Can You Hear Me? est le dernier épisode en date de Doctor Who qui remplit un rôle qu’on n’avait pas eu dans la série depuis très longtemps : celui de l’épisode expérimental. À la manière du grotesque Love and Monsters, du chef-d’œuvre Blink, des ovnis Sleep No More et Heaven Sent, Can You Hear Me? n’est pas un épisode qui rentre dans les cases habituelles de Doctor Who. Et par définition, il va être amené à diviser son audience...
Jusque là, l’épisode qui s’en rapprochait le plus sous l’ère de Jodie Whitaker était It Takes You Away la saison dernière (vous savez, la grenouille !). Un épisode que je n’arrive toujours pas à juger. Mais ce dernier restait régi par quelques règles dans Doctor Who bien connues. Avec Can You Hear Me?, on sent dès le début qu’on a affaire à quelque chose de différent. J’étais très curieux de voir quand le showrunner Chris Chibnall allait enfin expérimenter un peu hors de sa zone de confort en termes de format. Je suis ravi de voir que la saison 12 continue à dépasser mes attentes sur tous ces points !
"Sleep is when they come."
Sur bien des aspects, l’épisode rappelle le pitch des histoires les plus créatives comme Amy’s Choice et son énigme des rêves, ou bien sûr Listen. Il est d’ailleurs amusant de constater que les deux titres, "Listen" et "Can You Hear Me?" semblent se répondre. On voit sans difficulté que ces épisodes abordent tous les deux des thèmes vaguement similaires avec une approche pourtant complètement différente, rien qu’avec leurs titres : l’un étant une courte injonction, l’autre une question. Tout deux pouvant prendre plein de sens différents, même après avoir vu leur épisode. Pour Can You Hear Me?, cela fait écho à la fois à un côté un peu "comptine enfantine horrifique" qui fait tout de suite penser à un épisode tourné vers l’horreur et l’inquiétant, mais c’est aussi la phrase d’un appel à l’aide de n’importe qui se sentant isolé ou rejeté, même si cela ne se manifeste pas toujours de la même façon pour tout le monde. Et ce sujet du rejet, de l’isolement, c’est ce que l’histoire onirique va s’attacher à montrer brillamment.
Sans comparer Can You Hear Me? directement avec Listen (toujours à l’heure actuelle mon épisode préféré de la série), on retrouve cette idée d’exploiter les cauchemars et l’inconnu pour évoquer un message plus grand. Steven Moffat et Listen s’en servait de façon horrifique et poétique, maniant les concepts avec une plume inégalée pour changer notre perception du personnage principal de la série sans jamais vraiment répondre définitivement à toutes ses questions. Chris Chibnall exploite le concept de façon tout aussi imagée et métaphorique, avec certes moins d’"intelligence, mais de façon beaucoup plus réaliste, dure et humaine. Ce n’est pas nouveau, c’est tout le but de son Doctor Who. Bienvenue dans le Doctor Who abordant la dépression, le suicide et les questions de santé mentale en général.
Dès sa première scène, l’épisode nous donne tout ce qu’on a besoin de savoir pour le comprendre, sans qu’on ne s’en rende compte. Les dialogues sont écrits dans ce sens, avec par exemple ce passage de la patiente syrienne Tahira qui évoque à la fois le bien-être psychologique, le bonheur et le "jeu" au détriment d’autrui, des concepts qui traverseront tout l’épisode :
Tahira: You tell me creating happiness is important to my mental wellbeing. A game like this makes me happy.
Une partie de l’épisode se déroule en effet à Alep (Aleppo en anglais), capitale de la Syrie. Le show n’avait pas revisité le Moyen-Orient à ma connaissance depuis The Crusade en… 1965, avec le premier Docteur. Même si c’est une petite partie de l’épisode, Doctor Who parvient encore à placer des éléments éducatifs : les scientifiques islamiques étaient apparemment très en avance sur leur temps en termes de santé mentale et Alep est le lieu d’un des premiers hôpitaux psychiatriques de l’histoire. La petite pointe d’éducation, comme il est de coutume cette saison, fait plaisir (à nouveau, je n’en avais aucune idée et j’ai vraiment appris un truc !). Un fait intéressant qui annonce déjà la thématique de l’épisode sur la santé mentale, en plus de donner une explication logique à la présence de cette partie de l’histoire terrienne dans le scénario pervers des Éternels. Un effort de contextualisation que peu d’épisodes ont l’habitude de faire.
Doctor Who a déjà abordé la question de la santé mentale par le passé, mais très rarement, à ma connaissance seulement avec Vincent Van Gogh dans Vincent and the Doctor, et cela touchait plus à la folie qu’autre chose. Can You Hear Me? fait vraiment un excellent boulot pour créer tout un scénario et un univers autour de cette même problématique. D’abord, avec ce que je n’attendais même plus : un développement autour des compagnons ! *expirations ébahies du public*... Eh oui !
"The terrible thing about being older is you have all this experience, and nobody ever wants to hear it."
La Docteur dépose ses trois comparses à Sheffield, ce qui remplit la tradition de la saison de ne jamais vraiment faire un épisode où la Fam est réunie ensemble tout du long. Une bonne idée que la saison 11 exploitait bien trop peu. Et déjà, on sent de la petite rancœur de leur part : offusqués par un retard de soixante-dix-sept minutes (la Docteur a déjà fait bien pire…), Yaz et Ryan partent limite sans dire un mot, et seul Graham semble vraiment se soucier de Thirteen. Celle-ci m’a fait un peu de peine à se parler à elle-même et à se demander ce qu’elle peut bien pouvoir faire pour s’occuper une journée, avant de se résigner très vite à faire un petit bond dans le futur… On sent que la Docteur est toujours mal à l’aise avec la solitude, comme l’a démontré notamment David Tennant vers la fin de sa vie et Matt Smith après le(s) départ(s) des Ponds. Et plus particulièrement pour la Docteur de Whitaker, cela colle à sa personnalité de clairement toujours fuir les responsabilités, un peu comme le faisait Matt Smith.
Bref, pour les compagnons, j’ai eu vraiment peur de voir au début de l’épisode qu’on allait passer autant de temps sur leurs vies personnelles respectives, vu le désastre que cela a pu donner parfois. Heureusement, l’épisode me donne tout de suite tort.
- Ok, Ryan, c’est toujours un enfer un coup sur deux. Tosin Cole ne peut même pas prétendre jouer a FIFA correctement (c’est pourtant pas compliqué : fais une vraie partie au lieu de réciter tes lignes comme un robot !). Parfois, il parvient à transmettre quelques bonnes choses, mais c’est surtout quand il parle à son ami Tibo. Personnage oublié de l’épisode spécial Resolution, il revient ici avec une personnalité intéressante qui mixe habilement la gentillesse, la fragilité, la paranoïa, l’inconfort, bref, ça ne va pas bien quoi. Heureusement, l’écriture entre ces deux amis est loin d’être mauvaise et donne probablement la meilleure chose de la série liée de près ou de loin à Ryan depuis la mort de Grace. Tibo est un premier personnage qui "déprime" et la bonne idée de l’épisode, c’est d’être resté vague et général sur l’origine de son malaise, pour ne pas rendre ça trop spécifique à un personnage dont on se fichait, et parce que la dépression n'a souvent pas d'origine précise facile à décrire pour les personnes. Et puis au milieu de l’épisode, viennent alors les séquences de rêve cauchemardesque pour chaque personnage, des scènes qui seront parmi les parties les plus réussies de l’épisode. Pour Ryan, j’ai trouvé cela vraiment malin de réexploiter les monstres d'Orphan 55 et la vision de la Terre dévastée de l’épisode 3. Indépendamment de ce que je pense de l’épisode, c’est bien de voir que les compagnons ont vécu quelque chose de vraiment traumatisant qui leur a laissé un impact fort. Particulièrement pour Ryan, à cette pensée s’ajoute la "fear of missing out" (FOMO) sauce Doctor Who, c’est-à-dire la peur de rater trop de choses sur Terre pendant leurs voyages, de ne pas vieillir au même rythme. Cette réalisation (qui hante toutes les compagnes restées plus de deux saisons, que ce soit Rose, les Ponds ou Clara) arrive à point nommé dans cette fin de saison et annonce le départ de Ryan et Yaz de façon plus ou moins certaine. En tout cas, ils y réfléchissent.
- En parlant de Yaz, celle-ci a probablement le développement le plus important de l’épisode. Et une seule chose à dire : ENFIN ! Les retrouvailles avec sa sœur sont plutôt mignonnes (le coup de s’endormir devant Netflix est un bon gag), mais ce sont bien les scènes avec la policière qui ont complètement changé la façon dont on voyait Yaz. Pourquoi est-elle devenue policière, pourquoi est-elle parfois aussi en retrait : presque tout prend son sens dans cet épisode où on révèle de façon assez sobre et subtile selon moi, qu’elle a tenté de se suicider. À nouveau, comme pour Tibo, l’épisode ne met pas l’accent sur un événement en particulier, et insiste plus sur l’incapacité à communiquer ("Can You Hear Me?"...). La policière/l'épisode semble vraiment trouver les bons mots pour essayer de faire prendre conscience à Yaz qu'il peut ne s'agir que d'une mauvaise passe, et que le bout du tunnel n'est jamais loin. Les scènes avec la policière sont de loin les mieux écrites et les plus touchantes de toute l’histoire de Yaz.
Elles confirment malheureusement une fois de plus que Yaz est une compagne arrivée trop tôt, et qu’introduire trois nouveaux compagnons en un épisode/une saison était la pire erreur de départ du run de Jodie Whitaker. Il aurait fallu faire le traitement "Rory" en saison 5 et faire intervenir Yaz dans quelques épisodes seulement en saison 11, en insistant sur sa discrétion et sa timidité. Peut-être aurait-elle pu d’elle-même refuser de revenir dans le TARDIS après The Ghost Monument ? Ou prévoir un épisode du type de Can You Hear Me? en saison 11 ? Toujours est-il qu’en l’état, Can You Hear Me? reste plus que le bienvenu et semble prouver que le showrunner veut vraiment bien faire et a appris de toutes ses erreurs passées. Et puis, en plus de donner enfin de la personnalité à Yaz, je trouve que l’angle d’approche est extrêmement bien trouvé : ce n’est pas juste "oh, donnons-lui quelque chose de traumatisant dans son passé parce qu’il faut bien que ça colle à l’épisode", et hop, on balance du harcèlement scolaire, de l'isolement et une tentative de suicide. Au fond, ça explique aussi tellement de choses sur le comportement de Yaz depuis son introduction. Si je n’étais pas au courant des coulisses de la série, je dirais presque que cela justifie pourquoi elle a toujours été en retrait. En tout cas, avec cet épisode, Yaz est devenue facilement ma préférée du trio de l’enfer, Graham ayant beaucoup trop perdu cette saison.
- Graham enfin donc, est toujours un peu marrant, de façon plus mesurée donc plus réussie cette fois que ses pitreries précédentes (la blague sur l'annuaire des planètes où il se fout un peu de la gueule de la Doc). Son cauchemar permet un caméo bienvenu de Grace, nous apprend qu'une partie de lui sera toujours rongée par la culpabilité, et remet l’intrigue du cancer sur le tapis. À ce sujet, ils en font quelque chose d’habile : on ne nous balance pas un "le cancer est revenu !" tiré du chapeau, on insiste sur la peur avec laquelle Graham doit vivre pour le restant de ses jours, probablement comme tous les patients en rémission. La peur, une chose pour laquelle la Doc n’a pas de remède et ne peut pas vraiment aider. Autrement, on ne perd pas de temps avec la vie de Graham sur Terre en elle-même qu’on n’a jamais vraiment vue. L’épisode se sert plus de lui comme d’un tremplin pour amener l’intrigue des Éternels dans le lot. Du teasing intrigant qui, entrecoupé de l’action à Alep avec la Docteur et Tahira, donne du rythme au début de l’épisode.
Doctor: Just in 14th-century Syria. Is it lunchtime tomorrow already?
Apparaissent alors vraiment Zellin et Rakaya, les deux ennemis divins de l’épisode.
"I've seen many races, Doctor, and the humans are infinitely fascinating, infinitely pathetic. But of course you know that. We share the same obsession."
Zellin en particulier est un excellent antagoniste. Ian Gelder (Kevan Lannister) a un charisme fou et est creepy à souhait. L’effet sonore de sa présence est particulièrement bien géré, encore une preuve que le compositeur Segun Akinola, dont je parle peu, a du talent, même s’il génère malheureusement beaucoup moins de "tubes" que l'ancien compositeur Murray Gold. Toute l’ambiance de l’épisode est extrêmement particulière et totalement réussie : les CGI sont très convaincants, du monstre qui hante Tahira aux effets visuels des planètes jumelles. Le code couleur est maîtrisé et, une fois n’est pas coutume, la lumière est belle, probablement plus belle qu’elle ne l’a jamais été dans la série, si l’on excepte le travail de Rachel Talalay. Même leur principale "arme", les doigts qui se détachent de leurs mains, est totalement représentative de l’épisode. D’une part, c'est un concept assez glauque et malsain, dans le bon ton du cauchemar et de l’horreur. D’autre part, le fait que ce soit l’outil des Éternels pour plonger les humains dans un état de transe et se nourrir de leurs peurs et doutes, matérialisés sous la forme de cauchemar, c’est à nouveau une métaphore maligne sur la dépression. En effet, le fait que ce soient des doigts qui "bouchent les oreilles" évoque justement le fait que quelqu'un en difficulté peut parfois "ne rien entendre" et se refermer sur lui-même. L’isolement des personnes à la santé mentale parfois fragile, qui peuvent justement ne pas voir ou ne pas saisir l’aide qui est à leur portée, c'est ce qu'il se passe avec Tibo ou avec la jeune Yaz. Bref, l’imagerie des doigts est ultra bien vue puisqu’elle fait honneur au double-sens horrifique/psychologique de l’épisode.
On pourra reprocher aux antagonistes qu’ils ne sont pas très développés, ou plutôt, qu’ils ne le sont pas suffisamment par rapport à leur potentiel. À cela je répondrai : normal, vu qu’ils sont littéralement des immortels surpuissants ! Leur potentiel est littéralement infini, rien ne serait à leur hauteur. J’ai déjà trouvé le concept même de faire enfin apparaître les Éternels dans la série dingue : j’ai un peu… beaucoup jubilé au moment où Zellin se présente et canonise des liens entre plein d’anciens antagonistes de la série (plus de détails là-dessus dans le Coin du Fan). D’ailleurs, la Docteur réfute immédiatement son existence, en prétextant que "Zellin" n’est qu’un mythe. J’adore quand on introduit un ennemi qui connaît déjà le Docteur, et/ou vice-et-versa. Cela leur donne tout de suite une aura imposante et solennelle. Ensuite, les Éternels font tout de même beaucoup malgré leur temps d’écran limité. Leur discussion où ils parlent des "êtres éphémères" (nous) est assez fascinante. J’adore le fait qu’on démarre immédiatement par le voir pénétrer un TARDIS, ce qui immédiatement rend Zellin spécial et imposant. J’aime beaucoup que leur première "victoire" soit un piège tendue à la Doc, qui ne peut résister à l’envie de retourner les armes de ses ennemis contre eux. La résolution utilise d’ailleurs la même idée. J’avoue, je la trouve un peu rapide aussi. Mais elle est tout de même assez ingénieuse et cohérente avec ce qui a été présenté. Le petit speech humaniste de Jodie est classique, mais est de mise puisque Zellin a spécifiquement attaqué les humains sur ce point et s’est vanté de tout comprendre de l’humanité, en les résumant à des êtres apeurés et en proie aux doutes (sympa). Avec Tahira, une patiente qui ne va pas bien et qui réussit à dompter son Chagaska (autrement dit ses démons, sa peur), la Doc prouve effectivement que surmonter chaque jour ses peurs et ses doutes est une victoire en soi, et c’est à nouveau totalement dans la logique d’un épisode qui veut traiter la dépression (entre autres). Le speech de Zellin parle totalement de ça et se lit clairement avec ce prisme de la santé mentale :
Zellin: I've seen many races, Doctor, and the humans are infinitely fascinating, infinitely pathetic. But of course you know that. We share the same obsession.
Doctor: We are not the same.
Zellin: No. You are so much lesser. You know the best part of humanity? The thing that truly sets them apart? The cruelty of their own minds directed towards themselves. The doubt, the fear, the endless voices telling themselves that they're incapable and unworthy. Such an exquisite animal. Built-in pain. And the repositories of that pain, the nightmares.
Avec plus tard dans l'épisode, le dialogue réponse :
Doctor: Earth is not your plaything. You're wrong about humans. They're not pathetic, they're magnificent. They live with their fears, doubts, guilts. They face them down every day. and they prevail. That's not weakness. That's strength. That's what humanity is. Isn't that right, Tahira?
Tahira: Yes, Doctor.
Doctor: Why don't you show them how strong you are?
C’est là qu’on voit le traitement totalement différent de Steven Moffat et Chris Chibnall sur le même sujet : l’un met l’accent sur les peurs enfantines et on aboutit à quelque chose de poétiquement parfait, symbolique et méta ("Fear is a superpower" "Fear makes companions of us all"). L’autre aboutit à un message moins méta, moins sobre, mais teinté d’une forte vision sur l’humanité, dans le but d’aider et d’instruire plus explicitement. Tous deux en tirent une morale particulière et nous adressent un message. J’ai toujours trouvé cela beau quand Doctor Who se répond à elle-même à travers les ères, c’est ce qui fait que le show est aussi spécial. Et c’est aussi grâce au renouvellement des esprits qui travaillent dessus qu’on peut avoir un même sujet traité plusieurs fois, de façon complémentaire. Qu’on ait une préférence est tout à fait normal, mais les deux peuvent cohabiter en paix.
Quoiqu’il en soit, les Éternels en eux-mêmes sont loin d’être la seule bonne idée de l’épisode. Le concept d’un piège inséré dans l’esprit de Graham à travers le cosmos avec une succession de visions cryptiques, est assez ingénieux (et n’est pas sans rappeler les visions de la Doc, le fil rouge de la saison, le/la Timeless Child, pour lequel on a enfin droit à un vrai aperçu dans cet épisode…). L’idée d’un vaisseau qui n’est pas un vaisseau mais une plateforme de surveillance d’une prison spatiale est également originale, et j’ai trouvé le design du décor plutôt atypique, avec sa "harpe" pour piloter et contrôler la station. L’idée de planètes jumelles alignées sur un axe de collision pour contenir une prison éternelle d’un Dieu, c’est aussi assez malin. Tout le plan des êtres immortels, qui repose sur un jeu pervers pour faire passer le temps (l’éternité étant en effet une perspective bien ennuyante), aboutit à une exploitation de la faiblesse de l’esprit humain, et à nouveau fait le lien entre les cauchemars et les troubles mentaux assez brillamment.
Et puis, il y a cette séquence de rêve animée qui permet à Rakaya de raconter l’origine de l’histoire à la Docteur. Un récit illustré vraiment de toute beauté, qui prouve que l’épisode a vraiment tenté d’innover dans le format et de représenter les rêves de ses personnages avec beaucoup de formats et de genres différents (réaliste pour Graham, flou et basé sur un souvenir précis pour Yaz, cryptique et glauque pour Ryan…). C’est pour ce genre de petites séquences que j’aime en général beaucoup les épisodes expérimentaux de Doctor Who.
Je terminerai cette critique par exprimer un point de vue très personnel sur le sens de cette section animée. Sur certains aspects de mon interprétation, j’ignore si c’était vraiment voulu par l’épisode, mais je me lance. Petit résumé de la "morale de l’histoire" : les deux êtres immortels arrivent sur deux planètes habitées en se lançant un pari : le premier à faire s’auto-détruire la civilisation qui y vit remporte le défi (chacun ses passe-temps !). S’imposant comme des Dieux sur les êtres éphémères, Zellin et Rakaya amènent les espèces à faire la guerre, d’abord sur leurs planètes respectives, puis entre elles. Mais, après un "éveil de conscience", il est dit que les deux races devinrent "sages" et comprirent que leurs Dieux n’étaient que des manipulateurs. Pour moi, si l’on ramène ça à l’humanité, c’est une histoire sur les origines de la religion, et de comment elle a permis aux Hommes d’expliquer l’incompréhensible et l’éternité, mais aussi de comment elle a amené à la guerre et parfois à l’auto-destruction. Et c'est donc une petite critique en soi. Je lis peut-être tout cela un peu loin, d’autant que cela serait un parti-pris un peu "osé" pour la série actuellement si ouverte. De façon plus réaliste, cette narration est surtout là pour rappeler assez subtilement que l’union fait la force, qu’une civilisation qui s’entraide peut défaire ses démons. Finalement, comme souvent, la Doc n’a pas fait grand chose d’elle-même puisque techniquement, les Dieux avaient déjà perdu en arrivant dans l’épisode, et elle n’a fait que restaurer l’équilibre. Quoi qu’il en soit, ce petit segment contient vraiment beaucoup de choses et est un condensé de tous les thèmes et de toute l’originalité de l’épisode.
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Can You Hear Me? est une véritable expérience, qui tire un parallèle entre les cauchemars et la dépression en inscrivant le tout dans un format original pour faire dire beaucoup à l’image. Une tentative complètement réussie pour ma part, qui avance des concepts originaux et fascinants, bouleverse enfin le statu quo établi sur les compagnons et parvient à nous faire passer ses messages avec brio. Can You Hear Me? n’est pas parfait sur toute la ligne, mais entre typiquement dans le cas d’un tout qui est plus grand que la somme de ses parties. À méditer, à revoir et à encourager !
J’ai aimé :
- Le lien entre l’horreur psychologique comme un genre de SF et la psychologie comme problème de santé, un parallèle ultra bien vu et qui construit tout l’épisode autour d’une idée cohérente.
- Des antagonistes fascinants, creepy, intéressants et mémorables.
- Alep et son hôpital psychiatrique avant-guardiste très bien intégré à l’intrigue.
- L’aperçu d’une Jodie Whitaker seule et mal à l’aise, un ajout important pour mieux comprendre tout(e) Docteur(e).
- Du développement pour Yaz qui explique beaucoup de choses et en pardonne certaines.
- Des vraies prises de risque dans la réalisation et les messages.
Je n’ai pas aimé :
- L’inconsistance agaçante des scènes pré-génériques. Pourquoi ne pas être cohérent sur toute la saison ? Soit on fait une séquence d’intro, soit on n’en fait pas !
- Tosin Cole, il faut partir.
- Malgré tous les efforts sur les compagnons, c’est un peu "trop peu trop tard", et la dernière scène dans le TARDIS est relativement courte et pas des mieux écrites pour tous les personnages...
- J’avoue, j’aurais aimé voir un peu plus des Éternels (la partenaire de Zellin, Rakaya, n’est jamais nommée, par exemple...).
Ma note : 16/20
Le Coin du Fan :
- Petit point sur les Éternels : ils apparaissent vraiment comme un "concept de race" sous l’ère du Cinquième Docteur avec Enlightment. Le but a toujours été pour des êtres immortels, existant "hors de l'Univers et du Temps", de se divertir de l’éternité avec des pouvoirs illimités sur la manipulation de la matière, bref, en jouant avec les vies des "êtres éphémères" (les humains, notamment). Du pur divertissement, un concept déjà très méta en soi. Les Éternels les plus connus sont probablement les Gardiens : le Black Guardian et le White Guardian, que Zellin cite dans l’épisode. Dans la saison 16 avec le Quatrième Docteur, Tom Baker, ils s’affrontent à travers des "intermédiaires" pour pouvoir contrôler l’univers (et s’amuser au passage). Le Docteur devient d’ailleurs un émissaire du White Guardian, puis, sans le savoir, du Black Guardian. Un autre éternel connu est le "Celestial Toymaker", un "créateur de jeux" qu’a affronté le premier Docteur, William Hartnell, et qui plongeait ce dernier et ses compagnons dans des univers loufoques pour les faire affronter une série de jeux pervers, dont le but était de décider si le Docteur resterait les "jouets" du Toymaker pour l'éternité. À l’époque, le Toymaker devait initialement être un membre de l’espèce du Docteur, mais avec l’annulation de la série, cette idée n’a jamais vu le jour. Il a donc fallu attendre Can You Hear Me? pour unifier toute la mythologie des Éternels, autour de cette idée de jeux passe-temps éternels.
- Les Éternels ont toujours nourri une sorte de mini-fascination et culte, surtout grâce à l'héritage de l'histoire du Cinquième Docteur qui a été très bien reçue. Il y a donc eu plusieurs références dans la nouvelle série : dans Army of Ghosts, David Tennant énonce que le "void" entre les dimensions est appelé "le Hurlement" par les Éternels. Dans The Shakespeare Code, les Carrionites expliquent qu’elles ont été initialement bannies par les Éternels qui ont su "trouver les bons mots".
- Il reste tout de même quelques liens suggérés mais pas encore canonisés. Tout d'abord, il est sous-entendu que le Diable de The Satan Pit doit appartenir au même royaume des Éternels, puisque le Diable lui-même cite des "disciples de la lumière" l'ayant enfermé pour l'éternité "avant le Temps", un concept que David Tennant réfute. Il est également question dans l'épisode de Dieux et d'éternité. De plus, dans The End of Time Part Two, il est révélé que le plan final de Rassilon durant la Guerre du Temps était de s'élever en tant que créature de "pure conscience", "libre du Temps", un concept également similaire à ce que sont vraiment les Éternels.
- La Docteur utilise les circuits télépathiques du TARDIS pour rejoindre l’endroit de la vision de Graham. Un procédé déjà utilisé plusieurs fois, notamment avec Clara dans The Name of the Doctor pour aller sur Trenzalore, ou dans Listen.
- Coin Spéculation : je commencerai par dire que je trouve que ce qui suit n’a aucune signification et ne veut absolument rien dire. Mais bon, beaucoup de fans en parlent alors j’en parle aussi : cela fait, il est vrai, un autre épisode où on évoque un "univers parallèle" (la dimension "intemporelle" des Éternels). Après les "multiples Terres" des Sakaavin évoquées dans Spyfall et la Terre parallèle de Orphan 55, je suis d’accord que cela commence à faire pas mal de coïncidences sur l'idée d'un univers parallèle. Ainsi, selon les fans, tout cela semble pointer du doigt vers la réponse évidente pour le Docteur de Jo Martins de l’épisode 5 : Docteur-Ruth viendrait d’un autre univers. Je ne suis pas d’accord, même s’il n’est pas impossible que le concept de timelines alternatives soit réutilisé pour le final, je doute fortement qu’il mette totalement en cause la légitimité de Docteur-Ruth (ce serait se tirer une balle dans le pied pour Chibnall). Mais on ne sait jamais.
- La production a visiblement ré-utilisé un shot de matérialisation du TARDIS à Sheffield de l’épisode Arachnids in the UK (cela évite de déplacer tout le monde à Sheffield, ce qui n’est pas plus mal).
- J’aime vraiment beaucoup le titre (je crois que ça s’est fait sentir dans ma critique !) et l’ambiance de l’épisode. Pour l’anecdote, ce septième épisode de la saison 12 est le seul épisode de la nouvelle série avec un point d’interrogation. La saison dernière, le septième épisode Kerblam! était le seul avec un point d’exclamation. Si je devais deviner, je dirais que l’épisode 13.7 aura un hashtag.
- Mea culpa sur le Coin du Fan de la critique précédente ! Chris Chibnall n’est finalement pas crédité pour le prochain épisode, qui sera écrit seulement par Maxine Alderton. Voilà que plein de records volent en éclat !
Et justement, rendez-vous la semaine prochaine pour *inspire* une autre histoire de fantômes… je ne vais pas mentir, j'ai évoqué plus tôt dans ma critique que c'est génial quand Doctor Who traite plusieurs fois un même sujet de façon différente, mais les fantômes là, ça commence à bien faire. À voir...