Avis sur les séries
Avis sur les saisons
Avis sur les épisodes
"We can get through twenty minutes of anything."
Better Call Saul a disparu. Plus rien de cette série n'existe désormais à l'écran. Chuck, Lalo, Nacho, Howard et même HHM, tout est voué à disparaître de l'écran dans un vaste mouvement d'autodestruction comme savent si bien les orchestrer Peter Gould et Vince Gilligan. Jimmy et Kim, comme Walter dans la série-mère, auront entraîné la perte de toute un système pour leur simple plaisir (le "I was having too much fun" de Kim n'est pas sans rappeler le déchirant "I did it for me, I liked it. I was good at it" de Walter à Skyler dans Felina) et il aura fallu 20 minutes pour finalement concrétiser une transition qui nous semblait improbable pendant 5 saisons et demi.
Et lorsque le Saul Goodman de Breaking Bad nous apparaît enfin dans tout son hubris bigarré, il ne nous prête plus vraiment à rire tant il n'est plus que l'ombre sinistre d'un homme qui a tout perdu et tente de se convaincre du contraire, jusque dans cette phrase finale tristement programmatique qu'il a empruntée à son frère (mais s'en souvient-il seulement ?) : "Let justice be done though the heavens fall".
C'est un travail d'orfèvre, qui offre le point de chute idéal à chaque personnage (les scènes finales de Mike et Gus sont parfaites, et je prie pour qu'il s'agisse de leur dernière apparition tant elles me semblent être la plus belle conclusion qu'on pouvait apporter aux personnages) à quatre épisodes de la fin de la série. Alors, certes, il reste à résoudre l'intrigue "temps présent" de Saul, à recroiser quelques visages du passé, à préciser le sort de Kim évidemment, mais Better Call Saul est terminé, et je ne peux qu'admirer la rigueur et l'intelligence de ce spin-off qui est parvenu à être à la fois toujours prévisible (car cohérent avec Breaking Bad) mais aussi constamment surprenant dans sa façon de se construire, de refuser la péripétie facile au profit d'un très beau travail sur ses personnages.
C'est un peu la dernière pièce du puzzle (celui de Kim, bien joué les gars !) qui donne l'image complète des 2 séries et de la vision de leurs créateurs. La vie dans la norme est déprimante, mais dès qu'on quitte le chemin balisé on prend le risque de sombrer et de ne jamais pouvoir revenir. C'est toute la force de ce croisement entre Kim et Jesse, deux nobles âmes qui ont/vont côtoyé/er l'abysse d'un peu trop près et y disparaître pour toujours. Dans notre triste présent en noir et blanc, Jesse Pinkman n'existe plus et Kim Wexler, promise à un grand destin d'avocate à la tête d'HHM, est devenue une poupée désarticulée qui se refuse à prendre la moindre initiative de peur que son passé la rattrape (et ne parlons même pas de Mike remplacé par une borne automatique, assurément LE détail le plus tragique de l'épisode pour moi).
Reste désormais à savoir quel chemin sera emprunté dans le final. Breaking Bad avait offert une illusion de rédemption à Walter en le laissant jouer le héros une dernière fois face à pire que lui. Malheureusement, rien de tel ne sauvera Gene aux yeux du spectateur, abominable personnage qui hésite à tuer une vieille femme pour repousser une échéance inéluctable qu'il a lui-même provoquée... Il n'y a plus de Gus, plus de Lalo, plus de Walter White, plus de néo-nazis pour incarner la figure du mal, juste le grande vide grisâtre d'une errance sans but pour Jimmy et d'une rédemption impossible pour Kim.
Alors comment conclure ce qui est déjà terminé, quel ultime discours apporter sur un constat aussi sinistre ?
« The way I see it is somebody’s going to prison. It’s just a matter of who. »
(Saul Goodman à Walter et Jesse dans l’épisode « Better Call Saul »)
Better Call Saul se termine dans une grande cohérence, avec panache et pudeur. Une fin de série parfaite pour un spin-off qui a débuté comme une étrange petite anomalie absurde et a progressivement dévoilé ses atouts pour proposer une oeuvre qui fera date dans l’histoire de la télévision. Car ce qui restera de Better Call Saul, ce n’est pas sa filiation avec Breaking Bad (BCS ayant bien trop souvent joué avec les attentes des spectateurs pour mieux les frustrer au jeu des références et des cameos), ni l’incroyable richesse psychologique de ses personnages principaux. La série marquera les esprits pour son travail de la narration par l’image, sa capacité à en révéler souvent bien plus par un cadrage, une lumière, un focus sur un objet et un mouvement de caméra que la quasi totalité des séries que j’ai vues.
Car elle est là, la grande intelligence de cette série, qui aura toujours privilégié le sens de l’image que celle de ses dialogues, souvent vains, mensongers, trompeurs, biaisés, au sein desquels un « I love you » ne se dit qu’au moment de la rupture. L’image, elle, ne trompe pas. Jimmy ne répondra jamais sincèrement à la question sur la machine à remonter le temps. Mais il aura gardé toute sa vie, jusqu’à sa fuite d’Albuquerque, ce livre qui appartenait à son frère et que celui-ci lui lisait sans doute plus jeune avant de dormir (comme on le voyait avec « Les aventures de Mabel » en saison 3), et cela en dit bien plus sur le personnage que n’importe quel dialogue.
Il faut donc accepter que ce personnage nous échappe, quitte le cadre, dans ce plan final parfait qui nous rappelle que malgré tout l’attachement que nous avons pour Jimmy, malgré la rédemption de Saul dans ses derniers instants, ce personnage doit désormais accepter de disparaître, d’échapper à sa propre légende pour le bien de tous. On pourrait y voir une réponse à la conclusion de Walter White, iconisé jusque dans ses derniers instants sur fond de « Baby Blue », nous demandant un dernier élan d’empathie pour un personnage génial mais détestable qui n’aura cessé de provoquer le chaos autour de lui.
Des 3 issues proposées par les oeuvres du BreakingBadVerse, celle de Saul est donc assurément la plus mature, la plus radicale, la plus émouvante. Il va être difficile d’accepter désormais que tout cela est terminé, que nous ne disposons pas de machine à remonter le temps pour revivre encore et encore cette incroyable histoire, mais que nous sommes condamnés à les revivre en connaissant la fin, comme Gene devant ses vieilles VHS...
Le casting est très très bon, Dylan Moran en tête.
On est vraiment dans la quintessence de la sitcom anglaise, méchante et délicieusement absurde. Y'a même Martin Freeman qui passe faire coucou.