Devenir.

Si la série était un thriller, cet épisode serait celui des révélations, celui où les masques tombent et où le personnage articule ce qu'il pense réellement — ce qui permet de changer beaucoup de choses pour le/la spectateur.trice.

Déjà, comme Lenù, on reste pantois devant tant de changements et on a surtout l'impression d'être dans un monde à l'envers. Cette impression d'être perdue et ne plus retrouver ce qu'on a connu. De voir que tout le monde se réunit autour d'un déjeuner avec les Solara comme si de rien n'était, de voir ses parents pas le moins du monde bouleversés par le fait que leur dernière fille habite avec l'un deux, Lila qui se pointe comme si de rien n'était, Pietro qui effectivement n'écoute pas sa femme et minimise ses propos, Enzo toujours silencieux et la mère Solara, figure autrefois terrifiante pour les deux petites filles, en matriarche de ce déjeuner en tous points hors-normes. La tension est incroyable et dans tout ce bazar, seules Elena et Gigliola semblent rester fidèles à elles-mêmes.

La relation entre Lenù et Lila peut être résumée dans cet épisode. Les regards d'Elena que Lila ne veut pas soutenir et évite, même. Malgré leur dispute au téléphone, elles ne tiennent jamais de rancœur ; si Lila se comporte ainsi, c'est qu'elle sait très bien ce que pense son amie de la situation. Il y a ensuite Pietro qui donne son avis et qui met le doigt sur toute la complexité et l'ambiguité de leur relation : "Elle te déteste... ou alors je n'ai rien compris ni à Lila, ni à toi." Ce à quoi elle répond : "Ne critique plus jamais mon amie." (tout en rêvant deux heures plus tard qu'elle lui fait littéralement manger son livre, quand même). Si la description de Lila par Pietro est assez fidèle, elle ne prend en revanche pas en compte les sentiments et l'intimité qu'elles partagent. C'est ce qu'on appelle... une relation toxique. Ou alors, une relation que personne ne peut comprendre. Peut-être bien les deux, d'ailleurs.

Enfin, il y a cette dernière partie où Elena va voir Lila dans son nouveau travail. Le temps de l'usine est révolu ! Ici, Lila commande, de manière autoritaire, et semble satisfaite de sa position (même si elle s'ennuie, quelle surprise !). Et là va se dérouler le moment le plus profond de la série : l'annonce du retour de Nino qui fait vriller Elena... Sauf que cette fois-ci, elle s'en rend compte. Et c'est beau. Le câlin qu'elle donne à Lila, le regard qu'elle partage, et la voix off qui explique, enfin, tout : "Je ne m'aimais pas. Je ne m'aimais pas du tout." Cette façon qu'elle a de rejeter Lila, de ne pas vraiment l'accepter comme elle est, par frustration, par jalousie, par manque de contrôle. Cette promesse qu'elle se fait, de Devenir, pour elle et pas pour Lila, comme ce fut le cas autrefois. Elena a toujours tellement eu peur que Lila la laisse, qu'elle devienne quelqu'un de plus important, qu'elle a toujours tout fait pour garder le niveau, tenir le cap, ne jamais se laisser distancer. C'est très très beau/triste, et ça fait du bien de voir Elena réaliser tout ça.

Ce que j'admire dans cette série (encore une chose, oui), c'est qu'elle respecte à fond le point de vue d'Elena. Là où se serait tentant d'adopter une omniscience pour montrer que Lila tient à Elena, pour essayer de voir et de comprendre ce qui se passe dans sa tête, pour romancer un peu l'ensemble, le scénario s'en tient toujours strictement à Elena, sa narration (des décennies plus tard) et le présent tel qu'elle le voit, même quand ce n'est pas très beau. Ça garde toujours l'aspect énigmatique de Lila, tout en racontant son histoire à elle aussi et ça rend leur relation on ne peut plus authentique. Trop d'émotions !