même la Docteur), tout en faisant ressortir la vacuité de l'épisode et de la saison dans son intégralité. La chance qu'a encore Chibnall est qu'il peut encore faire comme si cette saison n'avait pas existé, tellement il ne s'est rien passé. Mais pour proposer du neuf (bordel, une seule idée suffit !), il va vraiment falloir commencer à bouleverser les codes.
J'ai aimé :
- Rien. Ah si, à un moment, la Docteur et Yaz font une phrase en même temps qui fonctionne plutôt bien et qui laisse entrevoir l'alchimie entre les deux si la policière avait été seule avec Thirteen.
Je n'ai pas aimé :
- Le discours final de la Docteur qui conclut la saison, composée de phrases ultra lambda, écrite par un robot sous traxen.
- Le gimmick du « Grandad! » qui commence à me faire plus rire qu’autre chose.
- Stranza le guerrier predator légendaire qui est HS après une balle dans le pied.
- Un scénario en pilotage automatique.
- Des compagnons au mieux vides, au pire, tokens politiques.
- Nardole, tu reviens quand tu veux.
Ma note : 05/20
Allez, on se retrouve le 1er janvier !