Après l’épisode de la semaine dernière ô combien bruyant et riche en questions qui nous brûlent toujours les lèvres, on se doutait bien que la suite allait être bien moins impressionnante. La question était : à quel point ?
Manque de bol, cet épisode purement standalone est banal, moyen, voire médiocre. C’est très décevant après un regain d’intérêt certain pour la saison. Mais est-ce la faute de Praxeus s’il est positionné en sixième position dans la saison, en sandwich entre un excellent épisode et la fin de saison qui s’annonce plus intéressante ? Non... mais c’est un peu sa faute pour ne pas nous subjuguer totalement non plus, car il est loin d’être exempt de défauts. Au final, il est très difficile de démêler les vrais problèmes de l’épisode, des défauts liés à la saison et sa construction. Je dirais même que Praxeus est un des épisodes les plus difficiles à appréhender "à chaud" jusqu’à maintenant.
Essayons tout de même de décortiquer cette nouvelle histoire de Who.
"Look at you going off on your own and not getting killed!"
Je vais m’efforcer tout au long de cette brève* critique, de rester vraiment focus sur l’épisode et de ne pas étaler ma déception à l’idée de revenir à du 100 % standalone. Après tout, j'ai été un peu naïf d'espérer autre chose. Cela a toujours été la formule de la série, et aucune saison sans exception ne peut se vanter de ne pas pouvoir switcher de place deux épisodes. La rumeur dit d’ailleurs que Praxeus a échangé sa place avec Fugitive of the Judoons et était à la base numéro 5.
On se retrouve donc avec une aventure classique de chez classique pour l’ère de Jodie Whitaker. Il y a vraiment peu de choses à signaler. On a du dialogue parfois assez marrant, parfois assez grincement de dents pour la treizième Docteur. On sent que l’écriture veut parfois trop imiter les incarnations de David Tennant et Matt Smith. Parfois ça marche (le running-gag du "chat qui parle" m’a fait sourire), parfois… :
Oh, hang on, I'm having half a thought. Ooooh ... this one tickles.
Traduction : Oh, attendez, je suis en train d’avoir une moitié de pensée… oh, elle chatouille celle-là.
… oui bon, passons.
Parlons toujours de la chose qui fâche : les compagnons.
Toujours aussi insipides, Ryan et Graham n’évoluent pas d’un pouce cette saison, leur arc étant vraiment fini depuis Resolution. Graham est toujours le comique de service qui fonctionne relativement bien, mais quitte à avoir un papi blagueur, Nardole était cent fois plus réussi dans sa dimension trollesque. Ryan quant à lui est toujours aussi plat et inintéressant. Le fait est qu’il est possible d’avoir des compagnons humains "normaux" et "lambdas" sans les rendre ennuyeux et mal écrits. Amy, Clara ou Donna ne sont certes pas des personnes qu’on rencontre tous les jours dans un coin de rue, c’est vrai. Mais des personnages comme Rose, Jackie, Martha, Rory ou Bill ont prouvé par le passé que les showrunners Russell T. Davies et Steven Moffat arrivaient à créer des compagnons très "simples" et pourtant cent fois plus attachants et intéressants que le trio de l’enfer.
Pour une fois, c’est Yaz qui a un arc à elle dans l’épisode. Je crois qu’on commence à lui donner un semblant de personnalité. À ce stade si tardif, je ne sais pas si je dois trouver cela enfin encourageant, ou au contraire pitoyable. La façon dont elle """tient tête""" (comptez bien les guillemets) à Thirteen, et sa déception de ne pas "découvrir elle-même une planète", fait littéralement penser à une Clara Oswald du pauvre (sans tout le développement qu’il y avait derrière). Yaz est-elle en train de passer d'une jeune émerveillée et impressionnable, à une exploratrice imprudente qui va se rebeller contre la Doc ou chercher à devenir comme elle ? Ok, mais pourquoi lancer une idée à cinq épisodes de la fin du personnage (on l’espère…) ? Franchement, je ne vois pas trop où ils veulent en venir.
Sur bien des points, cet épisode semble être un rejeton de la saison 11. Plus particulièrement, un rejeton qui a traversé l’enfer de l’épisode 3 de cette saison – Orphan 55 – et n'en est pas ressorti indemne. On a de nouveau un casting beaucoup trop rempli et inégal. D’un côté, on a Adam et Jake, le couple du policier insensible et bourrin, avec l’astronaute cynique et optimiste, qui permettent de nous introduire la maladie "Praxeus" et de nous donner un enjeu et une solution. Le climax de l’épisode est relativement efficace uniquement parce que les deux z’amoureux sont attachants. Le petit dialogue entre Jake et Graham, qui fait subtilement référence à Grace, était bien joué de la part de Bradley Walsh.
Jake: Do you have any idea how hard it is being married to someone that impressive?
Graham: ...
Et puis enfin, voir le scénariste Chris Chibnall tenter d'éviter de tomber dans le cliché du "Bury Your Gays" avec un sauvetage in extremis de Jake, c’était finalement assez marrant. Bref, Adam et Jake étaient un duo pas trop mal, avec deux acteurs corrects, qui auraient amplement suffi pour soutenir la Doc et sa fam’... Voire la Doc tout court, car une fois n’est pas coutume, on a encore un épisode où les personnages secondaires ont totalement éclipsé les deux tiers des compagnons principaux. Un peu comme Spyfall, ou Kerblam! l’an dernier (écrits par le même scénariste que Praxeus, Pete McTighe, champion des titres d’épisode bizarres vous l'aurez compris).
De l’autre côté, on a la palme du personnage secondaire le plus insupportable depuis des lustres : Gabriella, cette instagrammeuse populaire qui voit sa meilleure amie mourir sous ses yeux avant de s’en battre profondément les reins cinquante minutes plus tard. Elle ne sert strictement à rien, c’est prodigieux. J’ai bien peur que la fin qui annonce son possible retour, puisse devenir réalité. Quelle horreur de personnage...
Pour finir, le duo de scientifiques à Madagascar est fortement oubliable. On a d’un côté un figurant que tout le monde laisse tranquillement crever sur la plage, et de l’autre la scientifique qui était au cœur de tout ça :o :o :o. Bon, je suis mauvaise langue car j’ai trouvé le rebondissement plutôt bien vu sur le papier, mais ses justifications sont assez expédiées. Il aurait été plus judicieux de passer plus de temps à développer son espèce. En sacrifiant les scènes avec Gabriella (au hasard) ça aurait été possible.
Bref, Chris Chibnall ne comprend toujours pas qu’avec une team TARDIS de quatre personnages, pas besoin de doubler le nombre de personnages secondaires à chaque épisode. C’est absolument infernal bordel ! Et tant qu’il ne capte pas cette notion pourtant élémentaire, on continuera d’enchaîner des épisodes à la fois lents et bâclés. Un vrai bel exploit.
"You're poisoning yourselves as well as your planet."
C’est dommage, car il y a tout de même pas mal de qualités à l’épisode. Le design de la maladie "Praxeus" est très bien fait et les morts réduits en poussière sont assez déconcertants (un effet spécial assez réussi). J'aime le fait que grâce à la bonne transition de l'épisode précédent, on entre directement dans le vif du sujet puisque la team TARDIS est déjà en train d'enquêter, ce qui accélère bien l'histoire et renforce naturellement l'urgence de la situation. Même si je trouve qu'il y a trop de personnages, comme toujours, il faut avouer qu'ils sont plutôt bien gérés, puisque les compagnons sont séparés aux quatre coins du globe et sont bien mis à profit de l'intrigue, comme dans Kerblam!. L'aspect "impact international" est aussi pertinent. Voir à la fois le Pérou, Madagascar et le Japon, ça nous change quand même des mille et une provinces britanniques auxquelles la série nous a habitués par le passé. À défaut d’avoir beaucoup de planètes et lieux aliens cette saison (cf. le Coin du Fan), Doctor Who varie les continents, d’abord avec Spyfall, maintenant ici. C'est très appréciable.
Le scénario possède donc quelques bonnes idées éparpillées, même si l’épisode ne prend pas assez son temps pour nous poser ses enjeux.
Pour ce qui est du message "politique" de l’épisode, je l’ai trouvé relativement pertinent. Dans un Doctor Who mis à mal par Orphan 55 (je cite beaucoup trop cet épisode dans mes critiques), je crois que nous sommes tous un peu sous le choc et prêts à dénigrer immédiatement toute nouvelle tentative de parler environnement. Mais au fond, Praxeus est tout à fait crédible sur ce point. Bien qu’il ne soit pas extrêmement subtil, rappelons que la série ne l’a jamais vraiment été. Et vu les têtes de mules qui existent sur la question du changement climatique, le manque de subtilité n’est pas vraiment un problème en soi – ce n’est pas parce qu’Orphan 55 est peu subtil qu’il est devenu l’épisode le plus détesté de la série, c’est parce qu’il est moralisateur, ce qui n’est pas la même chose. Et Praxeus évite ce piège.
Quand il a ramené Doctor Who sur les écrans en 2005, le showrunner Russell T. Davies (RTD pour les intimes) faisait la même chose. La première saison n’a pas hésité à faire dire clairement à son protagoniste : "Vous les humains, vous passez votre temps à regarder la télé au lieu de régler les injustices du monde" (en gros). Personne ne s’était plaint du culot de la série à l’époque. La situation est la même en 2020. Tout ça pour dire que certes, la Docteur évoque bien à deux ou trois reprises que la planète est "pleine de plastique", mais elle ne va jamais se tourner vers ses compagnons ou vers l’audience pour commencer un discours moralisateur. C’est juste la situation telle qu’elle est.
Du coup, je dois dire que l’idée d’une invasion alienne à travers le plastique des humains pour répandre un virus, c'est très ingénieux. C’est littéralement de la science-fiction injectée dans notre monde avec un message à faire passer derrière, et c’est tout le but de la SF. Idem, on insiste (rapidement) sur l’existence de cinq gyres de plastique actuellement sur Terre, des "tourbillons massifs" dont la surface est entièrement recouverte de déchets. Et bien cela m’a vraiment faire apprendre un truc (je ne savais pas ce qu’était un "gyre" avant cet épisode). J’évoquais dans ma critique de l’épisode 4 sur l’épisode de Nikola Tesla, que Doctor Who gagnerait beaucoup à traiter ses épisodes "futuristes" de la même façon qu’elle traite ses épisodes historiques : avec des messages politiques simples mais sobres et marquants. J’oserai presque dire qu’avec ses dialogues sur les gyres ou les maladies, Praxeus est l’épisode qui se rapproche le plus de ce que je souhaite à l’heure actuelle.
Ne crions pas victoire trop vite cela dit. Il reste encore pas mal d’obstacles d’ici la fin de saison. Mais je maintiens malgré tout une chose : Chris Chibnall qui a donné un vrai thème directeur à toute son ère, c’est plutôt pas mal. On sent d’ailleurs que le personnage de Thirteen, après avoir parlé un peu plus à cœur ouvert avec ses compagnons, est un peu plus enjouée et relax dans cet épisode qu’elle ne l’était dans le reste de la saison (notamment dans l'épisode-dont-je-vais-arrêter-de-dire-le-nom), ce qui doit aussi aider à faire passer la pilule sur le reste. Praxeus essaye même tant bien que mal de donner un rôle au plus gros boulet du trio des boulets, Yaz. Preuve que l’épisode essaye de ne pas trop payer le prix des casseroles qu’il traîne. Difficile de trop lui en vouloir pour ma part.
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Praxeus est un épisode très symptomatique de cette ère actuelle de Doctor Who. Oscillant entre le malin et le gênant, le "lever d’yeux au ciel" et le "ah ok, j’ai appris un truc", le personnage secondaire attachant et celui qui donne des envies de meurtre, la conclusion mignonne satisfaisante mais le sentiment qu’on aurait pu en voir beaucoup plus… Praxeus ne convainc qu’à moitié. Parasité par le souvenir du message environnemental similaire et horriblement mal traité de l’autre standalone "futuriste" de la saison, et piégé entre des épisodes plus mémorables que lui, Praxeus tombe plus au mauvais moment qu’autre chose, mais reste malgré tout assez divertissant et intéressant, quoique oubliable.
Diagnostic : test de contamination positif, mais le patient est non contagieux et donc, inoffensif.
J’ai aimé :
- Une variété internationale dans les décors.
- Un concept d’invasion alienne par le plastique convaincant.
- Une dimension environnementale simple et instructive.
- L’effet visuel très déconcertant de la contamination.
- Le couple mignon.
- Yaz existe enfin ?!
- De bonnes idées dans l'histoire et le dynamisme du récit.
Je n’ai pas aimé :
- Gabriella, ce personnage tête à claque au possible.
- La motivation de la "méchante" et la résolution sont bâclées.
- Des compagnons toujours aussi transparents.
- Le côté rejeton d’Orphan 55 n’est pas très vendeur.
- Un épisode 100 % standalone qui passe après un épisode 100 % fil rouge, c’est décevant.
Ma note : difficile à dire, tant cela pourrait varier. Actuellement, entre 10 et 13 ? J’ai beau avoir essayé de ne pas penser au reste de la saison tout au long de ma critique, je me rends compte que mes trois derniers "points négatifs" juste au-dessus sont littéralement des reproches qui n’ont rien à voir avec l’épisode en lui-même...
Je dois quand même avouer que, là où je trouvais le bashing de l'épisode 3 justifié, Praxeus s’en prend beaucoup dans la tête sans trop de raison alors qu’il a certains points très réussis à mon sens. Allez, j'étais parti pour 11 mais on statue sur un 12/20 pour le moment.
Le Coin du Fan :
- Quand Thirteen comprend le lien avec le plastique, elle pense à de possibles ennemis derrière tout cela et évoque les "Autons", des ennemis très courants sous l'ère de Pertwee (le troisième Docteur) et qui apparaissent uniquement à deux reprises dans la nouvelle série : dans le pilote Rose (qui avait donc déjà un message très "anti-plastique"), et dans The Pandorica Opens.
En espérant ne jamais te revoir...
- Je n'ai vu aucune autre référence. Je vous propose donc deux anecdotes de production (décidément, même dans le Coin du Fan, je ne juge pas vraiment Praxeus pour ce qu'il est mais pour sa place dans la série !).
- Voici la première : on est effectivement en train de battre un record d’histoires terrestres consécutives, avec maintenant sept épisodes d’affilée (depuis le spécial de l'an dernier) sans aucun environnement alien à l’horizon. Le final va sûrement rattraper tout cela, cela dit.
- Autre record battu : le pourcentage d'épisodes d'une saison écrits par un même scénariste, Chris Chibnall. On pensait qu'en saison 12, il aurait moins de scripts. Finalement, avec sa co-écriture officielle pour les épisodes 5, 6, 7 et 8, sur les dix épisodes de la saison 12, 80 % sont écrits ou co-écrits par Chibnall !
- Un autre record en vue ? Celui du nombre d'épisodes d'affilée crédités au nom d'un seul scénariste. Chris Chibnall a enchaîné cette année six productions. À supposer qu'il écrive également le spécial de l'année et la reprise de la saison prochaine (ce qui est quasi sûr), cela fera huit épisodes d'affilée. Le record actuel est tenu par Russell T. Davies, showrunner de 2005 à 2010 sur les quatre premières saisons, qui avait écrit ou co-écrit tous les épisodes de Midnight à The End of Time (2), pour un total de neuf épisodes. Chibnall n'est plus très loin !
- On en parle peu voire jamais sur le site, mais il existe en Angleterre un système de notation du public, l'Appreciation Index (ou AI). L'audience vote sur une échelle de 10 et l'agrégation donne une note sur 100. Le plus gros AI de la série est celui du final de la saison 4, puisque les deux épisodes avaient eu 91. Sans compter les deux premiers épisodes de la série, avec 76, Love and Monsters reste à ce jour le plus "détesté" par l'audience anglaise du direct. Le fameux Orphan 55 a obtenu 77. Et l'épisode qui complète ce podium du flop est... Praxeus, avec 78. La même note que Sleep No More. À noter qu'avec Praxeus, l'ère de Jodie Whitaker comporte maintenant cinq épisodes qui sont descendus sous le seuil du 80... Pour relativiser tout cela, rappelons tout de même que l'épisode le mieux noté sur Série-All, Heaven Sent, fait partie des dix pires AI de la série avec seulement 80.
À la semaine prochaine avec un véritable cauchemar… littéralement seulement, on l’espère.
*Je vous avais annoncé une critique brève, disons qu'elle était plus brève que d'habitude !