Depuis 2005, il y a eu des épisodes qui m'ont fait vibrer, d'autres qui m'ont rendu indifférent ou que j'ai haïs. Et puis il y a eu la deuxième partie de Spyfall. Et c'est là que j'ai commencé à croire que Doctor Who avait peut-être perdu son âme.
Un gros pas en avant...
Le showrunner Chris Chibnall, dit le Chris, se donne pourtant à fond. Il n'est en effet pas anodin que son Doctor Who soit parti d'une grue sur un chantier, car le Chris, il apprend, il s'améliore. Son Doctor Who est toujours incertain, et parfois (souvent même), il faut bien admettre qu'il se gourre. Mais il s'adapte, et pour sa deuxième saison, il tente donc le tout pour le tout et ose enfin quelque chose.
Il ose Doctor Who.
Car c'est vrai au fond, Chris Chibnall ne sait toujours pas écrire de la science-fiction.
Par exemple, ici certains concepts sont bons. Mais chaque concept qu'il utilise n'est jamais autre chose qu'un prétexte. Et c'est donc véritablement frustrant car chaque idée aurait pu donner un épisode mais ces idées ne servent que de fonction narrative et ça se voit. En soi c'est quand même comme ça que Chris Chibnall donne de l'ampleur à son épisode, et mieux, c'est comme ça aussi qu'il donne enfin de l'ampleur à sa Docteur. Et c'est sans doute la première fois qu'il y arrive depuis The Woman Who Fell to Earth.
Mais ça reste frustrant, très frustrant. Surtout quand on voit le potentiel qu'il y avait dans chaque storyline. À croire que le meilleur de Chris Chibnall ne sera toujours qu'une sorte d'entre-deux.
Mais tant pis, il n'aura suffi ici que d'une sorte de blockbuster et d'un méchant bien connu pour révéler certaines des facettes les plus intéressantes du personnage de la Treizième Docteur. Alors bien sûr, c'est plus révélateur des lacunes de la saison 11 que des qualités du script. Mais le Chris sait faire confiance à son actrice. Et en capitalisant sur l'alchimie du duo Dhawan/Whittaker, il parvient à réinsuffler au personnage de la Docteur plus de gravité et une certaine tristesse et on voit enfin derrière le sourire et les bavardages de Jodie la relation profonde qui la lie à ses compagnons et à son passé. C'est basique, ça a déjà été fait. Mais c'est ce qu'il fallait.
Car au fond c'est vrai, ce sentiment de déjà-fait, il imprime toute la deuxième partie de Spyfall. L'épisode agit comme la synthèse de onze saisons.
On sent en fait que Chris Chibnall n'a pas conçu ses épisodes jusqu'à présent comme une pause, mais comme la première étape d'autre chose. En 2018, il avait fait de la saison 11 onze portes d'entrées (toutes plus ou moins réussies). Maintenant ce sont toutes les bases de la mythologie du show qu'il réintroduit dans un seul épisode (le Master, le Timey-Wimey, Gallifrey). Et pire (ou mieux), il appuie sur le bouton "reset".
Moffat avait en effet terminé son ère sur The Doctor Falls.
Ce n'était pas que l'aboutissement d'une saison. Ni même l'aboutissement d'un showrunner. The Doctor Falls, c'était l'aboutissement de toute la série.
En 2020 on a Spyfall.
Et c'est peut-être l'épisode qui enterre définitivement toute une époque, car enfin Chris Chibnall assume un changement radical. Enfin Chris Chibnall assume ce qu'il a promis deux ans plus tôt : de l'audace et du risque.
Un "Chibnall-master-plan" du coup, très bien. Mais tout ça pour aboutir à quoi ?
... dix pas en arrière...
Car de l'enthousiasme et de l'ambition, c'est bien. Mais Doctor Who, c'est aussi et surtout un autre monde possible. Le Docteur n'est pas que le héros ou l'héroïne d'une série de science-fiction. Le Docteur est un projet utopique.
I'm not doing this because I want to beat someone, or because I hate someone, or because, because I want to blame someone. It's not because it's fun and God knows it's not because it's easy. It's not even because it works, because it hardly ever does. I do what I do, because it's right! Because it's decent! And above all, it's kind. It's just that. Just kind. - The Doctor, The Doctor Falls
Et la façon dont il agit et se bat a donc un sens. Car le Docteur est une idée et soutient dans sa façon de faire un discours ou un propos. L'ère Capaldi reposait sur l'apprentissage de la bonté. L'ère Whittaker, c'est l'espoir. Car certes, le monde que dépeint Chris Chibnall est très sombre. C'est un monde où le racisme, le sexisme, ou même le fanatisme en général n'ont jamais été aussi puissants. Mais il veut donc faire ressortir dans le pouvoir des gens ordinaires (Rosa Parks, Prem, Noor Inayat Khan) un monde plus juste et libre. Car l'espoir en fait pour Chibnall, ce sont les gens.
Noor Inayat Khan : "The fascists, do they win?"
The Doctor : "Never, not while there are people like you!"
Depuis sa première apparition, la Treizième Docteur rassemble donc le meilleur de l'Humanité dans son combat contre le racisme (Rosa, Resolution), l'extrémisme (Demons of the Punjab, Kerblam!), ou même le sexisme (ici le Maître peut incarner une forme de masculinité toxique). Mais pour quel projet du coup ?
Et c'est là que le Doctor Who de Chris Chibnall devient cynique.
Car l'espoir est vain.
Le Chris n'a jamais su en effet concrétiser dans la Docteur de Jodie Whittaker une pratique morale cohérente. Elle est adorable, sincère, attachante. Mais quand elle s'allie à une résistante pour livrer son pire ennemi/meilleur ami aux nazis, comment peut-on voir dans sa façon d'agir un monde un peu meilleur ?
Le Doctor Who de Chris Chibnall en fait est involontairement déprimant. Il y a dans cet épisode plus de fun, d'ampleur dramatique, et d'action.
Mais la série n'a jamais été à ce point vide de sens.
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Comme pour la partie 1, Chris Chibnall appuie enfin sur l'accélérateur et Jodie peut se donner à fond. Mais bizarrement il y a moins de magie. Car Spyfall au fond, c'est vrai, n'est pas la mort de Doctor Who. Au contraire, la série change. Mais je crois que cette fois c'est pour de bon. La série a perdu une partie de son âme.
J'ai aimé :
- Le jeu d'acteur de Jodie Whittaker et son alchimie avec Sacha Dhawan.
- L'ampleur des enjeux.
- L'ambiance mélancolique de la fin de l'épisode.
- Le meilleur de Chris.
Je n'ai pas aimé :
- De bons monstres réduits à des soldats.
- De bons personnages historiques réduits à des prétextes narratifs.
- Le cynisme et l'absence de morale.
- Le pire de Chris.
Ma note : 12/20
Le Coin du Fan :
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Chris Chibnall reprend beaucoup d'idées de ses prédecesseurs. Que ce soit le "timey-wimey" à la Steven Moffat pour résoudre son cliff, le "say my name" tout droit sorti de The Sound of Drums... L'épisode assume en fait jusqu'au bout son côté best-of. Pour le meilleur. Ou pour le pire.
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Mais l'une des meilleures idées que Chris a eue cette semaine, c'est reprendre le roulement de tambours de la saison 3 sous forme d'un code radio. C'est bien mis en scène, puis c'est en plus un petit clin d'oeil sympa à RTD.
- Et toujours plus loin dans le passé du show, Chibnall reprend aussi le fameux "Contact !" des Seigneurs du Temps, qu'on peut retrouver par exemple dans The Three Doctors (1973). C'est un mode de communication plus efficace que le téléphone, mais un peu plus chelou. En tout cas un grand classique. (Et on retrouve dans la même veine le Docteur qui peut effacer les souvenirs.)
- Enfin, cette semaine on trouve dans l'épisode quelques petites piques très méta, que ce soit quand la Doc' taquine le Maître ("You're not the only one who can do classic"), ou quand le Maître se demande s'il s'est excusé pour "Jodrell Bank" (car en effet dans Logopolis en 1981, Le Maître avait poussé du haut d'une antenne le Quatrième Docteur) Chibnall fait donc beaucoup de références aux classiques cette semaine...
- ... et c'est d'autant plus pertinent que la saison 12 rouvre l'arc du Timeless Child, qui devrait un peu plus permettre d'explorer le passé de Gallifrey et la mythologie autour du Docteur. (Le Timeless Child = Nardole ?)
- Petite pensée enfin pour Gallifrey (qui a d'ailleurs eu sa première mention dans toute l'ère Chibnall), petit ange (encore) parti trop tôt !
À la semaine prochaine où la Doc prend des vacances, mais pas nous !