Amazon dans l'espace, du papier bulle, des robots, des disparitions, de drôles d'onomatopées en guise d'univers, pas de doute : on est bien dans du Doctor Who pur jus. Et ça fait du bien.
Doctor Who VS Les Gilets Jaunes
Kerblam!
Kerblam! est un épisode classique de Doctor Who qui arrive à point nommé dans une saison à laquelle on peut reprocher de trop "s'éloigner" des sentiers battus. L'épisode suit en effet une formule un peu plus classique de l'épisode typique d'une semaine de Who. Et pourtant, Kerblam! reste totalement inscrit dans la saison et en respecte beaucoup de ses codes. Il répond donc à certains des défauts de la saison et rafraîchit un peu cette dernière avec du old school, tout en poursuivant quelques thèmes établis depuis le pilote. Il s'agit donc d'un épisode très efficace qui devrait rassembler tous les fans : ceux sous le charme de la nouvelle saison, comme ceux en manque du bon vieux temps. Étant assez entre les deux, c'est en tout cas ainsi que j'ai vu Kerblam!.
Je vais essayer d'illustrer : j'apprécie assez bien la saison pour le moment. Malgré un gros creux au milieu, constitué des épisodes 4 et 5, la saison est dans une bonne lancée et chaque épisode est construit selon un schéma assez intéressant. Mais cela fait aussi du bien de revenir à un pitch de SF un peu plus original qui donne lieu à un bon vieil épisode classique.
Voici les règles du jeu : en général, dans cette saison, la team TARDIS est souvent plongée malgré elle dans le feu de l'action, se retrouve face à des ennemis/aliens qui ne sont en fait pas méchants, se lie d'amitié (ou pas) à un très gros cast secondaire, et l'histoire se finit toujours par l'illustration d'un message pacifique, pro-humain, pro-inaction de la part de la Docteur. Une Doc qui reste à sa place de voyageuse et n'intervient pas tant que ça. Voilà tout le propos de la saison. Cela fonctionnait très très bien dans les deux premiers épisodes introductifs, et cela fonctionnait aussi très bien dans les deux épisodes historiques de la saison (sur Rosa Parks et sur la Partition en Inde). Cela fonctionnait beaucoup moins bien sur les épisodes 4 et 5, très mal écrits...
Jodie qui efface notre souvenir des épisodes 4 et 5
Kerblam! secoue un peu la formule sur tous ces points et rassure sur la créativité de la série. Dès la super première scène, la team TARDIS vient directement pour investiguer les lieux. On retrouve ainsi la particularité de la saison de toujours découvrir un mystère à chaque épisode, à démêler le puzzle en même temps que la Doc et les compagnons, mais de façon plus assumée qu'à l'ordinaire. On sent ainsi que la saison est bien entamée et que les compagnons ne subissent plus seulement l'aventure : ils la recherchent et la réclament, tout comme les spectateurs.
Ensuite, nous aurons des "prétendus méchants" qui se révèleront ne pas être si méchants que cela, et une fois de plus les humains seront derrière l'affaire. Pourtant, les robots/androïdes sont clairement utilisés à des fins néfastes : ils capturent des employés ou les font disparaître définitivement. Dans le fond, le thème de la saison est respecté. Dans la forme, cela donne lieu à quelques plans classiques sur des méchants à combattre. À nouveau, un très bon mix entre la série old school et la nouvelle direction de la saison.
Enfin, on retrouve comme d'habitude un gros cast secondaire comme pour tous les épisodes cette saison, mais c'est tout de suite amené de façon plus progressive, plus naturelle dans le récit. Et le cast large se justifie par l'aspect "enquête" qui doit forcément offrir plusieurs suspects. Julie Hesmondhalgh, vue comme la victime principale de la saison 3 de Broadchurch (série créée et écrite par Chris Chibnall, le showrunner de cette saison de Doctor Who), incarne une DRH pro-humaine dans un monde du travail régi par l'automatisation, et son personnage au départ ambigu devient tout de suite attachant. Son patron est un peu moins mémorable mais sert surtout de fausse-piste puisqu'il est le suspect idéal. Les trois employés de l'épisode sont tous bien caractérisés : Dan, l'employé confirmé qui connaît bien toutes les règles de l'usine et que l'on veut garder le plus possible, parfaite première victime. Kira, la jeune employée candide, immédiatement attachante et parfaite victime au cœur d'un dilemme de fin. Enfin, Charlie, le maladroit discret, également très attachant et idéal coupable de fin.
Le scénario jongle entre présentation de tout ce beau monde et présentation de l'univers de Kerblam! avec le "Système" et les robots. Le tout est suffisamment bien écrit pour que l'on n'ait pas l'impression d'avoir vu cet épisode dix fois avant, alors qu'avec un déroulement aussi classique et des ennemis à l'apparence aussi générique, le risque était là. Heureusement le pitch de base est suffisamment fort et la satire sur le monde du travail du futur suffisamment intéressante pour nous saisir tout du long. Les révélations ne déçoivent pas non plus, que ce soit la découverte des coulisses de l'usine, la réponse sur qui contrôle les robots ou encore le twist sur qui est véritablement l'ennemi de l'histoire, et qui a véritablement appelé à l'aide.
Vous ne trouverez pas Yaz et Ryan sur cette image, tirée de Toy Story 2
Malheureusement Kerblam! ne dépassera pas son statut de simple épisode standalone appréciable, à cause de plusieurs défauts. Premièrement, si le scénario est malin et inventif, et que le twist sur le papier bulle est assez génial, l'épisode s'embourbe un peu trop rapidement dans du "technoblabla" pour justifier tous ses changements d'enjeux. Le robot prototype de la société fait office d'outil magique pour répondre à toutes les questions, et quelques coups de tournevis de la Doc ne suffisent pas totalement à convaincre. Deuxièmement, si l'univers de Kerblam! est très intéressant sur le papier, il l'est un peu moins dans les décors. En effet, les entrepôts et les couloirs lassent très vite. La scène d'action assez inutile sur les tapis roulants était d'ailleurs très moche et aurait gagné à être raccourcie. Enfin, l'épilogue est un petit peu rapide, dommage pour un épisode de cinquante minutes.
Ces défauts empêchent un très bon standalone de devenir un excellent standalone, mais restent donc mineurs. Le gros de l'épisode se tient bien : l'univers est cool, le pitch original, la satire sociale intéressante et la critique finale, qui a le bon goût d'être nuancée sur le capitalisme du futur, change un peu de ce qu'on a eu auparavant sur la saison. L'épisode n'a donc rien de nouveau (en saison 10, Smile et Oxygen faisaient quelque chose de similaire dans leurs conclusions par exemple, en plus ou moins bien fait) mais il offre un parfait contrepoids au reste de la saison. Jodie Whittaker enseigne donc les voies du pacifisme et arbitre des luttes entre groupes sociaux dans le passé, dans le présent et même dans le futur. À chaque fois c'est une nouvelle variation, à chaque fois on la voit en action dans un nouveau contexte. Pour l'instant, la saison est solide.
Kerblam, Kerblam et Kerblam sont dans un TARDIS...
C'est plus ou moins tout ce que j'ai à dire sur l'épisode, finalement très classique et efficace.
L'armée d'Amazon
Mais j'aimerais prendre un moment de la critique pour quelque chose qui est pour moi le seul gros problème de fond de la saison : les compagnons.
Si le cast secondaire que j'ai présenté au-dessus est aussi bien, il éclipse du coup un peu les compagnons principaux. Et c'est logique. Même si ces derniers sont bien exploités par l'histoire – au sens d'outils pour le scénario, ainsi que de répartition de temps d'écran, ce qui est déjà un gros progrès pour la saison – leurs personnages n'avancent pas d'un iota et ne gagnent pas en intérêt. Je m'explique.
- Yaz se lie d'amitié avec un employé en peu de temps, et c'est crédible. Mais même si elle est sympathique et nous a offert un très bon épisode 6 la semaine dernière, elle n'est vraiment pas si intéressante que cela et n'a toujours pas assez de matériel pour convaincre pleinement. Le fait qu'elle soit policière aurait pu être bien mieux exploité dans l'histoire, par exemple.
- Je n'aime toujours pas du tout Ryan, dont les quelques interventions cette semaine (heureusement, peu nombreuses) m'ont parfois fait sourire, mais souvent laissé de marbre. Et encore une fois, on injecte de façon artificielle son problème de coordination dans l'histoire : durant une scène de poursuite, Ryan s'arrête et prend le temps de commenter ce qu'il se passe pour rappeler à l'audience son problème avant de faire l'action qu'il redoute tant... et tout se passe sans problème. C'est lourd. On sent typiquement que cette réplique a été introduite de force par le showrunner Chris Chibnall, en plus. Dommage, car si le scénariste du jour a été bien briefé sur chaque compagnon et a su leur donner un rôle idéal à chacun (pour Ryan : son expérience d'employé sur Terre qui sert à faire progresser la Doc à deux reprises), on sent encore que ça fait très forcé.
- Graham reste le plus attachant des trois, toujours à l'aise dans le rôle de la comère à qui tout le monde peut facilement se confier. Mais ça reste juste un type normal un peu peureux, un trait qui n'apparaît pas trop dans l'épisode.
Bref. J'ai trouvé la jeune employée Kira dans cet épisode immédiatement plus attachante que n'importe lequel des trois, par exemple. J'aurais bien aimé faire un échange...
Je commence à remettre sérieusement en doute la pertinence d'avoir pris trois nouveaux compagnons d'un coup. Le fait d'en avoir trois colle certes très bien au nouveau schéma des épisodes : cela permet d'amener un cast secondaire plus large sans qu'on se sente abasourdi par trop de personnages peu familiers, cela permet de découper l'intrigue en plusieurs lieux efficacement (très utile vu que chaque histoire cette saison se présente sous la forme d'un mystère à resoudre), cela permet de décentrer le show du personnage de la Doc et de plus faire interagir cette dernière avec l'environnement et non avec son/sa compagnon unique (comme c'est souvent le cas avec les duos), etc.
Pour autant, est-ce que cette nouvelle dynamique valait le coup de sacrifier le fait de connaître vraiment un compagnon et d'avoir un personnage intéressant/complexe ?
Pour moi, non. Des teams tels que Ten/Donna, Eleven/les Ponds et Twelve/Clara commencent vraiment à me manquer, et la comparaison fait vraiment ressortir la faiblesse des liens entre Thirteen et chacun de ses compagnons. Elle répète sans cesse qu'il s'agit de ses nouveaux meilleurs amis, mais je ne le ressens pas assez. J'ai du mal à me détacher de l'idée qu'elle s'est contentée de prendre les premiers venus. Il manque ce lien spécial qui unit chaque Docteur à un compagnon. Même Bill et Nardole le possédait, et ont donc plus la carrure de compagnons de Doctor Who, et non simplement de personnages d'un drama pris à bord d'un truc qui les dépasse. Contrairement à ce que Chris Chibnall semble croire, je ne pense pas que prendre des humains inintéressants soit un meilleur modèle pour impliquer le spectateur lambda.
Si l'épisode est aussi supérieur à quasiment tous les autres cette saison, c'est notamment parce qu'il éclipse aussi bien les compagnons, et c'est un peu triste.
Kerblam! redonne confiance en la suite de la série, qui nous prouve qu'elle peut toujours fournir des épisodes futuristes originaux, créatifs, bien écrits. Ouf ! On n'aura pas une saison avec seulement des épisodes historiques comme meilleurs moments ! Quelques racourcis et quelques scènes superflues n'effacent pas les qualités de l'épisode, ni son discours intéressant et nuancé sur le monde du travail du futur. Je m'inquiète un peu à long terme de la dynamique des compagnons, dans des épisodes moins créatifs, ce défaut ressortira forcément plus...
J'ai aimé :
- Le bon rythme du début d'épisode.
- L'excellente idée du concept de Kerblam! et toute la présentation de l'univers qui suit avec (la planète et sa lune, le système employés/robots, etc.).
- Les personnages secondaires de l'épisode plus mémorables qu'à l'ordinaire.
- Le message de fin qui s'inscrit très bien dans la thématique politique de la saison tout en se différenciant de ce qui a été fait.
- Le papier bulle !
- Une satire globalement nuancée dans Doctor Who, c'est rare et donc à apprécier à sa juste valeur !
- La petite auto-dérision au début sur le titre de l'épisode (Graham qui se fout de la gueule du mot "Kerblam!" quand la Doc en parle), qui rassure un peu, le titre de l'épisode étant vachement débile comme beaucoup de titres cette saison.
Je n'ai pas aimé :
- La fin de l'épisode un peu en-dessous, l'épilogue un peu expédié.
- Le retour du côté cheap avec cette scène sur les tapis roulants très moche.
- Jodie est très bien, mais j'ai encore du mal avec les compagnons.
Ma note : 15/20
Le Coin du Fan :
Le miracle aurait-il enfin eu lieu ? Pas mal de références évidentes à la série dans cet épisode !
- La scène d'introduction nous présente bien sûr le Docteur de Jodie qui ouvre un Fez, couvre-chef préféré du Onzième Docteur incarné par Matt Smith, qui avait notamment eu un rôle assez central dans le final de la saison 5, The Big Bang. Il semblerait que le Onzième Docteur ait commandé sur Kerblam! en hors-champ !
- Lorsque la Doc et ses compagnons s'apprêtent à passer une soirée dans le placard à attendre que le manager quitte son bureau, la Doc lance le sujet de sa rencontre avec Agatha Christie et la guêpe, en référence à l'épisode de la saison 4 : The Unicorn and the Wasp, avec David Tennant, le Dixième Docteur.
- « Some of my best friends are robot! » - Bien qu'il s'agisse surtout d'une vanne, on peut voir ici une référence à certains anciens compagnons de la série : le compagnon robot Camelion, la tête de Cyberman Handles dans le dernier épisode de Matt Smith, The Time of the Doctor, ou encore et surtout : K9 le chien qui accompagnait le Docteur dans la série classique avec Tom Baker ainsi que dans la nouvelle série, où il a été adopté par Sarah Jane Smith, probablement la compagne la plus emblématique des classiques, revenue avec K9 dans School Reunion en saison 2, et plusieurs épisodes de la saison 4, sans oublier sa série spin-off.
À la semaine prochaine avec la chasse aux sorcières !